Carnets de voyage
Juillet-août 2006 La mouche sans raison Bardin - Cardaillac
Par Dominique Rocher Port Joinville Il était maintenant près de onze heures et, sur le quais, vélos et voitures slalomaient hardiment dans un petit crachin très tonique. Entre le supermarché "Champion" et la célèbre poissonnerie Hennequin, les touristes, exités comme des puces, ne savaient plus où donner de la Carte Bleue. Il leur faudrait une bonne semaine avant de se mettre au rythme de l'île et de rejoindre les marins et autres maçons sagement réfugiés dans les arrière-salles enfumées des bistrots. Derrière la baie du "Skipper", une tête, reconnaissable entre mille, attira mon attention. Je me retournai vers mon chauffeur: - Jette moi là, Kepler. Je passerai te voir plus tard, quand tu auras tapé ton rapport. - A vos ordres mon adjudant. Et pour ces photos? - Faits-les tirer quand même, ça te fera un souvenir. Face à un écoeurant lait-fraise, le fils Bardin-Cardaillac, tout à sa lecture, ne m'avait pas vu entrer. Pour la première fois, je remarquai les étranges petites cicatrices qui, en rang serrés couvraient le dos de ses mains. Plus intéressant encore était son journal. "Heil! ça fait mal"! Tel était le titre de cet épatant opuscule. Entre autres chef-d'oeuvre d'humour gras qui en maculaient la couverture, s'étalait le grand dessin d'un maghrébin égorgeant un mouton en béret et charentaises. Légende: "La France à Hue et à Dia"! Décidement, ce gamin avait tout pour délaire! - Monsieur Bardin-Cardaillac, le saluai-je. Bien remis de vos émotions? Brusquement drossé sur la côte, il tanga des hublots: - Euh...Bonjours, commandant... Emotions? Quelles émotions? - C'est vrai que vous avez l'emabarras du choix! Des nouvelles de votre copine? - Ma mère m' a appelé, tout à l'heure. Je lui ai demandé de voir ce qu'elle pouvait faire. De toutes façon, une jambe cassée, ça n'est pas méchant... Votre enquête avance? - Doucement, pas assez de temps, pas assez d'argent... Vous n'avez pas idée du nombre d'affaires non élucidées! Le plus souvent, les délinquants sont dénoncés par leurs voisins, leur femme ou une lettre anonyme. Rien de tel qu'une bonne confrontation pour faire craquer un suspect... - A condition que les témoins ne se débalonnent pas! Appuyai-je lorsque la sirène de la Vendée, l'un des trois navires de la compagnie "Continent", vint, mal à propos, me couper le sifflet. Le jeune Bardin-Cardaillac, gêné, mit à profit cette interruption pour faire mine de s'interresser au port. Derrière le voile de bruine et la silhouette massive des thoniers, toute une flotille bigarrée allait et venait dans le bassin. La pêche côtière, en dépit de ressources en voie d'épuisement, se portait encore bien. Fidèle à une tradition ancestrale, chaque marin mettait un point d'honneur à ce que son navire fût impéccable. Sur la cale, chaque jour, ils étaient une demi-douzaine occupés à poncer les coques jusqu'au bois, à calfater et à repeindre. En fond sonore, Valentin Taraud (alias Tintin) et Victor Turbé (alias Le Bègue), deux anciens patrons pêcheurs devenus armateurs sur le tard, râlaient contre Bruxelles et les normes européennes. - A force d'virer d'un bord, d'virer de l'autre, tous ces technocrates finiront bien par nous mettre su'l sable! - Tu..tutu... tu l'as dit, Tintin! Dominique Rocher La mouche sans raison Editions Publibook, Paris 2004 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Extrait n°11 Copyright Dominique Rocher 2004
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