Le consultant du
mois
Octobre
2004
Spécial
Mondial de l'Automobile
Interview
de Remi Cornubert,
Vice Président de Mercer Mangement Consulting
Le
Mondial de l’Automobile était l’occasion idéale pour
Mercer de publier plusieurs rapports sur ce secteur en pleine
croissance. Rapports optimistes s'il en est puisqu’ils prévoient
un avenir radieux à l’horizon 2015, notamment en Europe,
laquelle garderait son leadership mondial. En dehors de l’aspect
affectif que les consommateurs attachent à l’automobile, ce
secteur compte pour 15% du PIB mondial et emploie près de 8
millions de personnes
Rémi Cornubert
est Vice Président du bureau parisien de Mercer Mangement
Consulting, en charge du secteur automobile. Il est un des meilleurs
spécialistes de la place et vient de publier une synthèse
dans une édition spéciale de notre confrère Science & Vie consacrée
à l’automobile. A l’occasion du salon Mondial de l’Automobile de
Paris il nous accorde une interview.
Rémi
Cornubert dans vos écrits vous faites une constante
référence à la marque. Ce point serait-il
essentiel dans l’automobile ?
Rémi
Cornubert: Ces 10 dernières années ont
amené une consolidation du secteur. Beaucoup de marques ont
été rachetées. On a assisté à la
constitution de grands groupes en portefeuilles de marques de par
l’aspect mondial et les économies d’échelle qui en
résultent. Aujourd’hui cela a détruit plus de la valeur
que cela en a créé : les constructeurs ont oublié
que derrière les grandes manoeuvres il y a des clients. La
presse s’interroge sur le positionnement des marques sur le
marché et sur comment optimiser la valeur que l’on tire de cela.
Certains consommateurs sont “ perdus ”. Un groupe comme VAG est
allé trop loin dans la recherche de plateformes communes (VW,
Skoda, Seat...). Pourquoi le client paierait-il un premium de 8% s’il y
a partage de pièces, notamment visibles ? D’où un certain
nombre de questions : comment structurer le portefeuille de marques et,
au-delà des attributs produits, comment la marque peut-elle
engendrer des phénomènes de mode et améliorer la
proposition de valeur au consommateur. Premier grand défi.
Le produit
apparaît donc central mais il convient aussi de le fabriquer.
Assiste-t-on là aussi à une évolution ?
Rémi
Cornubert: Quel est le cœur de métier d’un constructeur
? Une automobile cela représente un ensemble de
pièces de plus en plus compliquées et dont le nombre est
en augmentation. Les constructeurs ne peuvent plus maîtriser cet
ensemble d’où le transfert de valeur vers leurs
équipementiers. Que leur reste-t-il ? En amont il y a le “
pré carré ” du constructeur : style, définition
produit (concept, fonctionnalités), architecture produit et de
gamme (monospace chez Renault par exemple). C’est
fédérateur et global. Ensuite il y a
l’électronique. Même si de grands fournisseurs assurent
l’essentiel de l’innovation et de la production, il faut
fédérer cet ensemble de manière cohérente
et faire communiquer les éléments entre eux.
L’architecture d’électronique devient donc un des métiers
du constructeur, plus le soft. C’est une activité de
création de valeur au cœur même des métiers du
constructeur. Enfin l’assemblage final dont la maîtrise permet
d’assurer la qualité maximum pour le client, sauf dans le cas de
produits de niche qui peuvent être sous-traités (Matra
Pininfarina, Karman...).
Est-ce
là les seules activités qui resteraient aux constructeurs
?
Rémi
Cornubert: Les constructeurs généralistes sont
organisés pour produire de grands volumes. Mais il y a l’aval de
la production: c’est un grand défi car certaines
activités sont moins gourmandes en capitaux que la conception et
la fabrication et dégagent une plus forte rentabilité.
