Le pOint
Août 2013
 

Capital Santé (Bernard Julhiet Group)
Interview: 
Romain Cristofini,
Fondateur et Directeur Général




Capital-Santé, spécialiste de la santé au travail, a été créé en 2012 et s’est intégré au Bernard Julhiet Group en 2010. Deux ans après cette intégration et dans l’aval du 10ème anniversaire de Capital-Santé,  il nous a semblé nécessaire de « faire le point » avec son fondateur et Directeur général, Romain Cristofini, et sur son action de conseil qui se situe au cœur des préoccupations contemporaines, à savoir la prévention des risques psycho-sociaux et plus particulièrement aujourd’hui la " Qualité de Vie au Travail "…


Romain Cristofini  déjà 10 ans d’existence pour un cabinet dont l’offre reste en évolution…

Romain Cristofini : Nous poursuivons en effet notre histoire et notre croissance de façon maîtrisée, avec le même intérêt dans la satisfaction de nos clients et la même rigueur scientifique qu’à nos débuts, avec bien sûr des évolutions notables : il y a 10 ans nous abordions essentiellement le stress au travail qui se sont élargis, il y a seulement 4-5 ans, aux risques psycho-sociaux (mal-être, harcèlement, burn-out, suicide au travail). Aujourd’hui, notre développement s’oriente autour de 2 grands thèmes qui deviendront selon nous incontrounables: l’accompagnement humain du changement - nous entendons ici le changement désormais permanent des organisations, générateur d’inquiétudes, de perte des repères et la nécessité d’en attenénuer les impacts psychologiques sur les collaborateurs, et lapromotion de la "Qualité de Vie au Travail" qui nous semble être l’un des enjeux stratégiques des années à venir.


En matière d'évolution rapide des entreprises, l’offshoring ou l’externalisation sont des exemples intéressants. Quel est leur impact en matière de stress et de " Qualité de Vie au Travail " ?

Romain Cristofini : Nous sommes en effet intervenus dans plusieurs entreprises où les salariés, vivant confrontés à un mouvement d’offshoring ou d’externalisation, avaient l’impression de scier la branche sur laquelle ils étaient assis en transférant petit à petit leurs compétences et leurs tâches à des collègues ou prestataires étrangers . L’Offshoring est-il générateur de craintes, de stress ? Certainement; mais il apporte aussi des points reconnus comme positifs: les déplacements à l’étranger, le travail en anglais, à distance, le multi-culturel…  Ces expériences sont en soi valorisantes et pourront représenter à l’avenir de véritables compétences pour les interessés. Il est donc  difficile de porter un jugement global à ce stade sur ces organisations. Ce qui est certain, c’est la nécessité d’un accompagnement réel du changement au plus près de ces salariés.

Alors, second point important dans votre histoire,  vous vous êtes adossés en 2010 à un groupe : Bernard Julhiet Group. Qu’est-ce que cela change?

Romain Cristofini : Cela change à la fois beaucoup et peu de choses. Beaucoup car nous nous retrouvons dans un environnement plus large dans lequel les métiers et projets du groupe nous amènent à travailler sur des problématiques RH plus, à l’image de la " Conduite du Changement ", part importante de l’activité de Bernard Julhiet Group. Nous n’aurions pu intervenir dans ce domaine sans les compétences pointues des équipes du groupe. Nous avons donc accès à des domaines qui ont fait évoluer sensiblement notre offre. Nous ne sommes donc plus uniquement " Santé au Travail " mais dorénavant centrés sur d’autres problématiques plus larges, toujours en lien avec la santé. L’exemple de nos interventions dans le domaine du management (ou comment intégrer le bien-être et la santé dans sa pratique managérial) en est une bonne illustration. Nous nous retrouvons ainsi dans un environnement intellectuel innovant et enrichissant qui correspond à la " marque de fabrique " du groupe que nous avons rejoint. Mais le groupe - et c’est aussi l’une de ses spécificités - nous laisse beaucoup d’autonomie opérationnelle, ce qui nous permet de continuer à travailler dans un mode léger, agile et cohérent avec notre histoire et notre savoir-faire. Nous ne souffrons aucunement des lourdeurs d’un groupe mais bénéficions d’un "enrichissement par capillarité".

Capital-Santé


Lorsque nous nous étions entretenus précédemment (cf. Archives de ConsultingNewsline déc 2009), la place centrale des "Risques Psycho-Sociaux" (RPS)  était alors occupée par les vagues de suicides chez Renault et France Télécom. La question reste-t-elle d’actualité ?

