Carnets de voyage
Juillet-août 2007
Le Dossier Pouchkine
Deauville
par Jean-François Pré



D’après mes parents, tout – ou presque – y est comme
avant. Mais Deauville mérite plus que jamais son sobriquet
de XXIème arrondissement. Grâce au TGV, il faut à
peine une heure pour s’y rendre aujourd’hui. XXIème arrondissement
peut-être… mais pas banlieue !
Les autorités locales y veillent scrupuleusement.
L’hippodrome de la Touques garde ce côté à la fois suranné
et très frais que l’on retrouve sur les aquarelles de
Dufy. Certes, il a subi plusieurs liftings mais toujours dans
le style augeron, cher à la station respectueuse de ses traditions.
Bizarrement, il ne fut jamais question de fermer ce
site, pourtant éloigné de tous les hippodromes "suburbains".
A Paris intra-muros, il n’en reste d’ailleurs plus
que deux (Auteuil-Longchamp et Paris-Vincennes), la
banlieue n’a pu sauver que Saint-Cloud et Chantilly…
mais Deauville traverse le temps avec ses deux hippodromes
(La Touques et Clairefontaine), distants de trois
kilomètres seulement.
Comme tous les dimanches d’août depuis le Duc de
Morny, c’est à La Touques que l’on court cet après-midi.
J’aurais dû faire l’aller et retour en TGV mais
l’accouchement du papier sur Vassili Pouchkine est difficile.
Je suis tellement conditionné par l’écriture
stéréotypée des comptes-rendus hippiques que j’ai peine à
retrouver un style magazine. Pourtant, le sujet est passionnant…
et d’une actualité brûlante ! Bref, j’ai décidé de
rester chez moi, face à mon ordinateur. Pour l’instant,
c’est la panne sèche.
Ce matin, je suis descendu au BON de mon quartier
faire enregistrer un Derby. J’ai joué tous les chevaux de
mon pronostic, plus deux ou trois toquards, histoire de
décrocher la timbale… si ça voulait rire. On peut toujours
rêver ! Au fait, le Derby et le BON… il faut peut-être que
je vous explique.
Lorsque Bruxelles a obligé la France à revoir sa législation
en matière de pari sur les courses de chevaux, le PMU
a perdu son monopole et s’est laissé phagocyter par un
consortium de bookmakers sur Internet, intitulé tout simplement
BOL (Betting On Line). Le PMU, qui vivait en
totale autarcie sous la tutelle de l’état, n’était absolument
pas préparé à cette concurrence. Son projet de modernisation
informatique, appelé Pégase, n’a jamais pu s’envoler ;
il est passé à côté d’Internet et, pour couronner le tout, sa
privatisation tourna au désastre. Ses actionnaires ont préféré
s’orienter vers une société jeune, dynamique et dans
l’air du temps. BOL a eut l’effet d’un raz-de-marée sur le
PMU qui s’est complètement désagrégé sans le soutien de
l’état. Les journaux de l’époque ironisaient sur le déclin du
PMU avec des titres racoleurs comme : "Le PMU n’a pas
eu de BOL" ou bien encore : "Le raz le BOL du PMU !".
Le plus amusant, c’est qu’après avoir eu la peau du
PMU, la société BOL s’est retrouvée exactement comme
lui : en situation de monopole. Mais la comparaison ne
s’arrête pas là car elle a repris à son compte les vieilles
recettes de l’organisme collecteur national. Et cette fois, la
mayonnaise a pris !
Exemple : réalisant que beaucoup de Français boudaient
encore Internet, surtout dans les campagnes, le
directoire de BOL a réinstauré les clubs courses à
l’ancienne (en biffant le côté bistro franchouillard qui rebutait
tant la clientèle féminine) qu’il a placés sous l’égide
d’une autre société : BON (Betting Offices Network).
Ainsi, les habitudes des Français n’ont pas vraiment chan
gé. Simplement, on ne descend plus faire son jeu au
PMU… mais au BON.
C’est passé dans le langage courant, preuve indiscutable
de réussite.
Autre exemple : BOL a fait renaître un jeu que le PMU
avait enterré à la fin du siècle dernier : le Derby. Il
s’agissait de trouver les gagnants de toutes les courses
d’une réunion. Dans les pays anglo-saxons, ça s’appelle
Jackpot et ça fonctionne depuis des lustres mais à
l’époque, le Derby n’était pas conforme aux habitudes
ludiques des Français, stigmatisées par le tiercé et ses dérivés.
Aussi, le PMU a-t-il retiré le Derby de la circulation,
laissant le tiercé se métastaser en quarté, quinté et multi.
Le tour de force de BOL & BON consista à réintroduire le
Derby (sans même changer le nom) en faisant croire à une
nouveauté. Mais nul ne se souvenait de ce jeu d’un autre
âge qui n’avait même pas eu le temps de fabriquer des
millionnaires. Aujourd’hui, on gagne des fortunes au Derby
et les turfistes ont vite brûlé les reliques du PMU.
Comme quoi, tout tient à un bon marketing et à une communication
qui va dans le sens du vent.

Jean-François Pré
Le dossier Pouchkine
Editions Publibook, Paris 2007


>>>>>   extrait n°10


Copyright Jean-François Pré 2007
pour  ConsultingNewsLine
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