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>> Mai  2003   Le consultant du mois

Interview de Jacques Civilise, Fondateur du cabinet ILM

En quittant Renault pour créer Innovation Live Management (ILM), Jacques Civilise s’est lancé un nouveau défi : faire entrer le "savoir être collectif" dans le Management de l’Innovation et la Gestion des Projets Complexes. Ce qui pourrait ressembler à une petite révolution dans le monde du conseil repose en fait sur une longue expérience acquise tant dans le secteur automobile que par la compétition à son plus haut niveau. Et comme le fait remarquer Jacques civilise : « en plus le créneau était à prendre » ...

En officiant aux côtés d’Yves Dubreil, le génial créateurs de concepts aussi révolutionnaires que Twingo ou encore Velsatis, Jacques Civilise a sût discrèrement imposer au Technocentre Renault de Guyancourt un style et une méthode managériale sans équivalent dans le monde de la R&D... La firme de Boulogne Billancourt lui doit ainsi d’avoir contribué à de bien belles réussites. Il n’est de rappeler les programmes Laguna II, VelSatis, Espace IV ou encore Mégane II pour lesquels Jacques Civilise a sût manager complexité, qualité et respect des délais. Un savoir-faire que s’arracheraient bien aujourd’hui de nombreuses entreprises. C’est la raison pour laquelle Jacques Civilise a choisi de transmettre ce savoir faire en créant ILM. Il reconnaît volontiers que pour lui: « monter un cabinet n’est pas un vieux rêve mais plus une continuité  permettant de capitaliser l’expérience méthodologique et de la transmettre ». Il est vrai que son expérience est abondante. Ce Gouadeloupéen entré à la RNUR comme desinateur en 1970 a gravit tous les échelons et fait tous les métiers, y compris un passage déterminant au service Achats. Pour lui : « l’innovation est partout. Il  faut savoir la capturer ». Excellent marin, sportif accompli, il a sût transformer des loisirs passionants en challenges d’équipe : organisation de régates,  animation d’équipes de football et même organisation de la fabrication d’une voiture de Formule 3000. De toutes ses expériences il tire une philosophie opérationnelle du succès : « pour réussir il faut avoir un objectif commun et savoir passer des jeux individuels au jeu collectif ». La méthode qu’il a imaginé à Guyancourt en est un exemple. Mais plutôt que de rester dans la réussite interne il préfère en juillet dernier quitter la firme au losange dont il reste très proche. En Septembre 2002 il crée ILM, Innovation Live Management dont le nom évoque la dimension  humaine. Coup de maître ! En effet, un examen de la matrice stratégique appliquée au conseil montre que les grands cabinets spécialistes du management et des ressources humaines ne font pas de gestion de l’innovation et qu’inversement les cabinets spécialisés en innovation font essentiellement du management des technologies ou de l’administration de projet, quand ce n’est pas de la pure instruction de dossiers financiers ! Aussi le créneau du management des hommes dans les projets innovants est-il totalement délaissé. Un zeste d’informatique en plus et le concept est prêt. ILM est créée comme une Société Anonyme Simplifiée au capital détenu à 88% par Jacques Civilise et 10% par Néoclès, un spécialiste du client-serveur léger qui héberge les applicatifs proposés par Jacques Civilise en support à ses  missions. Les clients d’ILM ont ainsi accès aux outils méthodologiques de management de projets sur un intranet dédié et bénéficient de ce fait d’un espace de travail partagé totalement externalisé chez Néoclès, et ce quelque soit leur localisation en France où dans le monde. L’installation des bureaux d’ILM au CNIT-Paris la Défense, soit à deux pas de l’éditeur Mediapps, un autre de ses partenaires, achève de complèter le mécanisme d’offre méthodologique intégrée et place Jacques Civilise non seulement au cœur du quartier des affaires mais aussi au cœur de son infrastructure innovante. Nul doute dés lors qu’ ILM devrait rapidement devenir un incontournable de la place. Son fondateur, que nous avions interviewé dans le passé pour le magazine Consulting et la revue Auto-Moto, alors qu’il officiait pour Renault, nous accueille aujourd’hui sous les voutes élancées du CNIT.


Jacques Civilise, on vous connaissait consultant interne, vous voilà maintenant consultant « tout court ». Racontez-nous un peu cela.

Jacques Civilise: consultant tout court ? En fait mon ambition va bien au delà. En français consultant a une définition un peu réductrice. En tant que consultant interne au sein de Renault j’étais à la fois acteur du conseil et réalisateur. Aussi par continuité je préfère dire aujourd’hui que je fais du conseil et de l’accompagnement actif à la réalisation. A cela j’ajoute de la formation et une aide méthodologique qui s’appuie sur de l’informatique partagée.


Pas de regrets pour Renault ?