Romain Cristofini : On estime aujourd’hui à 400 par an les suicides liés au travail en France. Ce phénomène en augmentation est donc toujours très préoccupant. Mais avec le recul, ces vagues de suicides représentaient d’une certaine façon uniquement la partie émergée (ou médiatique) de l’iceberg. .Elles ont mis en évidence la nécessité de prévenir en amont les risques humains par une démarche de prévention rigoureuse et susceptible de questionner en profondeur l’organisation, ses pratiques de management, de gestion, de reconnaissance… pour identifier les facteurs de risque à l’origine du stress chronique, du mal-être, voire de la souffrance. En résumé, les suicides ont accéléré la prise de conscience du fait que de nombreuses organisations du travail étaient potentiellement pathogènes. Les RPS se sont donc imposés comme un dossier RH incontournable, phénomène renforcé ou accéléré par une jurisprudence de plus en plus dure pour l’employeur.

 
A l’époque, vous aviez lancé un service d’écoute des collaborateurs par téléphone qui se démarquait des plateaux d’assistance psychologique habituels (cf. Actu ConsultingNewsLine 2010-2011). Là aussi peut-on « faire le point » ?

Romain Cristofini : Nous avons en effet lancé en 2010 une offre baptisée CARE®, toujours active aujourd’hui et qui s’est fortement développée depuis son lancement (nous couvrons environ 45 000 salariés aujourd’hui). Le parti-pris était de se démarquer des "numéros verts" proposés par de nombreux acteurs et pour lesquels des psychologues anonymes se relaient sur un plateau d’assistance téléphonique. CARE® propose au contraite un service d’écoute psychologique assuré par un psychologue unique, expérimenté et accessible, bien identifié comme le correspondant de l’entreprise et de ses collaborateurs. Ce "consultant" réalise des consultations par téléphone sur rendez-vous  dans un cadre beaucoup plus qualitatif et individualisé. Capitalisant sur tous les entretiens qu’il réalise, il affine jour après jour sa connaissance de l’entreprise et de ses problématiques  et se trouve donc en capacité de fournir à l’entreprise un "retour" quantitatif et qualitatif régulier réellement pertinent (par opposition à des statistiques brutes et peu explicites). Le consultant devient un véritable "psychologue référent" et tout se passe comme si l’entreprise se dotait d’un psychologue venant compléter son équipe interne de prévention.


A la même époque, on a beaucoup parlé de " formation professionnelle ", notamment par les textes de lois qui ont évolué dans le bon sens. Ces nouveaux besoins et ces nouvelles dépenses de formation ont-ils contribué à l’évolution de votre offre ?

Romain Cristofini : Cela s’est développé énormément et a eu un impact certain sur notre activité en volume, comme peut l’illustre rnotre activité avec des clients comme AREVA ou Air France pour lesquels nous avons à former plusieurs milliers de managers sur 3 ans.La compréhension des mécanismes du stress au travail et le dépistage des risques psycho-sociaux font aujourd’hui pleinement partie du corpus de compétences managériales à acquérir par tout manager, des cadres au Comité de Direction lui-même. Il faut bien comprendre que ces domaines nécessitent des aptitudes relationnelles, communicationnelles et émotionnelles incontournables pour le manager moderne.
 

Y avait-il des dispositions réglementaires concernant spécialement la formation en risques psycho-sociaux ?

Romain Cristofini : Pas spécialement, mais une prise de conscience du fait du Plan Darcos et des rapports ministériels qui ont suivi (dont le Rapport Lachmann de 2010) que la résolution de la problématique du stress passerait prioritairement par le manager, " premier acteur de la santé au travail ".

Romain Cristofini, comment peut-on conclure sur ce " passé récent " de votre activité et de son évolution ?

Romain Cristofini : Si je devais résumer, je dirais que la principale nouveauté a été, dans le prolongement de nos activités, d’aller vers " l’accompagnement humain du changement " qui est devenu un besoin commun, dans le public comme pour le privé et que nous avons découvert en rejoignant Bernard Julhiet Group. Pour le public, il y a eu la réforme de l’Etat, la RGPP, les réductions budgétaires… pour le privé il y a eu et il y a toujours la question du rythme du changement, de l’ouverture des frontières, de la globalisation... L’ensemble des acteurs s’est donc retrouvé à devoir gérer un changement permanent avec, à l’évidence, un manque d’expérience sur le management de ce changement et son impact psychologique sur les interessés. Aujourd’hui, se préoccuper de la santé des collaborateurs ne constitue pas un frein au changement, c’est plutôt un facteur de réussite de ce dernier. Et là, force est de constater que nous avons su apporter un savoir-faire original mêlant expertise dans le domaine de la santé au travail et conduite du changement opérationnelle et venant combler un vide existant : les cabinets de conseil en statégie s’occupent encore uniquement de changement d’organisation, pas d’organisation du changement et encore moins de préservation de la santé dans ces périodes de turbulence. Si la question de la motivation, de l’acceptation du changement s’est toujours posée, pas celle du vécu psychologique ni de la santé des collaborateurs et du management de proximité. On passait à côté, voire on négligeait les aspects humains. Aujourd’hui, on ne peut bouleverser l’environnement des gens tous les 6 ou 12 mois sans écouter et impliquer plus étroitement les collaborateurs. Il y va de la santé des gens, mais aussi de leur productivité, de leur maintien dans l’entreprise et de leur recrutement. Si vous ne savez pas faire, vous les perdrez. Et là nous pouvons attester d’expériences nombreuses tant avec des entreprises du SBF 120 que de grandes administrations comme le Ministère de l'Intérieur.

