Carnets de voyage
Juillet-août 2006
La mouche sans raison

Dernoncourt
Par Dominique Rocher


Gendarmerie de L'île d'Yeu 

   - Chef! Venez voir un peu ici! beuglai-je sans lever le nez de mon ordinateur.
  Une nouvelle carte mère branchée sur l'oesophage, la chose avait enfin accepté d'ingurgiter la disquette de Kepler qui taînait sur mon bureau depuis plus d'une semaine. Le rapport concernant l'accident qui avait envoyé la dénommée Juliette Coussein au CHU de Nantes n'était plus de la dernière fraîcheur; Aucun intérêt à part cette petite erreur qui, à force d'être répétée, avait titillé ma curiosité.
  Son gobelet de café à la main, les yeux encore bouffiis de sommeil - il n'était que neuf heures et demi(!) - , mon maréchal des logis était parvenu à traîner sa longue carcasse jusque sur le seuil de ma porte...

  - Allez! Approche au lieu de déconner!
Il s'excusa, le sourcil inquiet.
  - Qu'est-ce que c'est que cette fantaisie? l'interrogeai-je, agitant mon curseur sous le nom du témoin. Dernoncourt...
- Ben... C'est le nom du fils Bardin-Cardaillac, mon adjudant.
  Tout à fait le genre de réponse hautement sensée qu'on était en droit d'attendre d'un gradé blanchi sous le harnais.
  - Le fils Bardin-Cardaillac s'appelle Dernoncourt! Suis-je bête! C'est poutant évident! Et toi, Kepler, tu t'appelles comment?

  Je laissais passer un ange en espérant que mon maréchal des logis, la bouche grande ouverte, ne le goberait pas par inadvertance.
  - Alors? Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
  - Je n'y suis pour rien, mon adjudant! Le jour de l'audition, j'avais tapé machinalement Dernoncourt partout et il a fallu que le témoin me demande de corriger. Apparemment j'avais déjà sauvegardé le dossier sur la disquette et j'ai dû oublier de...
  - Passons! Pourquoi , précisément, Dernoncourt?
  - Ben... Parce que c'est comme ça qu'il s'appelait avant...
  - Avant? Avant quoi?
  - Avant qu'il ne se fasse adopter par son beau-père... Pas bien longtemps après l'affaire de la Gournaise...
  - Quelle affaire?
- Le fils Bardin-Cardaillac... enfin... Dernoncourt avait planté son neuf mètres sur les récifs de la Gourbnaise. Je n'étais pas encore là quand c'est arrivé mais il y a eu mort d'homme, ça c'est sûr! Au mois d'août 1992, tout le monde en parlait encore dans les bistrots du port. C'est l'adjudant Le Bolloch qui avait instruit le dossier...

  Connaissant la rigueur procédurière de mon prédécesseur, nul doute que ma prochaine incursion aux archives serait plus fructueuse que la précédente.
  Mort d'homme! En 1992! Déjà! Et au cours d'un naufrage qui plus est! Quelle meilleure manière de faire disparaître quelqu'un? Pas d'arme, pas de trace, pas de témoins. Les annales des Affaires Maritimes regorgeaient de ces étranges "disparitions" si propres à simplifier les divorces et à accélérer les héritages. Que vaut, aux yeux de la loi, un mobile sans cadavre?
 

Dominique Rocher
La mouche sans raison
Editions Publibook, Paris 2004


>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°16


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