Jacques Civilise: des regrets cela voudrait dire que tout est fini. Avec la firme au losange c’est une belle et grande histoire d’amour qui dure depuis 36 ans. Non seulement il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête mais bien au contraire, c’est une nouvelle et grande page qui s’ouvre.  J’ai seulement changé de statut. D’une certaine manière ceux qui avaient compris qu’il fallait me laisser travailler librement en interne ont tout aussi bien compris combien cette nouvelle liberté d’action et ces nouveau moyens que je me donne en étant chef d’entrerprise vont me permettre de parfaire le modèle d’efficacité que je développe. Aussi, c’est tout naturellement que Renault est devenu client d’ILM. C’est une grosse responsabilité dont je suis extrêment fier. C’est aussi une référence prestigieuse. 


Passer d’une grande entreprise à un petit cabinet, cela représente-t-il un grand
changement personnel ?

Jacques Civilise: Oui et non. Oui bien sûr car c’est un véritable changement d’univers et il m’a paru important de prendre le temps de m’y préparer afin d’éviter le syndrôme de la solitude qui guette tout nouvel entrepreneur dés le soir de son engagement. J’ai heureusement bénéficié d’un soutien moral de la part de nombreuses personnes et pas seulement chez Renault mais aussi de nombreux dirigeants de grandes entreprises qui m’avaient encouragé dans ce projet. Non, enfin,  dans la mesure où je suis un marin qui navigue depuis 40 ans. Je suis de la lignée des Glénans où l’on apprend que celui qui part en mer doit se débrouiller seul, se débrouiller avec son équipage, avec son bateau et revenir par ses propres moyens, quelques soient les conditions. Cela forme un certain état d’esprit que j’avais déjà intégré dans le management de mes équipes projet au sein de Renault sous couvert de ce que j’ai souvent décrit comme l’esprit Start-Up.


Rappelez nous un peu les méthodes développées pour le constructeur de Billancourt

Jacques Civilise: Là vous me ramenez à de très beaux projets de la gamme dite « M2S »: Laguna II, Velsatis ou encore Espace IV... La clé de la réussite a été d’introduire très en amont dans ces projets l’esprit Start-Up. Chaque innovation a été structurée en projet là où d’ordinaire une Direction s’attribuait le rôle par défaut. Ceux qui se sentaient concernés sont alors monté dans le bateau pour faire réussir le projet. L’ensemble des partenaires internes ou externes d’un projet a été fédéré dans une structure associée à un espace informatique commun : « l’Estran ».  On a jamais eût à priori de procédure figée mais plutôt une approche basée sur les trois pôles de la démarche Qualité: un état d’esprit, une méthode rigoureuse, un formalisme  simple et efficace ... on a pratiqué un coaching direct d’équipe.
 

C’était donc du coaching. Aucun problème de propriété intellectuelle j’éspère ?

Jacques Civilise: Absolument aucun. J’ai donné à Renault le meilleur de moi-même pendant des décénnies. Cette entreprise m’a accueilli tout jeune homme et m’a donné les moyens de grandir notamment par un volume de formation inoui. On m’a confié des champs d’action très variés où j’ai parfois souffert mais où j’ai pu jouir de ce luxe incroyable de ne jamais m’ennuyer une seule journée. Ces dernières années ont été dédiées à l’optimisation du management. Les savoir-faire, notamment techniques, qui ont été développés appartiennent à Renault et sont bien entendu restés chez Renault. Par contre, le savoir faire comportemental qui est au cœur du modèle de management que je développe chez ILM est lié à ma personnalité et ne peut appartenir qu’à moi même. C’est un peu comme pour un joueur professionnel qui change de club : les résultats antérieurs appartiennent au club mais la technique de jeu lui est forcément personnelle...


Tout cela est-il universel et applicable aux petites entreprises ?

Jacques Civilise: C’est le fondement du concept de base d’ILM. Toute mon expérience managériale, de conduite de projets complexes et de management de l’innovation ont été synthétisés dans un modèle baptisé DRHEAM ® comprenant marques, modèles et dessins déposés. DREAM signifie Développement des Relations Humaines et Applications au Management. J’y ai intégré le fruit d’expériences très variées, comme le management d’équipages en course au large, le management d’une écurie de monoplaces, le management de spectacles musicaux, l’esprit issu de la pratique de sports collectifs ou encore la maîtrise de la gestion des risques dans les sports individuels. DRHEAM TEAM ® a pour mission d’aider à réaliser l’équipe projet de rêve dans le cadre d’une entreprise élargie. DRHEAM MASTER PLAN
® concrétise une technique personnelle de rétroplanning orienté résultat et valeur client. Enfin DHREAM MONITORING SYSTEM ® est un ensemble d’outils logiciels développés en partenariat avec Néocles. DRHEAM  a pour unique objet d’aider à concrétiser sous forme de projet les rêves de mes clients. La force et l’efficacité de ce modèle c’est de replacer l’homme au cœur du projet et de développer l’excellence des relations grâce à une technique personnelle que j’ai baptisé l’ Ingénierie des Processus Coopératifs. L’idée fondementale est de passer d’une logique « d’additions de savoir-faire » à une logique de catalyse et de « synergie des savoir-être ». Le savoir-faire cela peut s’acheter, au prix fort s’il le faut, mais la qualité du savoir-être, surtout collectif demande un certain talent qui doit combiner à la fois un état d’esprit, une méthodologie et un minimum de formalisation. Lorsque l’on réussit cette combinaison, ce qu’ILM revendique, on peut l’appliquer partout. DRHEAM est donc un modèle universel ouvert, comme un solfège qui autoriserait toutes les réussites au gré des expertises et des talents sollicités.


