Le pOint
5 Décembre 2011 
 



IBM
Interview: 
Louis-Pierre Piris, Partner

en charge des activités de Conseil et d'Intégration
Réformé par Lou Gerstner dans les années 90, IBM décide dès 2004 d’abandonner sa branche PC pour se concentrer sur les services. Moins d'une décennie plus tard, frôlant les 100 milliards de CA pour près de 400 mille collaborateurs, le géant d'Armonk devient le n°1 mondial des services informatiques. Une réussite à mettre à l'actif de Sam Palmisano, son Président, qui passe aujourd'hui le relais à Ginni Rometty, première femme à diriger Big Blue... Il était donc temps pour nous de faire le point sur cette entreprise qui a su adapter son modèle économique aux évolutions de la société en s'appliquant "elle-même" les vertus qu'elle préconise...


Louis-Pierre Piris, vous assurez la direction d’IBM Consulting pour la France.
IBM a beaucoup changé ces dernières années, point que nous allons aborder dans la suite,  mais avant toute chose, notre lectorat ne vous connaissant pas encore, peut-on esquisser les grands traits de votre carrière dans le domaine du conseil ?


Louis-Pierre Piris : J’ai commencé ma carrière chez Bossard Consultants avant de rejoindre Coopers & Lybrand puis PricewaterhouseCoopers. Après le rachat de PricewaterhouseCoopers Consulting par IBM en 2002, j’ai intégré IBM Global Business Services (GBS) où je suis devenu Partner en charge des activités de Conseil et d'Intégration. Le pôle GBS d’IBM a pour but d’aider nos clients à se transformer, à identifier des relais de croissance et des gisements de productivité, en s’appuyant sur l’utilisation des dernières évolutions informatiques et technologiques. Nous couvrons toutes les technologies stratégiques que les entreprises doivent intégrer, de l’analyse des données aux ERP en passant par les outils collaboratifs.


Avec l’acquisition de l'activité conseil de PricewaterhouseCoopers que vous venez de nous rappeler, IBM s’est une nouvelle fois profondément transformée. Votre société a par ailleurs considérablement évolué sur son organisation comme sur son Business Model depuis lors. Pouvez-vous nous présenter ces évolutions stratégiques ? 

Louis-Pierre Piris : En choisissant de nous renforcer dans les services, un processus entamé dès le début des années 1990 avec Louis Gerstner, alors CEO de la Cie, IBM a clairement affiché sa volonté de faire de l’innovation son cœur de métier. Notre stratégie est fondée sur la valeur, la valeur que nous pouvons apporter et qui est reconnue par nos clients. C’est la raison pour laquelle IBM a décidé d’abandonner la micro-informatique en 2005, devenue un outil de commodité, et d’engager une profonde transformation. Dans les années 1980, 90% des bénéfices de la compagnie étaient réalisés sur le matériel. Aujourd’hui, c’est l’immatériel qui génère 90 % de nos profits. Depuis le milieu des années 1990, IBM a considérablement fait évoluer son portefeuille d’offre et a largement investi dans des domaines clés à très haute valeur ajoutée en réalisant plus d’une centaine d’acquisitions et en soutenant d’importants efforts de R&D. Aujourd’hui, le chiffre d’affaire d’IBM provient pour 17% du matériel, pour 23% des logiciels et le reste, soit environ 60%, des services ! Dans ce contexte, le rôle du pôle conseil d’IBM constitue un important vecteur de croissance car il permet de mettre en œuvre les dernières innovations technologiques de l’entreprise. Cette stratégie a fait ses preuves : l’année dernière, en 2010, le chiffre d’affaire a frôlé les 100 milliards de dollars (99,9 milliards de dollars), la cotation d’IBM vient d’atteindre un sommet historique en novembre 2011 (des actions qui se revendaient à 188$, soit près de 170% de plus qu’en 2008) et IBM est redevenu la deuxième capitalisation boursière de Wall Street dans le domaine de la technologie en dépassant Microsoft. Nous sommes aujourd’hui leader dans le domaine des systèmes d’informations et numéro 1 mondial des services informatiques. Cette performance est le fruit d’un modèle économique solide, fondé sur l’innovation et sur les nouveaux usages des technologies. C’est grâce à ce modèle qu’IBM a pu passer en 2011 le cap des 100 ans d’existence et c’est sur ce modèle que nous nous appuierons pour les années à venir.


