L'invité
Janv -
fév 2012
LES ENJEUX HUMAINS DU G20
Interview
:
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Gilles
de Robien
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Ambassadeur,
Délégué du Gouvernement auprès de l'OIT
Organisation Internationale du Travail,
Genève
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Interview
réalisée par Emmanuel
Jahan, Représentant du Groupe Air France KLM pour les affaires
sociales auprès des institutions européennes.
Publié en partenariat avec le Groupe RH&M
Emmanuel Jahan : La Grèce a
occulté les initiatives sociales du G20 en
Novembre 2011. Comment expliquez-vous cette absence de
communication?
Gilles de Robien : Le G20 n'a pas
forcément une vocation de médiatisation envers le public.
C'est le rôle de la presse mais elle ne semble pas vraiment
motivée par les questions sociales d'une gouvernance mondiale.
Je le regrette profondément pour les citoyens car ils ne sont
donc pas informés des avancées significatives du G20 en
matière sociale. Ainsi, personne n'avait imaginé que le
G20 dont les Etats membres représentent 85% du PIB mondial,
puisse aborder les questions sociales dans sa rencontre annuelle. Et
pourtant, pour la première fois, il a réellement pris en
compte ces questions et non plus seulement une gouvernance mondiale
pour l'économie, la croissance, les monnaies, les prix des
matières premières et agricoles ou les finances.
L'essentiel est d'avancer sur le plan diplomatique et pratique.
Emmanuel Jahan : Comment concevez-vous cette
gouvernance sociale mondiale ?
Gilles de Robien : C'est la
première fois que 20 chefs d'État et de gouvernement
décident de mettre en tête de leur déclaration,
contre toute attente d'ailleurs, le volet social avec un socle de
protection sociale, l'emploi, la création d'un groupe de travail
sur l’emploi des jeunes et l'application des normes. C'est une
avancée considérable. Les questions sociales sont
devenues indissociables des questions économiques,
financières et monétaires. C'est un moment
extrêmement fort et une avancée dans les esprits !
Désormais, à chaque réunion du G20, on parlera du
social. Auparavant, il fallait d'abord faire de la croissance, et le
social devait suivre. Aujourd'hui, la croissance est liée au
social.
Emmanuel Jahan : Avec la crise, le social est
déjà lié à l'économie dans les
entreprises. Mais ne faudrait-il pas y ajouter la dimension humaine ?
Gilles de Robien : L'Homme
doit être au cœur de la démarche. Le texte proposé
au début de la Présidence française était
perçu comme un texte très ambitieux – donc inacceptable -
puis progressivement, il a été admis par tous les
États, particulièrement sous l'action de la France.
Lorsque j'ai été accueilli par le responsable d'un
ministère de l'économie d'un État du G20 et qu'il
m'a dit que « pour faire de la bonne économie, il faut que
les gens soient sécurisés », j’ai pensé que
le message français progressait. Cela n'était pas
concevable il y a 3 ans ! Une économie et une croissance ne sont
pas vraiment pérennes si les gens ne sont pas bien dans leur
peau, leur tête et leur cœur ! Sait-on que la Chine met en place
une protection sociale, un socle de droits pour 1,3 milliard de chinois
?
Emmanuel Jahan : Où en est la réflexion pour
une meilleure coordination entre les organismes internationaux mondiaux
de finances (FMI, OMC, OCDE, Banque mondiale, etc.) et celui du travail
(Organisation Internationale du Travail) ? Où en est une cohérence
sociale par l'adoption et la pratique des 8 conventions fondamentales
de l'OIT ?
Gilles de Robien : La recherche de
la cohérence était un sujet pratiquement tabou. Et
pourtant, les États ont finalement demandé aux
organisations internationales de rendre plus efficace leur dialogue et
leur coopération. Le G20 n'est pas une institution, ni un organe
de décision ou de gouvernance : c'est une réunion de
chefs d'Etat ou de gouvernement qui cherchent à donner des
impulsions à des stratégies compatibles entre elles. Le
G20 en tout cas peut donner des indications à l'OMC ou au FMI
mais pas des ordres. Mais, comme membres de ces organisations, les
Etats peuvent mettre en place des procédures de coordination.
Emmanuel Jahan : Est-ce que finalement, la dernière
réunion du G20 n'a pas marqué le démarrage d'un
grand chantier pour une gouvernance sociale ?
Gilles de Robien : C'est
effectivement un immense chantier qui s'ouvre ! Mais il fallait
s'assurer que les prochaines présidences du G20 partageraient
cette approche. Les représentants du Mexique que j'ai
rencontrés, m'avaient assuré la continuité de ces
thèmes au 1er décembre 2011. Au départ, ce
n'était pas évident. Aujourd'hui, ils sont locomotives et
dès le 15 décembre 2011, ils ont lancé la task
force sur l'emploi des jeunes. Les partenaires sociaux - employeurs et
travailleurs - ont aussi été impliqués dans la
démarche. Les Russes qui vont relayer les Mexicains, ont aussi
décidé de continuer ce travail.
Emmanuel Jahan : Le social va donc être au cœur des
rencontres internationales?
Gilles de Robien : On retrouve
l'esprit des fondateurs de l'OIT qui a été
créé lors du Traité de Versailles, sur 3
intuitions :
L'une, humaniste : ils avaient compris dès le 19ème
siècle, que l'industrialisation et l'utilisation des ressources
humaines posaient problème en regard de la dignité
humaine avec des journées de 14 h, le travail des enfants, les
conditions des femmes avec le travail la nuit, voire d'autres
conditions de travail.
