Invité
Mars-Avril 2007






Interview : Christian Brodhag
Délégué Interministériel au Développement Durable


Christian Brodhag, Merci de nous recevoir Avenue de Ségur. Vous êtes le Délégué interministériel au Développement Durable. Ce titre est nouveau. Peut-on savoir d’emblée ce qu’il définit ?

Christian Brodhag :
C’est une fonction transversale. Mon rôle est celui de médiateur entre les divers ministères concernés par les problèmes de développement durable. Je dépends du Premier Ministre et je suis placé auprès du Ministre de l’Ecologie et du Développement durable qui me fournit mes moyens. J’ai un rôle de mobilisation et d’animation de la Stratégie nationale de Développement durable.


Christian Brodhag, vous êtes connu des milieux associatifs, de la recherche et du conseil en environnement. Le monde du conseil en management ne vous connaît pas encore. Peut-on esquisser pour nos lecteurs la trajectoire qui vous a amené à votre présente fonction ?

Christian Brodhag :
Après un premier engagement politique auprès des Verts, parti dont j’ai été le Porte-parole de 1989 à 1991 avant de le quitter en 1994, je me suis consacré à la recherche à l’Ecole des Mines de Saint Etienne. Comme Directeur de recherches j’ai encadré des thèses à partir de 1995 sur des thèmes concernant les systèmes d’information et l’environnement. J’ai été Président de la Commission française du Développement durable en 1996. Dans le cadre de ces activités, mes réflexions m’ont conduit à développer des outils, notamment des sites Internet, avec celui qui allait devenir www.mediaterre.org , un système d’intelligence collective sur le développement durable dans l’espace francophone qui dépasse aujourd’hui les 2 millions de pages lues mensuellement. Ensuite j’ai dirigé le Comité AFNOR pour la rédaction du standard SD 21000 avec en parallèle l’encadrement de thèses sur le développement d’un outil d’accompagnement de ces lignes directrices pour les PME. J’ai pu concilier expérimentation terrain et recherche.


Et de là vous êtes nommé au poste que vous occupez aujourd’hui ?

Christian Brodhag :
En effet. En juin 2003 le Gouvernement Raffarin I lance le Secrétariat d’Etat au Développement durable. Tokia Saïfi est alors nommée à ce poste pour impulser dans une première phase la politique de développement durable et rédiger la stratégie. Je suis alors membre de la commission Coppens pour la charte de l’environnement, et du Conseil national du développement durable. Puis, je suis nommé dans sa suite en juillet 2004. Là, le Premier Ministre a choisi de rendre plus opérationnel cette fonction et a décidé de transformer le poste de secrétaire d’Etat en celui de Délégué interministériel au Développement durable. Ce poste prend donc, dans cette seconde phase, un rôle de coordination et de déploiement de la politique en faisant coopérer les différents ministères. Tout l’intérêt du développement durable est en effet de créer des coopérations au sein d’un environnement ministériel où, comme vous le savez, il existe une certaine compétition. Pour cela je dépends directement du Premier Ministre.


Donc un rôle transversal. Comment se définit-il par rapport aux enjeux du Développement Durable, lesquels sont internationaux ?

Christian Brodhag :
Tokia Saïfi a mis en place la "Stratégie nationale de Développement durable", dans un mix d’objectifs et d’actions. Il s’agissait là d’un premier travail réalisé à partir de zéro, puisqu’il n’y avait pas de stratégie auparavant. Deux ans après nous avons invité quatre pays, la Belgique, le Ghana, L’Ile Maurice et le Royaume Uni, à l’évaluer et faire des recommandations d’amélioration dans une "Revue par les Pairs". Cette expérience très originale a séduit l’Europe, et elle est reprise maintenant au niveau international. Il existe maintenant une revue par les pairs selon la méthode française. Et là, je pense que ce point va parler aux consultants. Grâce aux propositions des pays et l’expérience accumulée, dont nous rendons compte scrupuleusement chaque année dans un rapport public, nous avons pu saisir l’occasion de la nouvelle "Stratégie européenne de Développement durable" de juin 2006 pour actualiser notre stratégie nationale et l’inscrire dans la dynamique européenne. Nous avons rendu "euro-compatible" la stratégie de développement durable initiale et nous l’avons déclinée dans un cadre français. Il s’agit là d’un processus d’amélioration continue, qui nous a permis à la fois de la rendre plus stratégique en identifiant des objectifs et des indicateurs, mais aussi plus opérationnelle et concrète.


Le Président de la République s’est largement engagé pour l’environnement et le développement durable, notamment à l’occasion de son discours à l'ONU et du récent sommet sur le Réchauffement climatique, une impulsion qui restera historique. Comment avez-vous intégré cette donnée favorable du chef de l’Etat à votre action ?

Christian Brodhag :
L’intervention du chef de l’Etat se situe en amont, dès Johannesburg où il a proposé notamment la revue par les pairs. Son impulsion a été déterminante dans la charte de l’environnement qui a intégré dans la Constitution au même niveau que les droits de l’Homme de 1789 des droits et des devoirs environnementaux. L’article 6 de la Charte de l’environnement proclame même que les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable.