Ce changement de paradigme a-t-il remis en cause la recherche fondamentale qui faisait force d’IBM ?... et la pluie de Prix Nobel* qui en a résulté…

Louis-Pierre Piris : Ce changement de paradigme ne change en rien notre investissement en R&D car la recherche a toujours été un pilier de l’identité d’IBM. Nous avons d’ailleurs été l’une des rares entreprises à ne pas avoir réduit notre budget de R&D, même au plus fort de la crise. Pour IBM, la recherche est un investissement constant qui a dépassé les 60 milliards de dollars en 10 ans. Nous comptons 3 000 chercheurs répartis dans 9 centres de recherche fondamentale. Ce leadership qui ne s’est jamais démenti s’est traduit en 2010 par le dépôt de 5896 brevets, soit plus que HP et Microsoft réunis, classant IBM en tête des entreprises les plus innovantes du monde pour la 18ème année consécutive. Sans tenir compte du fait que nous soutenons également l’Open Source et que nos avancées ne font pas toutes l’objet de brevets. Elles positionnent cependant nos équipes à la pointe des technologies ouvertes. Quand aux brevets effectivement déposés, il faut savoir qu’un tiers se concrétisent par la commercialisation de produits ou services l’année suivante.


Peut-on dire que vous êtes devenus une société de "valeur ajoutée" et de "services intellectuels" ?

Louis-Pierre Piris : Oui, on peut parler de valeur intellectuelle appliquée aux services. Comme je viens de le rappeler, nous venons de célébrer le centenaire d’IBM et celui-ci c’est articulé autours d’un certain nombre d’idées fondamentales focalisées sur trois grandes dimensions de la vocation historique d’IBM :

- Faire progresser les sciences de l’information : après avoir inventé le PC, la
 disquette ou encore le code-barres, nous continuons de travailler sur les innovations
 qui nous permettront de répondre aux défis des 100 prochaines années

- Réinventer l’entreprise moderne : IBM n’a eu de cesse de se réinventer par la mise
  en place de best practices autour du leadership et de la formation managériale

- Améliorer la marche du monde : depuis sa création, IBM a continument évolué de
 manière à pouvoir anticiper les besoins de ses clients et des citoyens du monde
 entier. Cette volonté d’améliorer le monde se retrouve d’ailleurs dans notre initiative
 Smarter Planet.


IBM s’est donné les moyens de son ambition en investissant dans la recherche. Nous avons également noué plusieurs partenariats de R&D avec des universités, des gouvernements, des grands laboratoires ainsi qu’avec certains de nos clients. C’est toute cette communauté qui travaille sur la « valeur ajoutée ». IBM est une entreprise d’innovation qui aide les entreprises et la planète à se transformer grâce à une vision à long terme.


Comment cela se traduit-il dans votre offre client ?

Louis-Pierre Piris : Notre offre repose sur 4 axes qui reprennent et étendent le classique Hard, Soft, Services :

- Cloud Computing
- Business Analytics
- La planète plus intelligente (la fameuse "Smarter Planet")
- Les marchés à forte croissance

Ces quatre axes ont pour point commun d’être des domaines à forte valeur ajoutée. D’un côté le conseil métier, de l’autre les infrastructures et les logiciels. Le tout, toujours adapté au secteur de nos clients. L’IT est un moteur de différentiation, à condition qu’il soit adapté à une stratégie d’entreprise. Parmi nos technologies stratégiques aujourd’hui on peut citer les solutions de BAO (Business Analytics and Optimization) et le Cloud Computing. Ce sont clairement les deux grands sujets du moment.