Comment voyez vous les problèmes inhérents à l’action d’innover ?

Jacques Civilise: Je suis convaincu par une très longue pratique desujets difficiles qu’il ne peut y avoir d’innovation dans les produits et les services s’il n’y a pas d’innovation dans les processus, les organisations et les comportements. Innover c’est passer à l’acte. C’est intégrer une invention dans un environnement connu pour le bénéfice réel d’un client. Il y a beaucoup de discours et d’écrits sur ce qu’il faudrait faire mais le problème est tout simpement de le faire. La confrontation avec le réel est un problème pour beaucoup de gens.


Quel est votre avis sur la propension qu’ont les gens à ne pas savoir travailler
ensemble ? Même question sur les freins au changement.

Jacques Civilise: Je crois fondementalement qu’il existe un problème culturel et structurel. Tout le monde, sauf quelques individus atypiques qui doivent alors porter l’étiquette injuste de rebelles, est marqué par un système de formation qui, sans doute à juste titre pour certaines finalités essentielles, est basé sur des logiques de résolution de problèmes « posés a priori » et devant être résolus par des démarches « déductives » dans le cadre prétendument connu d’un univers de compétition individuelle forcenée. A cela s’ajoute le fait que toutes les entreprises ventent les mérites de l’esprit d’équipe et du travail d’équipe dans un cadre où les reconnaissances sont individuelles. Or le changement et l’innovation obligent à accepter d’avancer dans un univers incertain que l’on ne peut aborder que par une démarche résolument « inductive » et à l’asseoir sur une organisation fondementallement collective. Exactement le contraire de ce que l’on a généralement appris. Les freins sont donc inévitables.


Pensez-vous que l’on passe actuellement à une ère de changement et d’innovation ou au
contraire à une époque de plus grand conservatisme ?

Jacques Civilise: Je ressent une situation paradoxale, et un risque énorme pour nos sociétés. D’un côté il y a un besoin grandissant, vital, de stimuler et de développer l’innovation, et ce dans un monde où la complexité, la vitesse de l’information, la concurrence et les pressions résultant de la qualité et des délais ne cessent d’augmenter. D’un autre côté on assiste à une augmentation des freins et face au risques à un repli des personnes et de structures sur leurs domaines d’expertises respectifs, au moment où justement il deviendrait essentiel de s’ouvrir à un modèle délibérément coopératif. Beaucoup de chefs d’entreprises que j’ai rencontrés récemment expriment un sentiment de blocage, voir même une certaine perte de maîtrise sur les projets. Il y a donc une urgence à apporter des solutions neuves. ILM a été créé afin de contribuer concrètement à la résolution de cette situation.   


Alors, quelques nom clients dont vous pourriez nous parler ?

Jacques Civilise: On l’a dit nous sommes fiers de la confiance de Renault. Aussi fiers de celle de Bouygues ou encore de Rhodia. Nous venons récemment d’enregistrer une commande pour un projet prestigieux mais cela reste pour l’instant top confidentiel. On en reparlera plus tard. 


Des projets pour l’avenir ? A l’international peut-être ?

Jacques Civilise: On en a bien sûr mais chaque chose en son temps. Il faut savoir gérer avec soin sa courbe de croissance et prendre le temps d’intégrer un certain nombre de choses, malgré une envie d’accélérer fort...


Pour conclure parlez nous un peu de ce bateau aux couleurs d’ILM ...

Jacques Civilise: Dans DRHEAM qui évoque le rêve il y a H comme Homme. Dans ILM il y a L comme Live. Deux ingrédients propres à la course en mer. La voile est une formidable école de rêve, mais la mer est aussi une école de réalisme. Chaque course en mer est une remise en cause dans un univers incertain. A mon avis la mer est la meilleure école de management et de cohésion d’équipe. Mettre nos couleurs sur un bateau de course, c’est donc à la fois afficher les valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés et maintenir notre légitimité au sein de la famille des « gens de mer » à laquelle nous appartenons depuis si longtemps. Un de mes rêves est de pouvoir un jour former à cette école les chefs de projets de mes clients. Mais pour l’instant les places restent très limitées.
  

Propos recueillis par Bertrand Villeret


* Jacques Civilise est membre de l’UNCL, Union Nationale pour la Course au Large depuis 20 ans. L’UNCL est organisateur de la Route du Rhum et dépositaire du Défi Français dans l’America Cup.


Pour Info:
jcivilse@innolive.com


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