Christian Brodhag



Oui, d'autant que les questions environnementales et sociales sont devenues un enjeu majeur pour le Conseil. Et dans la hiérarchie que vous nous indiquez vous avez introduit le social en numéro un ?

Christian Brodhag :
Tout à fait, le développement durable intègre les dimensions économique, sociale et environnementale. Le Commission européenne la pilote maintenant depuis le secrétariat général et plus depuis la DG Environnement. Nous avons fait une analyse stratégique française sur la base d’une douzaine d’indicateurs européens, en notant leurs tendances et en comparant avec les autres pays européens. Par exemple aujourd’hui le cas le plus grave concerne les ressources en poissons, et leurs conséquences tant pour la diversité des espèces ou les ressources alimentaires que pour l’aspect social sur les populations qui vivent de la pêche. Jusqu'à présent il y avait séparation entre l’économique, l’environnement, le social... Cette approche de développement durable permet d’établir des liens entre des problèmes jusque là déconnectés.


Les indicateurs et leur pertinence sont affaire de point de vue, j’imagine. Cela n’a pas dû être très facile compte tenu des procédures en vigueur dans les diverses administrations ?

Christian Brodhag :
En effet la bataille n’a pas été triviale sur les indicateurs et l’utilisation des statistiques, notamment sur les indicateurs d’état et d’impact. Par contre nous n’avons pas réussi pour l'instant à croiser la LOLF avec notre démarche. La loi organique des lois de finances modifie profondément le mode de gestion de l’administration en formalisant des missions, des objectifs et des outils d’évaluation de l’efficacité. Mais elle n’a pas été construite en prenant en compte le développement durable. Elle marque un progrès dans notre pays ou il n’existe pas encore de véritable culture de l’évaluation des politiques publiques. J’espère que ces questions seront résolues dans la prochaine révision de la Stratégie nationale de Développement durable qui devrait intervenir en juin 2008.


Qu’est-ce que la méthode de Développement Durable que vous avez développée apporte principalement ?

Christian Brodhag :
Le fait qu’il existe un processus global impliquant l’ensemble du gouvernement, des plans d’actions dont on garantit la cohérence et l’allocation de moyens., et des processus de suivi et de rendu compte. C’est du management moderne.


Les échéances électorales que vous mentionniez ne risquent-elles pas de remettre en cause un outil récent et donc sa « durabilité » ?

Christian Brodhag :
Malheureusement le débat politique ne s’est pas encore emparé de cette approche. Mais là c’est fait, cela existe, ça avance et de plus cette expérience est reconnue au niveau européen. A titre d’exemple je rentre aujourd’hui de Bruxelles où j’ai appris que le Conseil des Pays Nordiques va organiser un colloque sur le Développement durable et dont les organisateurs nous ont demandé de présenter l’expérience française. Donc la France a mis en place une stratégie et initié la méthode de revue par les pairs, que de nombreux pays envisagent d’imiter.


Si l’on devait faire un bilan des diverses avancées et actions que pourrait-on retenir?

Christian Brodhag :
Je dirai pour notre action : une méthode managériale, un processus d’engagement et une amélioration continue. Mon souci porte sur la pérennité après le changement de gouvernement, je compte beaucoup, pour cela, sur l’engagement des acteurs économiques, des régions et collectivités locales et des établissements publics. Pour ce qui est de la diffusion "grand public" du concept de développement durable, en juin 2002 il y avait 23% des français qui avaient entendu parler du développement durable mais seuls 1,6% se jugeaient bien informés. Après Johannesburg la notoriété a progressé. Le travail de fond a conduit à une notoriété de 64% et surtout 26% des français se jugent bien informés.

Christian Brodhag


S’agissant des entreprises ?

Christian Brodhag :
Il y a de multiples raisons pour que le concept s’y diffuse : la responsabilité sociale qui leur incombe, la gestion des risques et la réputation avec les agences de notation qui jouent un rôle d’arbitre et aussi les opportunités de nouveaux marchés. Mais le système n’est pas encore mature, les entreprises font face à des demandes variées, qui divergent au point que certaines ont sollicité la mise en place d’un cadre global unifié à l’ISO avec les travaux de la norme ISO 26000 auxquels nous participons. Les industriels français avaient anticipé cette initiative dès 2000, les travaux de l’AFNOR sur le développement durable avaient conduit au texte SD 21000. Ce travail a permis de dégager un consensus français qui facilite la tâche de la délégation à l’ISO qui est formée de 6 représentants de différents intérêts : j’y représente les positions de l’Etat, Didier GAUTHIER de Séché Environnement celles des entreprises, Thierry DEDIEU de la CFDT, Marie-Laure DAVY des consommateurs Léo Lagrange, Fouad BENSEDIC de Vigéo et Dominique SAITTA de la CRAM. Il faut rajouter Pierre MAZEAU d’EDF qui préside un groupe de rédaction. Le tout est organisé au sein de l’AFNOR.


