L'expert
28 déc 2009   

Le Stress en Entreprise
Par Romain Christophini, DG de Capital-Santé 

Créé en 2002, Capital-Santé est un cabinet spécialisé dans le domaine de la Santé au travail. Présent à Paris et Aix en Provence, ses 13 consultants interviennent essentiellement auprès de grosses PME et des entreprises du CAC 40 telles que : Axa, Capgemini, Société Générale ou encore Natixis… Le cabinet a participé en présence de Xavier Darcos, Ministre du Travail,  à la remise des Trophées du “ Mieux Vivre en entreprise 2009 ” organisé par RH&M. Dans l’aval de cet événement, Romain Cristofini fait le point avec nous sur ce métier de conseil en plein développement, ainsi que sur la vague de suicides dont les média se sont fait abondamment l’écho.


Romain Cristofini, vous êtes le Directeur Général de Capital-Santé, pouvez-vous nous préciser les activités d’un cabinet tel que le vôtre ?

Romain Cristofini : Eh bien je dirai que 90 % de notre activité est dans le domaine de la prévention du stress et des risques psychosociaux. Nous sommes ainsi spécialisés dans ce qu’il était convenu d’appeler “ la Santé au travail ” et que l’on évoque aujourd’hui de plus en plus par le concept de “ Bien-être au travail ”. Pour ce faire nous nous concentrons autour de 3 pôles d'activité : tout d’abord un  pôle “ Conseil et les études ”, soit encore tout ce qui concerne l'accompagnement de la stratégie de prévention des sociétés. Premier outil de ce pôle, l’évaluation du stress que l’on peut réaliser sur site, mais aussi par questionnement sur Internet, ce qui permet de l’étendre à des milliers de personnes. Ensuite nous avons un pôle “ Formation ”.  Il s'agit là de former les hommes et notamment le Management à la gestion du stress afin qu'il adopte des techniques managériales lui permettant de ne pas induire de “ stress supplémentaire ” auprès des équipes et de soutenir les collaborateurs en difficulté. Rappelons que le rôle du manager est de motiver, d’entraîner et que cette exigence peut parfois générer un stress excessif qui peut être la source de tensions, lesquelles sont au bout du compte contre-productives. Enfin nous avons un troisième pôle dit de  “ Prévention tertiaire ”, relatif au soutien psychologique, où là nous faisons appel à des psychologues qui vont aider des individus déjà installés dans le “ mal-être au travail ”,  que ce soit dans des activités difficiles et génératrice de stress, métiers en contact avec la clientèle par exemple, ou dans le cas de plans sociaux, ou encore dans le cadre de métiers à forte tension et à forts risques d'accidents au travail.


Les situations d’accidents ou de catastrophes entrent-elles dans votre champs d’activités ?

Romain Cristofini : Oui, tout à fait, ce qui peut-être le cas pour les métiers à risque de hold-up par exemple, ou l’aval de suicides,  mais il y a là une question de [timing] et de répartition des rôles.  Nous réalisons des consultations sur site dans la cadre de la problématique des risques physiques et psychologiques, mais il ne faut pas confondre notre action avec celle souvent plus immédiate des cellules psychologiques qui sont mises en place dans des délais inférieurs à  72 heures par les préfectures dans le cas d’accidents ferroviaires ou aériens par exemple. Nous agissons sur des sujets de plus petite ampleur ou s’inscrivant dans une échelle de temps plus longue, même si nous pouvons intervenir rapidement, la frontière n'étant pas fermée.


Le sujet qui préoccupe aujourd’hui les managers français, c’est cette vague de suicides dont la presse et les syndicats se sont emparés. Que peut-on en dire ? S’agit-il d’un phénomène lié à la crise ? Xavier Bertrand que nous avions interviewé en 2008 avait déjà pris des dispositions. Le stress serait-il devenu une priorité nationale ?

