Le pOint
Décembre 2012
 

CGI
Interview: 
Lorne Gorber,
Vice Président Principal

en charge de la communication et des relations avec les investisseurs

« Le Canadien CGI vient de racheter le britannique Logica » titrait-on en août dernier en première page de ConsultingNewsLine. Si Logica est bien connu de la place de Paris, ne serait-ce que parce qu’il challenge des leaders tels Capgemini, Atos, Accenture, Steria ou encore Sopra… CGI reste par contre à découvrir et le petit monde du conseil ambitionne, on s’en doute, de mieux connaître ce nouveau venu qui depuis plusieurs années engrange les succès dans le secteur public nord américain, au point d’avoir été cité en exemple par Barack Obama. Le passage à Paris de Lorne Gorber, Vice Président Principal en charge de la communication et des relations avec les investisseurs, et donc un des artisans de la capture de Logica, était idéal pour découvrir CGI et décrypter dans les détails ce méga-rachat de l’année 2012. L’occasion aussi de découvrir, dans les propos chaleureux de Lorne Gorber, qu’au Québec  rentabilité pour l’actionnaire et ressources humaines ne sont pas incompatibles, surtout quand l’entreprise appartient en partie à ses salariés…



Lorne Gorber, CGI est encore peu connu en Europe, pourtant vous y étiez déjà présents, notamment depuis le rachat de Plaut Consulting à Paris en 2006, et vous venez de prendre le contrôle  du britannique Logica qui avait lui-même repris en France Unilog en 2004-5. Peut-on présenter CGI à nos lecteurs et passer en revue ses originalités ?

Lorne Gorber : CGI a été fondé au Québec en 1976 par Serge Godin.  La société a été introduite en bourse en 1986, à la Bourse de Toronto en avril 1992 et à la Bourse de New York en octobre 1998. Le fondateur reste encore très actif, non seulement en tant que Chairman, mais très actif en y passant 12 heures par jour, s’impliquant dans les grands contrats d’Outsourcing ou les grandes actions de fusion et d’acquisition, comme celle de Logica.
 

Donc au départ une petite entreprise québécoise mais qui après 30 ans se hisse au niveau des Leaders mondiaux  Comment se place CGI dans le Ranking mondial ? Si l’on peut d’ailleurs parler de Ranking…

Lorne Gorber : Ça c’est intéressant, parce qu’il peut y avoir en effet plusieurs Rankings. Se pose aussi la question de savoir comment les Rankings sont établis… Nous, à CGI  on pense que la meilleure façon de nous positionner c’est tout simplement de dire que l’on se place parmi les compagnies qui offrent des services End to End, mais qui sont encore indépendantes. Ce qui veut dire qu’on ne vend pas de technologies : on est indépendant de tout ce qui est Hardware et de tout ce qui est Software. Donc, dans ce Ranking, et en utilisant cette base, nous serions le 5ème  mondial en terme de chiffre d’affaires. Le grand groupe qui serait exclu de cette liste là, peut-être le 7ème, ce serait HP, puis IBM, parce qu’ils sont Sales Force Integrated avec Hardware et Software… Mais dans notre liste, on se place  5ème et  il y aurait par ordre : Accenture, CSC,  Capgemini, ATOS et CGI.  Quand on a commencé nos transactions avec  Logica on était 6ème, le 5ème était SAIC, qui est une compagnie américaine fournissant le gouvernement, mais ils ont récemment annoncé qu’ils vont créer une compagnie de Soft séparée, alors ils vont tomber dans les Rankings.

 

5ème mondial, grâce à des rachats, alors que pourtant votre entreprise est à la base détenue par ses employés… Pouvez-vous nous expliciter cela ?

