Carnets de voyage
Décembre 2006 - janvier 2007
Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
Stage
par Jean Noël Contensou

Pendant l’été qui suivit sa première année, Candide partit en stage. Cette année-là, la conjoncture n’étant pas favorable, les entreprises se faisaient tirer l’oreille pour proposer des stages, et Candide accepta le premier qu’il put trouver, sans se poser de question. Mais il était a priori satisfait, car il s’agissait de production, et M. Budet leur avait recommandé de privilégier ce domaine au début de leur carrière. Cela se passait dans la Compagnie de Semi-Conducteurs, la Coseco ; il était affecté à une chaîne de fabrication de puces électroniques, et travaillait dans des « salles blanches », autrement dit des salles d’une propreté absolue, à coté desquelles des salles d’hôpital paraîtraient très négligées. Il y pénétrait par un sas, se couvrait d’une vraie tenue de chirurgien, et devait surveiller des fours automatisés.

On lui dit que cette chaîne de fabrication était en phase expérimentale. Il s’agissait de faire démarrer la production d’une nouvelle puce prototype, pour valider un nouveau concept de téléphone très discret, le portable « dans les habits ». On lui raconta que les spécialistes du marketing de la Coseco avaient détecté une cible très large, celle des femmes portant des lunettes. Quand il raconta à Pierre en quoi consistait ce concept, cela déclencha chez lui une irritation hilare : « A force de déguiser des idées stupides derrière des mots nobles, qui se souviendrait encore que le mot « concept » désignait autrefois une idée générale associée à l’amour, au devoir, au cercle, au triangle ». Ici il s’agissait de concurrencer l’idée japonaise du téléphone « doigt dans l’oreille ». Dans ce projet japonais, on porte au poignet un appareil qui transmet le son jusqu’au bout du doigt enfoncé dans l’oreille, tandis que la parole passe par le micro sur le poignet. Dès qu’ils avaient eu connaissance de ce projet, les responsables marketing de la Coseco avaient beaucoup discuté. Certains prédisaient que ce serait un échec, les gens ne seraient pas prêts à accepter cette position peu distinguée. Pour les autres, la notion de distinction était en voie d’extinction, et beaucoup de gens verraient avec plaisir dans ce mode de téléphone un nouveau moyen pour en accélérer la décadence ; ils prédisaient en particulier un grand succès auprès des gamins: il suffirait que quelques-uns introduisent ce genre de téléphone dans une classe pour que tous puissent mystifier le professeur en se mettant le doigt dans l’oreille. Mais de toutes façons ils s’étaient rejoints sur l’idée que ce nouveau portable allait faire un bruit qui favoriserait les idées concurrentes ; elles pourraient être portées sur la même
vague médiatique. Ils avaient eu alors l’idée fondamentale que le téléphone de l’avenir, parfaitement invisible, devait être intégré aux vêtements habituels. Deux composants posaient problème : le haut-parleur et le micro. Pour le haut-parleur, ils choisirent de l’intégrer dans une branche de lunettes ; même si la lentille de contact a ses avantages, quantités de gens continuent à porter des lunettes, de vue ou de soleil, et on pouvait compter sur les services marketing des opticiens pour leur associer une image esthétique toujours plus valorisante. Pour le micro, il s’agissait de capter les vibrations de la voix en dispensant le locuteur, aussi bien d’effectuer le moindre geste que de porter un appareil visible ; il fallait que le micro soit étroitement appliqué en permanence sur la gorge ou la poitrine. Et une idée toute naturelle était apparue pour les femmes : il suffisait de l’intégrer au soutien-gorge ; réellement intégré et pas seulement accroché, il aurait l’avantage de faire acheter autant d’exemplaires de téléphones qu’on achète de soutiens-gorge, ne serait-ce que pour le rechange. Caché dans les coutures, il serait appliqué naturellement dans une position parfaitement ajustée à sa fonction. Qui plus est le dispositif pourrait servir de vibreur pour signaler l’appel d’un correspondant, avec la certitude d’être parfaitement perçu… Des essais avaient été faits pour valider l’idée ; les mauvaises langues disaient que c’était grâce à eux et à ses mensurations flatteuses que la secrétaire du directeur commercial devait sa récente promotion.

Jean Noël Contensou
Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
Editions Publibook, Paris 2005


>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°17


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