Cette conférence fit un effet durable et profond sur Candide. Il y avait perçu un accent de sincérité, de vécu, éloigné des discours abstraits et parfois triomphants qu’il avait entendus jusqu’alors sur l’entreprise, l’ingénieur, la
technique, le progrès et les nouvelles technologies. Il voyait mieux dans quelle ambiance il allait évoluer dans un proche avenir, et la nature de son travail quotidien. Il était rassuré sur son droit à l’erreur comme ingénieur débutant, à condition d’être honnête avec soi-même et avec les autres. Mais quel rapport entre le monde de l’entreprise et l’univers rationnel qu’il avait vaguement imaginé pendant ses années de préparation ? Budet avait parlé
abondamment de la forme du métier, pas du fond, et de toute façon, même dans les débuts, il avait dit qu’on passait moins de la moitié de son temps à faire de la technique, et de moins en moins quand les années passaient. Alors pourquoi ces cours presque exclusivement abstraits ? Et dans le métier d’ingénieur, il s’agissait d’étudier quoi, de produire quoi ? Cela ne semblait préoccuper ni Budet ni ses professeurs, manifestement cela ne dépendrait pas de sa propre volonté, mais alors de qui ? Il se disait que finalement il allait être porté par les événements comme il l’avait été jusqu’à présent, et qu’il serait toujours le bon garçon malléable qui plaisait à tout le monde. Car au fond savoir vivre en société, n’était-ce pas l’essentiel du message de cette conférence ? Il lui faudrait naviguer entre des subordonnés, des chefs, des clients… Il  faudrait naviguer entre des conflits de personne, des conflits de devoir…

Jean Noël Contensou
Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
Editions Publibook, Paris 2005