Lorne Gorber : Serge Godin a décidé de lancer sa propre activité après avoir été consultant pendant 5 ans et après avoir observé que le « modèle d’affaires », pour ce qui est du capital humain, n’était pas optimisé dans les entreprises. Il n’y avait rien de personnalisé pour les « gens ». Il a donc décidé de lancer une entreprise qui serait basée sur un rêve. Beaucoup d’entreprises ont une vision mais très peu font un rêve, et donc le rêve du fondateur a été de créer un environnement où en tant que « propriétaires », les employés étant donc actionnaires, nous aurions plaisir à travailler ensemble, tout en développant économiquement une compagnie dont on serait tous fiers. Ils y a des gens, dans leur réflexion, qui partent de la taille de l’entreprise ou qui partent de la technologie, mais l’idée du fondateur c’était tout simplement de capitaliser sur le fait que lorsque tu es propriétaire de quelque chose tu  abordes les décisions différemment de ce que tu ferais  lorsque tu n’es pas investi personnellement. Et, avant la transaction avec Logica, 86% des employés sur 31 000 personnes,  étaient des actionnaires de leur compagnie (détenant entre 18 et 20% du capital),  et c’est cela qui est le gros différentiateur par rapport à nos concurrents. Le taux d’attrition, 12%,  s’en ressent et se trouve de ce fait beaucoup moins élevé que la concurrence. Et l’engagement des professionnels est beaucoup plus important. Si l’on se compare aux compagnies qui ont une présence en Inde par exemple, elles ont des taux d’attrition de l’ordre de 25% à 30%, ce qui a des effets en termes d’efficacité et de coûts bien réels. Tu peux imaginer le différentiel !
 

Il semble que CGI ait dans sa phase de initiale essayé d’équilibrer entre 50% de croissance organique et 50% de croissance résultant de ses acquisitions. Cela  reste-t-il la stratégie d’investissement aujourd’hui ?

Lorne Gorber : Oui. On reste sur la même piste, c’est à dire que l’on peut de façon rentable doubler la taille de CGI tous les 3 à 5 ans, et notre fondateur le dit bien à tout le monde : « je ne sais pas pourquoi vous trouvez ça difficile, parce que ça je l’ai déjà fait plusieurs fois » ! Et tu peux voir cela historiquement sur 30 ans. Tu vois que même récemment on a doublé de taille tous les 3 à 5 ans. Et quand on en vient à parler de croissance à CGI, tu entends très peu de personnes chez nous parler de croissance sans considérer la « croissance rentable ». Parce que dans notre industrie, et peut-être même plus encore que dans les autres, le revenu n’est pas créé de manière égale. Il y a du revenu avec une contribution ou une marge, et il y a d’autres revenus où il n’y a pas de marge, et ce revenu là, où il n’y a pas de marge, on n’est pas intéressés. On ne peut pas acheter des « épiceries » avec un revenu sans profit ! Nous , on est «francs » avec nos investisseurs qui sont aussi nos professionnels, et s’il y a une chose qui est pire que de ne pas avoir un contrat, c’est bien d’avoir un mauvais contrat ! En prenant cette philosophie là, il y avait des moments historiques où le titre CGI était peut-être  moins bien [coté] que celui des autres compagnies lorsque les investisseurs sur les marchés étaient très concentrés sur la croissance du revenu. Mais quand on regarde notre historique,  s’Il y a des périodes de 2-3 ans où le revenu d’affaires a grimpé, comme nos concurrents, la marge, elle ; a continuellement augmenté avec le temps et l’on pense que ceci est reproductible à l’infini - quasiment, aucun CEO ne pouvant prétendre avoir maximisé la profitabilité de la compagnie qu’il gère. Nous, on s’est donc «fixés» sur un revenu de qualité, et on s’est «fixés» sur des contrats conformes à nos modèles financiers. Tous les projets que l’on suit à CGI sont « estampillés » soit rouges, jaunes ou verts. Si un projet est rouge ça ne veut pas dire que l’on perd de l’argent mais que la marge qui était par exemple de 20% est tombée à 15 ou 10%. Là on est appelé par le CEO pour décider ensemble de la meilleure décision à prendre. Dans une compagnie qui dégage 10 milliards de dollars, les CEO sont bien au courant des contrats problématiques. Donc  on a un modèle qui est vraiment discipliné, basé sur la profitabilité, et l’on pense que c’est justement la croissance rentable qui fait le lien commun entre les intérêts de nos 3 « parties intéressées » : nos clients, nos professionnels et nos investisseurs. Les clients veulent travailler avec des compagnies qui sont fortes, les gens veulent travailler pour des compagnies qui sont fortes financièrement puis évidement les investisseurs veulent investir « sur la table ». Alors, tout cela pour dire qu’en termes de développement on a su construire un chemin de croissance rentable en Amérique du Nord, surtout au Canada au début, puis après aux Etats Unis.
 