 
Capital-Santé


Et si l’on devait retenir le point sur lequel vous allez vous concentrer maintenant ?

Romain Cristofini : Ce serait celui que j’ai indiqué en introduction : l’avènement de la Qualité de la Vie en Entreprise comme un enjeu stratégique. D’une certaine façon, certaines entreprises dépassent maintenant le stade du psycho-social – vécu comme une obligation juridique ou sociale - pour se poser la question plus vaste de ce que peut leur apporter de véritables investissement dans la Qualité de la Vie  au Travail. Celle-ci dépasse la seule santé au travail et interpelle directement notre modèle de performance en acceptant de regarder en face les nouveaux besoins des collaborateurs: besoins de reconnaissance, de sens, d’équilibre de vie, de développement personnel, d’employabilité, d’un meilleur cadre de travail… A ce titre, la QVT représente un concept très moderne et certainement l’un des meilleurs leviers pour favoriser le réengagement des collaborateurs.


Vous citez le " cadre de travail ". On a connu en effet le laminage réalisé par les Open Space,  auxquels les consultants se sont ralliés pour eux-mêmes - avec la dépersonnalisation que l’on sait. Irait-on vers plus de « chouchoutage », voire plus de " paternalisme New look ", comme on le voit dans une certaine entreprise d’indexation de l’internet, si l’on en croit son fournisseur de " lampes à laves * " ?

Romain Cristofini : Je n’en suis pas persuadé. Fournir un service aux collaborateurs, c’est avant tout un calcul ! Plus personne ne fait rien pour rien et pour reprendre l’exemple que vous citez, la génération Y, puisqu’il s’agit de personnel jeune, a un rapport différent au travail et est très mature (voire distante) avec son employeur, davantage " donnant – donnant " que les générations précédentes. Il ne s’agit donc pas selon moi d’un paternalisme déguisé mais davantage d’une réponse aux attentes personnelles. Le calcul est donc plus " assumé " par cette génération qui n’y voit pas du paternalisme mais qui indique des besoins en échange d’une performance attendue. Les choses sont donc assez Cool mais aussi assez Cash ! Et il n’y a pas que la génération Y dans ce cas. De plus en plus d’entreprises y réfléchissent, certaines le propose déjà. L’intégration " Pro-Perso " est plus facile grâce aux nouvelles technologies et très clairement, il y a des lignes qui bougent, souvent en échange d’horaires plus souples.

Ma conclusion serait que les RPS, les Risques Psycho-Sociaux se sont imposés comme un véritable sujet d’entreprise, mieux traité, mieux géré, avec une véritable réglementation qui les rend incontournables. Les pionniers qui se sont emparés de ce sujet sont déjà passés au stade suivant de la Qualité de Vie au Travail; il s’agit là d’une orientation stratégique questionnant de nouveau mais avec plus d’authenticité (et de nécessité) la notion de capital humain.

La QVT – dans son acceptation la plus ambitieuse - représente l’opportunité pour les salariés de se réapproprier une organisation et une gouvernance du travail qui leur ont été dictées depuis 15 ans par une logique gestionnaire de recherche de productivité (matérialisée par des projets concrets et structurants: Erp, matriciel, indicateurs qualité, lean management…). A l’inverse de la prévention des RPS, il ne s’agit pas ici de compenser ou limiter les excès des modes de travail modernes. Il s’agit de les réinventer, de créer les conditions d’une performance globale et durable de l’organisation conciliable avec les besoins des personnes


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine



* référence aux lampes à lave des années 60 que Google utilise dans son environnement créatif 
   " Googleplex "  de Mountain View en Californie


Images :
Courtoisie Capital - Santé

Whoswoo :
Romain Cristofini

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Le stress en entreprise (déc 2009)

Pour info :
www.capital-sante.fr/


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