Le marché du BAO devrait représenter 16 milliards d’euros de revenus pour IBM d’ici à 2015. Dans le même temps, il devrait représenter 40% des budgets informatiques. Les projets BAO pourraient même devancer les ERP dans les années à venir. Avec ses solutions de BAO, IBM donne aux organisations les moyens d’optimiser leurs performances par des prises de décisions fondées, non plus sur l’intuition, mais sur des données et des analyses fiables. Ces solutions répondent aux préoccupations majeures des entreprises. Elles leur permettent de savoir ce qui se passe maintenant, ce qui se dit d’elles, mais également de connaître à l’avance ce qui est le plus susceptible de se passer dans le futur et donc d’anticiper leurs actions pour optimiser leurs résultats. Pour les entreprises, l’enjeu est donc de transformer l’information en intelligence et de passer de l’aide à la décision au prédictif.

Un autre enjeu d’avenir important est le Cloud Computing. Cette technologie a été présentée par Gartner comme la technologie phare de 2011. Elle permet d’ajouter rapidement de nouveaux services, de réinventer les processus commerciaux et de stimuler l'innovation. En même temps, elle permet de réduire la complexité et les coûts associés aux approches informatiques traditionnelles puisqu’elle permet aux clients d’adapter leur informatique pour qu’elle réponde au plus près et à chaque instant à leurs besoins réels. Sur ce segment, IBM se positionne comme premier fournisseur.

L’offre d’IBM ne s’arrête évidemment pas là, on pourrait par exemple parler de la généralisation des outils collaboratifs qui permettent de tirer profit des compétences de tous les individus des entreprises et de stimuler l’innovation…

Toutes ces problématiques sont intégrées dans notre campagne Smarter Planet qui décrit la manière dont les technologies peuvent permettre de répondre aux enjeux actuels de la planète. Concrètement, nous émettons tous au quotidien des milliers d’informations et nous vivons dans un monde interconnecté. Il s’agit donc d’associer la technologie à l’usage et d’exploiter les millions de données disponibles pour obtenir des informations fiables, automatiser des processus, améliorer le fonctionnement et limiter les risques. Toutes les thématiques et tous les secteurs d’activité sont donc concernés.


Peut-on revenir sur la BAO ? Il s'agit là d'un concept récent...

Louis-Pierre Piris : La BAO a été mise en exergue il y a 3 ans suite à une étude que nous menons tous les deux ans auprès de 1 500 chefs d’entreprises multinationales et qui dessine les grands défis stratégiques à venir. Cette étude, la Global CEO Survey, faisait apparaître que beaucoup de décideurs reconnaissaient prendre des décisions à partir d’informations fausses ou erronées. De manière assez logique, la majorité d’entre eux estimait qu’une information plus précise leur permettrait de prendre de meilleures décisions mais 47% avouaient ne pas avoir engagé de véritable projet pour y parvenir. A partir de ce constat nous avons fortement investi en R&D, notamment sur de l’algorithmique très sophistiquée. Notre nouvel ordinateur Watson (qui succède à Deep Blue, l’ordinateur IBM qui a battu le champion du monde d’échecs en 1997) est l’un des fruits de ces recherches. Il est basé sur des algorithmes qui lui permettent de retrouver les questions à partir des réponses. Watson a démontré ses performances face aux deux meilleurs joueurs de l’histoire du jeu américain Jeopardy. Aujourd’hui, les capacités de Watson sont déjà utilisées dans des hôpitaux pour aider les médecins à établir leurs diagnostics médicaux. Watson comporte également un deuxième degré de décisionnel qui est «l’analyse sémantique» et qui va avoir un impact énorme sur les domaines du diagnostic, de la thérapie et à terme dans tous les domaines… Je parlais d’un investissement important d’IBM en R&D pour l’analytique, il faut savoir que le projet Watson a nécessité à lui seul 25 chercheurs et mathématiciens pendant 4 ans… Pour revenir au BAO et à l’analyse des gros volumes de données, je finirais en ajoutant que, fidèle à sa stratégie, IBM complète sa propre recherche avec des acquisitions stratégiques. Entre 2000 et 2010, nous avons investi 27 milliards de dollars pour acquérir près de 120 sociétés sur des domaines de haute valeur, notamment dans le domaine de la gestion des données. Unica, Netezza, Coremetrics ou encore Cognos sont de très bons exemples.