Un chemin de croissance qui maintenant se prolonge  en Europe, suscitant un grand intérêt dans le milieu du conseil, mais où CGI est encore peu connu du grand public…

Lorne Gorber : Notre présence en Europe: en 2005 on a fait l’acquisition d’une compagnie appelée AMS, American Management System. Ça a doublé notre taille aux Etats Unis et triplé notre taille en Europe, soit à peu près 1000 employés en Europe. Et quand tu prends une vue à long terme, disons entre 5 et 10 ans chez nous autres à CGI, et si tu prends le fait que l’Europe comme marché représente 200 milliards d’Euros par ans, soit 1/3 du marché mondial, et si tu penses enfin qu’en regroupant nos 100 plus gros clients il y en a 65 qui ont une présence en Amérique du Nord (50% du marché mondial) et en Europe et que 35 ont une présence en Amérique du Nord, en Europe « et » en Asie, alors là, il apparait que l’on est obligé de suivre les clients sur ces marchés - pour éviter de les perdre ! De là notre stratégie de développement et le rachat de Logica. Sur le papier, 5% des revenus de CGI provenaient de l’Europe et 5% des revenus de Logica provenaient de l’Amérique du Nord, avec une couverture géographique qui était « pas mal » complémentaire, et comme tu le sais mieux que moi pour une fusion-acquisition on recherche des synergies, ce qui évidement va entrainer de  devoir examiner les Overlaps - Moins il y a d’Overlap, moins il y a d’impact sur la base humaine -   aussi Logica est apparu idéal.


CGI



Pour ce qui est de la base humaine et des sites de production, on se souvient de la référence faite à CGI par Barak Obama, se félicitant de l’implantation du groupe en Virginie. Est-ce que la localisation de la production là ou les clients utilisent les services, est votre marque de fabrique, votre  philosophie?.. en contradiction avec ce que l’on peut voir ailleurs avec l’Offshoring…

Lorne Gorber : Oui, absolument. Nous autres ce que l’on vise c’est d’offrir à nos clients un « menu d’options », qui comprenne la possibilité de faire le travail sur le site, au bureau-même du client, de le faire dans la même ville, de le faire dans la même région,  ou dans le même pays, ou de l’envoyer dans un autre pays.  Ce que je peux te dire par rapport à l’Inde ou les Global Delivery Centers, comme on dit, c’est que pour tous les clients, au lieu de penser seulement au prix, il existe un autre choix et qu’autour de la table il ne doit pas y avoir que celui qui gère la liste des fournisseurs… Si tu as des problèmes avec ton IT dans le même édifice, tu ne peux pas envoyer cette activité là à l’autre bout du monde et penser que ça ira mieux. On peut avoir différentes options, mais nous autres on pense que sur le long terme, il faut avoir une culture qui soit basée sur la proximité avec les clients, là où les décisions se font. Et l’Accountability c’est pour nous. L’exemple de la Virginie c’est celui d’une ville où après les fermetures de mines de plomb et le recul de la culture du tabac, il a été possible de créer des emplois dans les services à peu de distance de Washington DC, grand utilisateur d’informatique, mais où le prix du mètre carré était trop élevé.  CGI a fait la même chose à Québec et Logica a fait la même chose au Royaume Uni. On était en accord sur ce point.
 

Parlons du rachat technique de Logica. Il s’agissait d’une grande société. La décision a été prise au printemps dernier ?

Lorne Gorber : La décision de rentrer dans la discussion s’est prise au printemps dernier, on a travaillé pour ce faire avec le cabinet Sullivan& Cromwell pour les aspects juridiques et en janvier prochain Logica prendra définitivement le nom de CGI, mais tu peux être sûr que Logica, comme beaucoup d’autres compagnies, était une entreprise que l’on observait depuis des années. On avait déjà visé Unilog, mais Logica l’avait racheté en 2004 – 2005. Là on s’était dit qu’on allait attendre peut-être 7 ou 8 ans et racheter le tout.

