Carnets de voyage
Juillet-août 2006 La mouche sans raison Un type en 4X4
Par Dominique Rocher Derrière la fenêtre de mon bureau, les forsythias étaient en fleurs et, sur la lande, les asphodèles - surnommées "poupounes" par les poètes indigènes - déballaient leurs capuchons cotonneux. Dans le ciel, d'un bleu transparent, le noroît, encore un peu frais, donnait la chasse aux derniers stratus. Le printemps harcelait l'hiver et moi, plutôt que d'aller bourgeonner tranquille au soleil, j'étais là à me faire une sève d'encre devant cette cochonnerie de portable qui venait pour la troisième fois de me recracher sa disquette à la figure. Je m'étais pourtant bien battu, quelques mois plus tôt, cramponné à mon antique machine à écrire, quand les allumés du "zéro papier" avaient lancé leur grande offensive. Une Olivetti que j'avais achetée à crédit quelques semaines après ma première affectation et qui ne m'avait pas lâché. Pas une panne en vingt ans de service! Du costaud, du tout métal, fait pour être pieusement légué de génération en génération. Et que m'avait-on imposé en échange? Une triste boite de plastique gris dont le clavier se déglinguait en le regardant, qui bourdonnait toute la journée comme un essaim de moustiques enragés et qui attendait que vous soyez à la bourre pour tomber en rideau. - Kepler! Gueulais-je, en désespoir de cause, brandissant cette foutue disquette. Une seconde plus tard, le maréchal des logis-chef Kepler était là, au garde-à-vous, dans l'encadrement de ma porte, avec ses bons yeux de terre-neuve toujours à l'affût d'un nageur à secourir... - Impossible de lire ton rapport. Cette saloperie d'ordinateur ne veut rien d'avoir... - ça doit être encore votre lecteur de disquettes. Enfin, je crois... - Bon. Le mieux c'est que tu m'imprimes tout ça sur ta machine, sinon on va encore y passer la journée, décrétai-je... - Désolé mon adjudant... déplora Kepler de sa voix traînante. Notre dernière cartouche d'encre est vide et on n'en a plus en réserve. Je viens de faxer la commande aux sables, mais on ne recevra rien avant le milieu de semaine... - OK! Laisse tomber! Tu vas prendre une chaise et me raconter tout ça de vive voix, d'accord?... - Les pompiers m'ont appelé vers deux heures du matin., commença-t-il. Dix minutes plus tard, Alain et moi, on était sur les lieux. Une villa d'estivants sise 20, impasse des Fas, aux Vieilles... Vous situez? - Oui, l'Ile d'Yeu c'est pas la Patagonie. On en a vite fait le tour! Maugréais-je. La suite... - A ce moment là, le docteur Andrieux était déjà occupé à examiner la victime qui présentait de multiples contusions et un tibia cassé net. La pauvre était mal en point et je n'ai pas jugé bon de l'entendre avant son évacuation sur Nantes... Il y avait la le jeune, là... Comment s'appelle-t-il déjà?... Enfin, le fils Bardin-Cardaillac, qui... Vous connaissez frorcément la famille.... Qui ne connaissait pas les Bardin-Cardaillac? De grands bourgeois... Si ma mémoire était bonne, le sieur Bardin-Cardaillac père avait, l'année précédente, remporté le Roland-Garros local où ne s'affrontaient que des VIP en shorts sous le regard blasé de leurs épouses. - Et que vous a-t-il exactement raconté ce fils Bardin-Cardaillac? - Que lui et sa copine avaient surpris un cambrioleur au moment où ils rentraient chez eux. Qu'il avait essayé de l'attraper mais que le suspect avait pris la fuite à bord d'un 4X4.... ... On allait devoir essayer de retrouver le type au 4X4. Combien de ces engins pouvait-il bien circuler sur l'île pendant les vacances de Pâques? Dominique Rocher La mouche sans raison Editions Publibook, Paris 2004 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Extrait n°9 Copyright Dominique Rocher 2004
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