L’aval est donc un enjeu de meilleure gestion des actifs et de
meilleure image sur les marchés financiers, avec une plus forte
rentabilité. Qu’y trouve-t-on ? Le financement (Renault Credit
International par exemple), les assurances, les contrats de
location-propriété (ex de Smart), l’extension de
garanties (au delà de la garantie constructeur d’origine),
l’entretien forfaitaire... Des services embarqués tels que, le
guidage, l’info-trafic, l’accés à l’internet lesquels
forment les prémisses du bureau embarqué de demain. Il
existe entre autre une valeur importante pour les nomades comme les
VRP: la vision tête haute ou encore l’interface vocale. Sur ces
services il existe une problématique de sécurité
et d’ergonomie. Il convient de ne pas sacrifier la
sécurité, ce qui me fait tempérer l’arrivée
des Microsoft et autres nouveaux acteurs... Là les constructeurs
sont bien placés pour occuper le marché avec leurs
fournisseurs.
Vous avez
mentionné plusieurs fois les fournisseurs. Où les
place-t-on dans ce concert ?
Rémi
Cornubert: Face à l’explosion des nouvelles
fonctionnalités et à l’accroissement du nombre de
constituants d’une automobile, il existe des milliers de fournisseurs.
L’industrie a donc eu besoin de se structurer : Rang 1, Rang 2.
Discutent avec les constructeurs les fournisseurs de rang 1. Discutent
avec les fournisseurs de rang 1 les fournisseurs de rang 2 ...
Cette
stratification ne doit pas favoriser le partenariat ou encore
l’exclusivité des solutions, chaque strate ayant
intérêt à diffuser ses produits le plus largement
possible et à mettre la pression sur la strate du dessous. Qu’en
pensez-vous ?
Rémi
Cornubert: Dans le lien avec les donneurs d’ordre il y a deux
questions clefs. Vous avez parlé d’exclusivité. Si une
exclusivité est accordée c’est une perte de chiffre
d’affaires pour le fournisseur, l’exclusivité c’est valable pour
un an, le temps de donner un avantage compétitif.
Deuxième sujet : quand vous êtes limités dans la
réduction de coûts, il suffit de garantir un certain
niveau de marge. Cela suffit souvent pour libérer des leviers
qui permettent d’enlever les coûts inutiles de la chaîne de
la valeur, de chaque côté du reste. Le partenariat avec le
fournisseur n’a de sens que dans ce cas là. Par contre il faut
maintenir une saine concurrence entre fournisseurs d’une strate. Le
partenariat et l’exclusivité restent dans le temps pour un
objectif précis mais on “ n’est pas marié ” pour la vie.
D’où le maintien de la concurrence et là, pour discuter
avec le donneur d’ordres, mieux vaut être gros d’où la
notion de taille critique (ex Valeo, Faurecia) pour rester vivant et
d’où les consolidations et la stratification. La
consolidation ne fait que commencer ! En 2010 la moitié des
fournisseurs aura été “consolidée”. Les
fournisseurs ont un rôle majeur à jouer car ils sont
à l’origine des innovations
Mais
qu’appelle-t-on innovation aujourd’hui ?
Rémi
Cornubert: Par rapport à toutes ces perceptions et
questions de marché les innovations sont souvent
demandées par le consommateur. Par exemple le recours à
l'électronique permet plus de sécurité, plus de
confort, plus d’écologie : améliorer la conduite,
réduire les déchets nocifs. Aujourd’hui il y a eu de gros
progrès sur les émissions avec un potentiel
supplémentaire de 15 à 20% de gains à l’horizon
2010. Cela demande des investissements énormes et conduit
à des produits de plus en plus compliqués.
Dans vos
écrits récents qui relatent des chiffres optimistes
l’Europe apparaît centrale à l’innovation. Qu’en est-il ?
Rémi
Cornubert: Oui car l’Europe est la patrie des constructeurs
"haut de gamme", lesquels ont su développer les nouvelles
technologies : ABS, Air Bag, Injections, Navigateurs... Tout cela
est d’origine européenne.
Oui mais les
marchés de l’avenir ne sont-ils pas plutôt en Asie ?
Rémi
Cornubert: Prenez un marché qui explose comme la Chine.
Il y a là une Middle Class et une Upper Class qui a un fort
pouvoir d’achat et une mentalité assez Show Off, qui se traduit
par l’achat du haut de gamme allemand et italien et qui en paie le
prix. Aujourd’hui, une voiture fabriquée en Chine n’a pas le
niveau de qualité. Les consommateurs chinois font la
différence entre un véhicule fabriqué en Chine et
une Audi assemblée en Europe. Assemblée en Chine, elle
conduit à une augmentation de 15 à 20% de plus sur les
coûts. Seules certaines pièces ou composants
apportent un gain, mais au global l’industrie automobile en Chine n’est
pas encore compétitive. Donc l’Europe a une carte à jouer
Donc vous
êtes optimiste pour l’Europe.
