Carnets de voyage
Juillet-août 2006
La mouche sans raison

Dissolution
Par Dominique Rocher


Gendarmerie de l'île d'Yeu 

  Je n'avais pas décroché la clé des archives que l'inénarrable Jean-Pierre Magnin, ministre de réserve, se présentait, ponctuel, au rendez-vous fixé le vendredi précédent.
  J'avais aussitôt téléphoné à Martine pour lui demander d'emprunter l'imprimante de Guillaume, le gamin de Kepler.
L'objet récupéré, mon gendarme auxilliaire nous fit encore lanterner une bonne demi-heure avant de se dépêtrer d'un embrouillamini de câbles à rendre dingue Sainte Palangre, patronne des démêleurs.
  Ne sachant trop qu'inventer pour faire patienter mon VIP, je l'entrepris, au hasard, sur la dissolution de l'Assemblée Nationale dont tout le monde parlait depuis la veille au soir.
  - Une maneuvre indigne d'un Président de la République!
décréta-t-il. Quand le chef de l'Etat en personne se permet de dévoyer la Constitution à des fins partisanes, comment éradiquer l'incivilité? Et comment empêcher les électeurs de se détourner des urnes?
  Bien vu pour un ex-mitterrandiste.
  - Mais je n'insisterai pas, ajouta-t-il; Chacun sait que les gendarmes, dans l'exercice de leurs fonctions, n'ont pas le droit de faire état de leurs opinions politiques.
  Il m'arrachait la réplique de la bouche. J'en avais la langue égratignée.
  - Surtout qu'il y a de tout parmi nous! Même des communistes me vengeai-je.
  Jean-Pierre Magnin tiqua mais, en  bon apparatchik policé, se contenta d'esquisser un vague sourire qui s'élargit d'un cran quand mon gendarme auxilliaire nous annonça triomphant qu'il avait terrassé la bête.
  La veille imprimante bricolée par Guillaume se mit laborieuesement - et bryamment - à dérouler sa bande de papier perforé. Malgré quelques caractères absents et quelques "é" sans accent, je fus bientôt en mesure de relire la "fameuse déposition"...

  Le suroît s'était remis à souffler de plus belle. Sous un ciel ardoise, sternes et goélands se laissaient rouler par les bourrasques; Debout devant ma fenêtre, les bras croisés dans le dos, je m'abandonnai, moi aussi, au vent contraire sans me douter que le vrai coup de chien était à venir.


Dominique Rocher
La mouche sans raison
Editions Publibook, Paris 2004


>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>  Extrait n°17


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