 
C’est une belle prise, et vous récupérez  Unilog au passage. Est-ce que le rachat de Plaut en 2006 entrait dans le même raisonnement ?

Lorne Gorber : Non car Plaut était un spécialiste de niche. C’était plus pour le Consulting autour de SAP. On n’avait pas autant de clients en France que l’on en a aujourd’hui mais on avait déjà une demande forte en expertise autour de SAP.  On ne recommencerait pas ce type de petite prise aujourd’hui.
 

Et donc quelques années  plus tard vous faites cette « grosse prise » - la presse canadienne parle d’un prix d’achat de l’ordre de 2,8 Milliards de  dollars canadiens - laquelle complète votre offre géographique et fonctionnelle…

Lorne Gorber : C’est cela. Une des choses que l’on dit à nos employés qui le comprennent bien puisque ils sont aussi les propriétaires, c’est que pour la compagnie que nous autres on appelle CGI, le fait que quand les économies et l’environnement vont mal, quand il y a des enjeux, c’est là où CGI se différencie des autres concurrents. C’est là où on a plus de croissance, c’est là où l’on prend l’avantage sur les marchés. Il y a très peu d’opportunités dans la vie d’une compagnie de 31 000 personnes avec un chiffre d’affaires de 4 milliards de dollars de pouvoir acquérir une compagnie de 41 000 personnes avec un chiffre d’affaires de 6 milliards de dollars ! Et dans ce sens là, on peut dire que c’est notre concentration sur le profit et la génération du Cash qui nous a permis des réussir à faire cela. Maintenant on a 400 bureaux dans plus de 40 pays, et comme tu le dis on est très complémentaires géographiquement et pour tout ce qui est Business Consulting. En France par exemple, le rachat de Logica Business Consulting nous permet par exemple d’avoir une force vive de 1500 consultants.
 

En conclusion, Lorne, doit-on entrevoir un autre achat sur le marché européen pour les années à venir ?

Lorne Gorber : Franchement Bertrand, et surtout avec le chiffre d’affaires que l’on a là aujourd’hui, c’est peu probable que l’on fasse une grosse acquisition en Europe dans les 2-3 ans qui viennent. Nous autres on est optimistes pour CGI en France et dans le monde, même si il y a une zone difficile dans les 24 prochains mois si l’on veut réaliser une bonne intégration, finir l’intégration des autres rachats, faire preuve d’efficacité pour retrouver une croissance rentable en Europe et améliorer au global la profitabilité afin que, comme je l’ai dit au début, on puisse préparer le prochain doublement d’activité de CGI.
 

Cela étant dit, si un gros rachat n’est pas pour demain matin, la prochaine prise sera dans le carré des Leaders…

Lorne Gorber : Oui, dans le Top Ten, car on va continuer la consolidation. Il y a beaucoup de compagnies que l’on regarde. Dans la liste il y en a 4 « plus gros » en CA, mais qui ont une capitalisation boursière plus grande, notamment Accenture. Mais cela dit on est les seuls avec Accenture à avoir 1$ de vente pour 1$ de capitalisation. Tout cela est donc à prendre en compte et malgré la crise on doit pouvoir  [tenir ce ratio]... Notre discipline, c’est de gérer nos propres finances, valoriser l’argent de nos actionnaires en n’investissant que sur les meilleurs retours possibles, proposer des services consistants et veiller à la bonne l’implémentation des projets.
 

Ecoutez, voila un secret qui sera bien gardé… Lorne en tous cas merci pour nos lecteurs de cet exposé et de cette transparence, fort agréable. Un tout dernier mot : Il se dit que l’acronyme CGI signifierait « Conseillers en Gestion  Informatique », mais que de par la forte présence de CGI dans le Public on vous surnommerait  «the Consultants to the Government Industry ». Réalité ou légende ?

Lorne Gorber : C’est vrai que nous avons gagné ces dernières années de très nombreux marchés dans le secteur public et auprès des gouvernements, notamment aux USA…


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef,
ConsultingNewsLine




Image :
Courtoisie CGI

Whoswoo :
Lorne Gorber

Pour info :
http://www.cgi.com/fr



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