Sur cet exemple on sent bien le fait qu’IBM reste un grand inspirateur de technologies…

Louis-Pierre Piris : En effet. Notre connaissance des technologies renforce la pertinence de notre activité de conseil, qui elle-même renforce notre connaissance des différents métiers de l’industrie et nous permet d’adapter nos offres au plus près de leurs besoins.


Pour autant, votre offre ne se limite pas à vos seules technologies propriétaires, issues de votre R&D ou de vos acquisitions.

Louis-Pierre Piris : C’est exact. IBM Global Business Services fonctionne de manière indépendante par rapport aux autres entités d’IBM (Hardware, Software…) : nous avons par exemple des équipes leaders dans la mise en place de solutions SAP, Oracle, et HR Access. Nous avons d’ailleurs annoncé en septembre la disponibilité du CRM de SAP sur le Cloud d’IBM. Lorsque des solutions performantes existent sur le marché et qu’elles répondent parfaitement aux besoins des clients, nous pouvons les leur fournir. Par ailleurs, notre activité de conseil en organisation, la ligne de service Stratégie & Transformation, conseille nos clients en toute indépendance.


Quelles sont actuellement les grandes tendances du marché ?

Louis-Pierre Piris : Le marché du conseil est un marché dynamique. La demande pour des projets d’optimisation organisationnelle et de réduction des coûts reste importante. Mais les entreprises se remettent également à penser à moyen et long terme, et à réfléchir à de nouveaux Business Models tirant parti des possibilités offertes par les nouvelles technologies. Nous sommes principalement sollicités sur deux thèmes : la "Révolution digitale" et le "Move to Services". La révolution digitale, portée par le Web 2.0, offre des opportunités importantes pour capter de nouveaux gisements de croissance, mieux connaitre ses clients, et développer et maitriser son image.  Elle nécessite souvent de revoir les business models et les organisations pour déployer une stratégie multi-canal efficace. Parallèlement, pour faire face au développement de la concurrence et des offres "low-cost", les entreprises cherchent de plus en plus à accroitre leur valeur ajoutée, en développant leurs activités de service. IBM est un très bel exemple d’entreprise qui a réussi cette focalisation sur la valeur, ce "Move to Services", ce qui renforce la portée de nos conseils.


Votre société est mondiale, comment gérer vous les aspects culturels que cela implique ?

Louis-Pierre Piris : IBM est en effet une entreprise globalement intégrée ou chaque entité locale décline et adapte sur son marché la stratégie mondiale du groupe, avec des innovations propres aux spécificités de sa demande. Pour rendre cette organisation encore plus efficiente, nous avons mis en place des "centres de compétences" (Center Of Competencies, COS) qui rassemblent les meilleurs experts de chaque pays. Ces experts intègrent et adaptent les produits d‘IBM de manière à ce qu’ils puissent répondre aux besoins spécifiques des marchés locaux tout en capitalisant et en réutilisant plus directement les savoirs. Si un pays est très compétent sur une problématique donnée, il pourra venir en aide aux autres pays et inversement. Ce qui a pu sembler être une stratégie de coût est en fait un énorme atout en matière de savoir-faire et de "valeur business".


Pour terminer cet entretien, comment envisagez-vous les années à venir, lesquelles semblent bien incertaines ?

Louis-Pierre Piris : IBM restera une entreprise innovante et continuera d’investir  pour rester leader dans les technologies qui compteront ces 10 prochaines années : le Cloud Computing et le Business Analytics par exemple … En combinant notre expertise des processus métier avec nos capacités de recherche en management et technologie, nous continuerons à accompagner les entreprises, les villes, les Etats dans leur transformation. Nous serons présents pour les aider à remporter les défis à venir et pour transformer ces défis en formidables opportunités de croissance.

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef,
ConsultingNewsLine



Image :
Courtoisie IBM - France

Whoswoo :
Louis-Pierre Piris

Pour info :
http://www.ibm.com/fr/fr/


* Prix Nobel et autres Prix obtenus par des collaborateurs d'IBM



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