Carnets de voyage
Décembre 2006 - janvier 2007 Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance Révélation par Jean Noël Contensou
Du point de vue industriel, les interrogations n’étaient pas moindres. Cette fois sans relation avec la nature du produit, mais simplement parce que pour monter cette chaîne de fabrication, par le simple jeu du progrès technique, on avait mis en œuvre une technologie dernier cri. L’automatisation avait fait de grands progrès, au point qu’on avait pu, Candide en était la preuve, faire tourner les chaînes avec du personnel formé en quelques jours seulement. Un vieux débat se trouvait ainsi relancé quant à l’intérêt de délocaliser les fabrications futures en Indonésie où ce genre de main d’œuvre capable, mais peu qualifiée et peu payée, était abondant. Les opposants à la délocalisation disaient que l’accroissement de complexité des machines automatiques allait conduire à augmenter la difficulté des interventions de maintenance, et que cela ne servirait à rien de diminuer les coûts de fabrication courante s’il fallait déplacer, au moindre ennui sur une machine, des spécialistes d’Orsay, de Dallas ou Tokyo. Le but de la phase d’expérimentation actuelle était de faire un bilan sur ces questions de productivité et de maintenance. Après avoir entendu cela, Candide comprit pourquoi un technicien était venu le trouver un jour, lui expliquer curieusement qu’il devait faire son travail de façon routinière, sans trop se poser de questions ; il avait pris ça pour une attention portée à sa santé mentale, mais maintenant, après avoir vérifié que ce technicien était un représentant syndical, il comprenait mieux : la défaillance d’une machine mal surveillée ne déplairait pas à tout le monde. Comme Candide se sentait en confiance avec Pierre depuis leur discussion à trois, il lui raconta tout ça. Pierre eut des réactions amères. Il lui dit que le projet « téléphone dans les habits » contribuait à tout mélanger. Quand il serait avec son amie, il ne voulait pas risquer d’être concurrencé par une vibration parasite. Et lui-même il commençait à en avoir assez d’être trop facile à joindre. Bien sûr il se débranchait, mais il avait déjà la réputation de l’être souvent, et il sentait cela comme une atteinte à sa liberté. Quand il étudiait, il voulait qu’on le laissât étudier tranquillement, quand il avait envie de faire la gueule, il voulait la faire tranquillement, sans se sentir coupable de paraître débranché. Il souhaitait pouvoir se déshabiller de la technique ailleurs que dans sa salle de bain, et sans que cela se sache. Il voulait prendre l’initiative de se brancher, pas celle de se débrancher. Qu’on le laisse tranquille ! Et il railla fort les anciens de l’ENIS que Candide avait rencontrés [au cours de son stage]. C’était des mercenaires, prêts à soutenir n’importe quel projet du moment qu’il favoriserait leur ascension professionnelle. Le pire c’est qu’il n’y avait aucune ambition malsaine de leur part, ils étaient assez bien payés pour avoir la pureté d’âme des gens sans soucis, ils voulaient jouer, tout simplement. Et Pierre repartit amer vers son Mac, où il avait trouvé trace d’une étude vieille d’un siècle sur la thermodynamique des fibres musculaires, qui pouvait l’aider à mieux comprendre sa fatigue à descendre les escaliers… Jean Noël Contensou Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance Editions Publibook, Paris 2005 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Extrait n°19 Copyright Jean Noël
Contensou 2005
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