L'autre, économique. Les conditions de travail influent sur la
production.
La dernière, politique car ils pensaient qu'une
instabilité politique serait la conséquence de cette
exploitation des femmes et des hommes et de l’insécurité
sociale. Le printemps arabe en est une démonstration
contemporaine.
Maintenant, malgré la croissance ou son absence selon les
États, les dirigeants du G20, et même au-delà, se
rendent compte qu'il y a un problème de dignité humaine,
de stabilité politique et d'économie à mieux
répartir. Cette prise de conscience que la crise rend encore
plus visible, est un début. Si la Chine met en place un socle de
protection sociale, c'est très important. Oui, bien sûr,
certains pays utilisent cet avantage compétitif et le
prolongent, mais ils savent que cela ne s'inscrit pas dans le long
terme car le besoin d'une plus juste répartition de cette
croissance au sein de leur propre population se fera ressentir de plus
en plus. La tentation de certains pays émergents de maintenir
des salaires et une couverture sociale faibles atteindra ses limites
car les classes moyennes qui se constituent et celles moins
aisées, demandent leur part de sécurité et de
croissance. Il faudra s'ouvrir à la consommation et à la
distribution de la croissance. Leur opinion publique est de mieux en
mieux informée via Internet et les médias. Et même
dans les pays les plus développés, les
inégalités grandissantes sont des risques
d'instabilité. Pour éviter une explosion sociale, les
gouvernants du G20 sont conscients qu’il faut agir pour que le volet
social soit effectivement une priorité et que les 75% de la
population qui ne sont pas protégés passent
progressivement à 60%, 40%, etc. jusqu’à atteindre 0%. Je
suis peut être un peu angélique, plutôt optimiste,
mais quand on aborde les problèmes sociaux, il faut y croire !
Emmanuel Jahan : Concrètement, comment va fonctionner
cette task force? Va-t-elle rechercher une politique sociale commune ?
Gilles de Robien : Le volet social
est pérennisé. Dont acte. La task force est un sujet qui
a été le plus symbolique et en même temps, le plus
contesté au début. Avec la mise en place d’un groupe de
travail opérationnel, les pays s'obligent à y travailler
et à le nourrir de propositions. Il faut échanger les
bonnes pratiques. Par exemple, l'Inde n'a pas encore les structures
d'accueil pour former les 25 millions de jeunes qui arrivent sur le
marché du travail chaque année. En Europe, il existe un
système Erasmus. Pourquoi ne pas imaginer un système
d'échanges dans cet esprit entre pays du G20, ce que le
représentant indien a d'ailleurs appelé «des
corridors de formation» ? Pourquoi ne pas proposer
d’échanger des chercheurs entre l'Europe et l'Inde ? Pour les
jeunes, c'est d'abord les formations en alternance et plus
précisément, d'apprentissage qui seront prioritaires dans
les travaux de cette Task Force. Les échanges de bonnes
pratiques doivent déboucher sur des recommandations aux
ministres du G20 pour la prochaine rencontre au mois de juin. Des pays
comme l'Allemagne avec plus d'un million d'apprentis, et d’autres, ont
une bonne expérience à faire partager.
Emmanuel Jahan : La France est-elle un modèle social ?
Gilles de Robien : Il ne faut
jamais dire qu'un pays est un modèle. Il y a des gisements de
couvertures sociales, d'idées et de méthodes à
prendre partout. La France apparaît toutefois pour les autres
États, comme le pays le plus avancé en matière
sociale mais la France doit encore optimiser son système social
car ces systèmes ne sont jamais aboutis. Ils doivent s'adapter
à la démographie, par exemple. Cela pose le
problème des retraites, du vieillissement et des conditions de
santé.
Il n'y a pas de modèle figé, ni « LE »
modèle. Il y a des modèles qui évoluent avec les
progrès technologiques, la recherche médicale, etc.
La France a mieux résisté jusqu'à présent
à la crise - je ne parle pas de la crise de la dette mais de la
crise des années 2008 à 2010 - grâce à son
amortisseur qui est son système de protection sociale.
Emmanuel Jahan : Peut-on associer la fiscalité
à la protection sociale car finalement, l'emploi est aussi
tributaire de la fiscalité ?
Gilles de Robien : Le rôle du
G20 n'est pas de faire de l'ingérence sur les politiques sociale
et fiscale de chaque Etat. L’Europe peut donner des recommandations
à ses États membres mais le rôle du G20 n'est pas
de proposer des politiques dans ces domaines. Il peut cependant
discuter des financements innovants, comme la taxe sur les produits
financiers. La taxe sur les produits financiers a été
proposée par le Président de la République. Et il
a raison. Quand vous achetez une maison ou une voiture, vous payez une
taxe, et quand vous achetez un produit financier ou que vous jouez des
milliards sur les marchés, vous ne l'êtes pas, c'est une
honte ! C'est la seule transaction non soumise à perception pour
la collectivité. Et ce sont pourtant plus de 3000 milliards de
dollars par jour qui s’échangent !
Emmanuel Jahan : Que conclure sur le G20 ?
Gilles de Robien : Pour la
première fois, l'homme est au cœur du G20. Les
«mécaniques» internationales doivent être au
service de l'homme. Il y a un début de sensibilisation.
Emmanuel Jahan
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