Romain Cristofini : la problématique du stress au travail n'est pas nouvelle. Les travaux sur le sujet remontent à 20 ans. Depuis 5 ans, elle fait l'objet d’une véritable action en entreprise. Donc le stress ce n'est-ce pas nouveau. Pour ce qui est du suicide, c'est la partie émergée de l'iceberg, la plus choquante, et cela a bien évidemment occasionné un emballement médiatique. Mais ceci dit, il y en a toujours eu et il n'est pas évident qu’il y en ait plus aujourd'hui que les années précédentres.  Le problème est qu'il n'y a pas d’épidémiologie du suicide au travail ! En effet  nous avons bien des chiffres, mais ils représentent le suicide dans sa globalité. Cela dit, sous  toutes réserves, on peut extrapoler le nombre de 1 suicide par jour de travail en France (source INRS) et ce chiffre n’a peut-être pas trop varié. Donc ce n'est pas nouveau et il n'est pas certain qu'en 2008 et 2009 cela se soit aggravé. On le saura dans un certain nombre d'années, après la crise. Mais cela dit, dans le déluge social de notre époque, c'est bien évidemment la goutte d'eau qui fait déborder le vase ! Au-delà d'un certain seuil, cela devient intolérable, ce qui interpelle les pouvoirs publics. On est donc arrivé aujourd’hui à point de saturation qui cristallise l'attention des médias, comme de l'ensemble des partenaires sociaux, alors que jusqu'à présent la souffrance au travail était totalement occultée, conduisant à un accord [Xavier Bertrand] seulement en 2008,  alors même qu’il existait des textes européens... mais le patronat en France ne souhaitait pas ouvrir cette boîte de Pandore. Il semble que la situation ait changé aujourd’hui et que les entreprises soient devenues plus sensibles au sujet. Depuis il y a eu la vague de suicide chez Peugeot et  Renault en 2008, EDF et France Télécom faisant figure de deuxième vague.


Si l’on ne peut donc encore établir une corrélation entre crise et suicides, il ne fait aucun doute pour vous que le stress compte pour beaucoup et l’on s’entend pour dire que celui-ci aurait augmenté ces 10 dernières années du fait de l’évolution des modes de travail. Qu’en est-il?

Romain Cristofini : Xavier Bertrand a eu la volonté de mettre en place un indicateur sur ce phénomène, le stress, pour lequel nous avons donc maintenant des chiffres, même si ces derniers ne doivent pas occulter le fond du sujet. Il y aurait ainsi de 25 à 40 % des salariés qui seraient stressés. Pour certains cela serait tolérable, alors que pour d'autres la souffrance conduirait à un mal-être qui deviendrait de plus en plus fort et occasionnerait non seulement des conséquences humaines mais aussi des effets en terme de performance économique.


On imagine que les pertes de performance puissent interpeller les entrepreneurs, mais les conséquences humaines sont dans notre culture le point important. Comment se fait-il que certains supportent le stress et d’autres pas ?