Rémi
Cornubert: Et les prévisions sont là! Il y
aura création et transfert de valeur: entre maintenant et 2015
le marché mondial va passé de 645 milliards d’Euros
à 903 de valeur créée. Deuxièmement, la
part de valeur créée par les fournisseurs va passer de
60% à 80% en 2015, ce qui fait que l’enrichissement devrait
être réparti. Enfin l’enrichissement technologique va se
poursuivre car c’est une conséquence du choix du client.
Un client
qui constate tout de même qu’il lui en coûte toujours
beaucoup. L’automobile avec l’immobilier sont les deux seuls produits
dont le prix ne baisse jamais.
Rémi
Cornubert: On travaille à prix de vente quasi constant,
une fois l’inflation enlevée, avec un produit qui est de plus en
plus sophistiqué. C’est là toute la stratégie de
l’automobile pour éviter que les prix ne baissent. Cela dit,
aujourd’hui on les vend presque à perte et les constructeurs se
rattrapent sur l’entretien et les services.
Donc
l’automobile serait une commodité dont le prix ne s’effondrerait
pas du fait de l’obsolescence résultant de l’accroissement des
fonctionnalités et des modes. C’est bien cela ?
Rémi
Cornubert: C’est pour cela que le haut de gamme est important.
Cela rejoint la question des marques. Il n’existe pas vraiment de haut
de gamme français. Peugeot et Renault sont des
généralistes. Actuellement Renault a un actif
caché : les coupé cabriolets qui étaient des
niches sont devenus des segments particuliers et porteurs. Il y
avait bien le Spider fabriqué chez Alpine à Dieppe, il se
vendait comme des petits pains. Il a été
arrêté. Très clairement on a besoin d’un
positionnement haut de gamme. Comme ça prend 10 ans et que
ça se détruit facilement on peut dire qu’on a
loupé ce coche là. Exemple de Venturi, c’est dommage.
Trouve-t-on
là une explication au rachat de certaines marques "haut de
gamme", ou encore à la création pure et simple de
nouvelles marques?
Rémi
Cornubert: Exactement. Certains étrangers ont
racheté des marques [Dacia, Samsung, Nissan pour Renault,
Lamborgini, Bugatti, Bentley par VAG,Aston Martin et Jaguar par Ford].
D’un autre côté les japonais et les coréens ont
inventé de nouvelles marques. Les japonais ont fait 3 fois le
coup: Toyota avec Lexus, Nissan avec Infinity, Honda avec Accura. Il
fallait créer un produit haut de gamme qui ne reprenne pas le
nom d’une marque identifiée comme généraliste.
C’est astucieux car il n’y a pas de pénétration des
marchés quand le positionnement n’est pas crédible. Et
ceci a bien été créé pour conquérir
les marchés; A titre d’exemple Lexus (Toyota) n’est
commercialisé que maintenant au Japon.
Est-ce
à dire que les constructeurs n’hésitent pas à
leurrer le client ?
Rémi
Cornubert: Le client est intelligent. Il fait des arbitrages, on
ne peut le berner. La voiture doit faire rêver sinon elle se vend
moins bien. Parmi les constructeurs ceux qui sont stylés vendent
avec peu de rabais. Rappelons que l’auto est le 2ème poste de
dépense des ménages et qu’1/3 des personnes qui passent
commande sont des femmes. D’où la recherche
d’attractivité. Nissan a par exemple des produits très
attractifs. Et puis il y a la résurrection de la Mini par
BMW qui a réussi à maintenir le mythe, ramener la
clientèle féminine et à gagner la masculine. On le voit, résurrections,
nouvelles marques , nouveau Branding...
Quel peut
dés lors être votre mot de conclusion ?
Rémi Cornubert : C’est
un message optimiste. En Europe l’industrie automobile restera un
pilier avec de la valeur créée et de plus en plus de
technologies : piles à combustibles, hydrogène,
véhicules électriques... Là est le défi des
constructeurs. Il faut les aider à relever ce défi au
travers des programmes de R&D de la Commission Européenne.
Propos
recueillis par Bertrand Villeret
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