La France a-t-elle initié cet ISO 26 000 ?

Christian Brodhag :
Cela n’a pas été à notre initiative, notre pays s’est mis en position active pour faire des contributions, d’assurer la présidence d’un des 3 groupes de rédaction, tandis que je représente avec l’Inde les gouvernements dans le Comité Directeur. Donc, il y a des choses qui bougent à l’international avec ISO 26000 qui devrait être publié en 2009. Et de façon opérationnelle il y a dès maintenant le SD 21000 de l’AFNOR, qui a déjà été utilisé par plus de 200 PME .


Peut-on aborder les divers points concernant votre action en rapport avec la conférence internationale qui vient de se dérouler ?

Christian Brodhag :
L’initiative prise par le Président de la République vise à créer une "Organisation des Nations unies pour l’Environnement". Cette ONUE est déjà portée par la France depuis près de 3 ans. Plus de 40 pays soutiennent maintenant cette initiative qui vise à renforcer le poids de l’environnement dans les institutions internationales. Le Président Jacques Chirac a aussi proposé la rédaction d’une "Déclaration universelle des Droits et des Devoirs environnementaux". La Déclaration universelle des Droits de l’Homme ne prend pas en compte le développement durable. Il s’agirait là d’une troisième génération des Droits de l’Homme après les droits politiques et les droits économiques et sociaux. Ce travail a été fait dans la Constitution française avec la Charte de l’environnement. C’est sur ces bases que le Président propose la rédaction d’un texte universel pour l’environnement et le développement durable sur une même forme que la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Ceci a suscité beaucoup d’intérêt d’autant que le monde lui reconnaît d’avoir fait beaucoup de choses pour l’environnement.


Concrètement pour votre Délégation interministérielle cet ensemble (déclarations internationales, cadre normatif, stratégie de développement durable de la France, méthode française... ) s’est fait en parallèle à quelles actions de terrain ?

Christian Brodhag :
La Stratégie nationale de Développement durable est très concrète. L’un de ses objectifs est de permettre à chaque acteur ou chaque organisation de disposer d’outils d’information et d’action. Pour les collectivités locales, nous avons défini, avec les associations d’élus et les associations spécialisées, un cadre de référence pour les Agendas 21 locaux qui part des meilleures expériences dans le domaine. Il précise la méthode et les objectifs qui sont proches de ceux de la Stratégie européenne de développement durable : climat énergie, biodiversité et ressources naturelles, cohésion sociale et territoriale, qualité de vie et santé, modes de production et de consommation responsables. Un dispositif de reconnaissance valorise les collectivités engagées sur le développement durable.Il s’agit donc d’outils concrets pour les collectivités. Ceci ne s’arrête pas là. Les collectivités comme les administrations ne réalisent pas tout et passent commande. D’où une action à ce niveau. Ainsi les marchés publics (qui représentent 14% du PIB) jouent un effet de levier pour favoriser le "Mieux disant environnemental et social". Il s’agit d’un levier économique important pour changer les modes de production et de consommation. Le nouveau code des marchés publics demande d’introduire ces objectifs de développement durable dès la définition des objets du marché. Enfin nous avons aussi mis en place des dispositions pour préparer l’avenir via l’éducation. L’éducation à l’environnement fait partie depuis janvier 2004 du programme scolaire. Et le développement durable dans toutes ses composantes fait partie du socle commun de connaissances et de compétences, qui entrera en application pour la rentrée 2007.
 

Après avoir passé en revue ces diverses actions pour le Développement durable du Gouvernement et de vos services, et même si le peu de temps qui nous était imparti ne permettait pas d’aborder tous les aspects du sujet dans leur détail, peut-on Monsieur le Délégué interministériel, en conclusion de cette interview, recueillir votre avis sur l’avenir de ce concept de Développement durable et sur la prise en compte par l’Etat de la transversalité propre au concept ?

Christian Brodhag :
Je dirai qu’il existe différents scénarios de structure gouvernementale. On évoque par exemple un regroupement de l’Equipement et de l’Environnement. Il faut que le Développement durable soit bien un mécanisme transversal, et qu’il soit représenté auprès du Premier Ministre. Il faut faire une distinction entre l’environnement et le développement durable. Il faut une capacité en environnement pour évaluer les impacts et édicter les règlements. Donc un tel ministère doit subsister et même se renforcer. De même, il doit y avoir une méthode et des processus d’intégration de l’environnement dans les autres politiques. Par exemple pour tenir compte des changements climatiques, il faut développer des technologies, investir dans les bâtiments et les transports. Il faut donc que les divers ministères : Equipement, Industrie, Santé,  développent les solutions... Le développement durable apparaît comme la vision globale qui permet de dégager des synergies et d’arbitrer les contradictions, pour appliquer l’article 6 de la charte : concilier la protection et la valorisation de l’environnement, le développement économique et le progrès social. Cet équilibre doit être organisé directement par le Premier Ministre.

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine



Pour info :
www.developpement-durable.gouv.fr


Whoswoo : 
Christian Brodhag

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