Romain Cristofini : Il existe des prédispositions à être plus ou moins sensible au stress : la solitude, l'histoire personnelle, le type de personnalité… tout cela rentre en ligne de compte. Là-dessus on n’est pas tous égaux ! Mais cela dit, les accords de 2008 disent clairement que, nonobstant les caractéristiques individuelles des salariés, dans l'organisation du travail, il convient d’identifier les sources de stress qui n’auraient pas lieu d'être et de celles qui relèvent du travail proprement dit, et sur ces deux points, de prendre des dispositions pour en atténuer les effets. Dans les faits, la plupart des gens font face à leurs contraintes professionnelles et se portent relativement bien, mais il existe une certaine frange d’individus ou de métiers dans lesquels le mal être se répand, et ce, malgré les techniques de gestion du stress. Par exemple dans les centres d'appels : charge cognitive élevée, modes d'organisation très pesants sur les individus, pression du client, tout cela étant  générateur de stress. Et là, quelle que soit la résistance face au stress, certaines personnes ne pourront pas faire face. Donc s’il peut y avoir un lien avec l'histoire personnelle et la vie privée, cela ne  dédouane pas les entreprises de se questionner sur le “comment peuvent-elles mieux s'organiser” pour réduire le stress et atténuer ses effets. Pour l'entreprise il y a donc ce “ devoir ” d'interrogation sur le stress qui n'est pas valable pour la bonne marche, par des questionnements, des études, afin de s’interroger sur ce qui doit être modifié dans l’organisation, la communication, le management… De là, les adaptations et la mise en place des moyens de formation pour faire face dans l'activité normale ainsi que dans les situations d'incertitude, changement, pression … Cela consiste donc avant tout à analyser les situations pour minimiser les effets et dans les cas extrêmes à former et soutenir les gens pour faire face. Par exemple le cas du client difficile, comme je l’ai indiqué. Mais le stress n’est pas l’apanage des professions à risque ou en clientèle !  Il existe maintenant une pénibilité psychologique liée à l'évolution sociétale. On est tous devenus schizophrènes, c'est-à-dire à la fois sensibles en tant qu’employés et exigeants en tant que clients… Par ailleurs certaines dispositions nouvelles dans nos organisations ont considérablement renforcé le stress: [Open spaces], structures matricielles,  gestion par projet... Autant d'éléments qui se sont transformés en nouvelles sources de stress. Le stress se niche aussi dans de nouvelles formes de frustration telles quel : le manque de reconnaissance, l’éclatement géographique des structures qui font que les décisionnaires sont parfois au bout du monde, le manque de visibilité sur l’avenir, l'incertitude lors des restructurations...


N’y a-t-il pas d’ailleurs dans ces grandes manœuvres planétaires d’achat et revente d’entreprises, de “ fusion-acquisition ” dit-on aujourd’hui, une source de stress d’origine plus culturelle, qui serait particulière à la France, qui voit d’un mauvais œil la vente de ses entreprises à “ l’Etranger ” ou leur délocalisation ?

Romain Cristofini : Voir son entreprise rachetée est parfois interprété par les salariés , de manière plus ou moins consicente, comme être  soi-même vendu. En France, les salariés entretiennent une relation professionnelle au travail personnelle et passionnelle, qui n’a pas d’équivalent dans les pays anglo-saxons. Donc, la déception est plus forte le cas échéant, même si sur ce point nous n'avons pas de comparatifs avec les autres pays latins. Donc oui être vendu, fermé, racheté est bien évidemment source de stress pour les français tant pour “ ceux qui partent ” que pour “ ceux qui restent ”.


Romain Cristofini,  pour clore cet entretien, si l’on devait donner des indications à un chef d’entreprise confronté à des problématiques de stress dans son entreprise, quelles seraient-elles?  Le Coaching serait-il une de ces solutions ?

Romain Cristofini : Je dirais que le stress et les risques psychosociaux sont un sujet comme un autre et doivent être attaqués avec de la méthode et de la mesure ! Car d’abord on doit mesurer, évaluer ce qui génère le stress et identifier quels sont les sources de stress oraganisationnelles que l'on peut éliminer. Et c’est sur la base de ce constat que l'on peut transformer un sujet qui semblait au départ subjectif en un objet qui devient "objectif", car oui le stress cela se mesure (à l’aide d’échelles de mesures validées soumises aux salariés notamment) et l’on peut alors mettre en place un plan d’actions correctrices. Donc, analyser puis agir ! Là, le Coaching, individuel, collectif, peut faire partie d'un plan d'action, notamment lorsqu'on a atteint les limites de la formation. C’est tout particulièrement le cas pour le management de proximité, le “ Middle Management ”… En effet, le manager intermédiaire est stressé, car il est pris entre la base [revendicative] et la direction, alors même qu'il doit porter le projet, voire le changement dans l’entreprise et qu’en règle générale il n’a plus aujourd’hui de soutien direct à son action. Par ailleurs, passer d'un management autoritaire à un management plus [participatif, convivial] passe par la formation, mais aussi par un accompagnement en Coaching complémentaire.

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédateur en chef, ConsultingNewsLine



Images :
Courtoisie Capital-Santé 2009

Whoswoo :
Romain Cristofini

Pour info :
http://www.capital-sante.fr/

 


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