Carnets de voyage
Décembre 2006 - janvier 2007

Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
Divergence
par Jean Noël Contensou

En plus des cours scientifiques ou techniques, Candide vit apparaître quelques cours ayant trait à la vie de l’entreprise : sur la comptabilité, le marketing, la gestion des projets, la communication. C’était une autre planète. Bien que ces cours fussent assez pratiques, les élèves en faisaient en général peu de cas, ce qui était assez paradoxal vu qu’ils se plaignaient souvent du caractère trop théorique de l’enseignement. Ils séchaient massivement dès que ces matières n’étaient pas sanctionnées par un examen, tout en se plaignant de leur caractère scolaire quand il y en avait. Toutes ces inconséquences étonnèrent. Candide, qui commençait à penser qu’on pouvait à la fois étudier des matières très rationnelles et avoir un comportement irrationnel. Pour accentuer ce doute, Pierre lui fit un jour une théorie sur les foules, en lui montrant que même si chacun des individus qui la compose a un comportement logique, la foule considérée comme un être
unique pouvait très bien avoir un comportement absurde, ce qui rendait la démocratie ingérable. Et Pierre de conclure que s’il respectait les individus, il méprisait la foule, en tant qu’être abstrait manipulé par les médias et analysé par les sondages. Tout cela faisait vaciller la croyance de Candide en un monde scientifique accessible à la raison.

Certains de ces cours prirent un tour récréatif ; en particulier en cours de communication, le professeur, prêté par une école de commerce, organisa une espèce de jeux de rôles qui obligeait à se « mouiller » un peu et à s’extérioriser en public ; c’était contre nature pour Candide qui était d’un naturel introverti, comme beaucoup de ses camarades. Mais après avoir constaté qu’il y avait pire que lui, il accepta assez facilement de jouer la comédie quand son tour fut venu. D’ailleurs il se mit à penser que déjà lors de ses contacts dans le groupe culturel et lors de sa conversation avec l’oncle Gérard, il avait été conduit à jouer un personnage, et que maîtriser ce genre de situation est bien utile quand on ne sait pas trop, ni qui on est, ni où
on va.

Tout cela était un peu déstabilisant. Candide se trouvait placé dans des situations auxquelles il se sentait mal préparé, et pour lesquelles il n’avait pas de dons particuliers. Il ne savait décidément pas en quoi allait consister sa vie, quelles compétences il allait devoir manifester. Et il s’interrogeait même sur ses compétences scientifiques. Bien sûr on leur avait tenu des propos flatteurs les premiers jours à l’Ecole, propres à le rassurer sur ses capacités, mais il restait parfaitement conscient de ses insuffisances…

…le fait qu’il ne soit pas le seul dans cette situation, puisqu’il était plutôt en tête de sa promotion, n’était pas pour le rassurer. Car cette perpétuelle incapacité collective à la perfection lui paraissait complètement opposée au fait que pratiquement jamais les ponts ne s’écroulent, les trains ne déraillent, les réacteurs nucléaires ne divergent, et que les programmes d’ordinateurs parviennent à enchaîner des milliards d’opérations sans mettre en défaut leur auteur. Quelle métamorphose devrait-il accomplir pour figurer convenablement dans cet univers infaillible ? En serait-il capable ? Ou alors on l’avait trompé, c’était un univers où les maths et la physique ne régnaient pas ; et alors y serait-il adapté ? Où allait-il vivre ?

Jean Noël Contensou
Candide, jeune ingénieur, fait de la résistance
Editions Publibook, Paris 2005


>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>   Extrait n°8


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Candide

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