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Sept/oct   2004
Spécial Mondial de l'Automobile
La "Qualité Perçue" n'est pas une question d'argent

Par Richard Verglas, Partner du cabinet Hemeria


La notion de Qualité perçue est assez récente puisqu’elle est apparue chez les constructeurs automobiles fin 2000, début 2001. La qualité perçue  peut se définir comme la perception, en priorité par les clients – actuels ou potentiels, mais aussi le public et la presse – du soin  apporté à la conception et à la réalisation du véhicule. Il s'agit d'une perception multi-sensorielle (vue, toucher, odorat, ouïe, goût). Elle aboutit à une évaluation globale de la qualité et inclut des promesses de satisfaction du véhicule dans la durée. Elle se construit suivant un processus complexe, influencé par l'image de la marque du constructeur et par la séduction du style, qui comprend la perception immédiate et des points de détail perceptibles même occasionnellement.

La qualité perçue est un facteur clé dans la décision d’achat du client et constitue donc un enjeu majeur pour la marque du constructeur. Fin 2001, début 2002, les journalistes commencent à intégrer le critère de la qualité perçue dans les comparatifs. Aujourd’hui, dans un contexte concurrentiel très fort, cette notion est devenue déterminante. L’enjeu est de valoriser à long terme la marque pour fidéliser durablement le client, devenu un expert dans l’évaluation des véhicules. La qualité perçue est un facteur clé de la décision d'achat du client, qui cherche, après avoir été séduit par un style, à être rassuré sur la satisfaction qu'il tirera de son véhicule à l'usage, qu’il s’agisse de l’esthétique, du confort, de la sécurité, de la durabilité ou de la préservation de la valeur de son investissement. La réussite de plusieurs modèles en termes de qualité perçue crée progressivement, via les clients, utilisateurs et la presse, une réputation de qualité qui rejaillit à terme sur la marque, faisant bénéficier aux modèles de l'effet de halo lié à la marque.

La démarche d’amélioration de la qualité perçue, si elle débouche sur des bénéfices durables, s’inscrit dans un horizon de temps très long. Bernd Pischetsrieder, le président de Volkswagen, dont les clients attribuent une note qualité perçue supérieure à la qualité réelle des modèles, estime qu’il «préfère avoir un problème réel de qualité qu’un problème de perception, car nous pouvons résoudre le problème réel beaucoup plus rapidement que la perception».
Cette attention portée à la perception est au cœur de la réflexion menée par Patrick Le Quément, responsable du design chez Renault, et à l’origine du concept Touch Design. Il explique cette notion en évoquant une "
ergonomie sensuelle et émotionnelle". Chaque commande doit inviter à l'utilisation, suggérer la fonction. Pour atteindre ce résultat, les matériaux utilisés doivent être doux au contact, la forme doit être lue comme une invitation et leur manipulation doit être en parfaite adéquation avec leur mécanisme. La beauté des appareils doit susciter l'envie de les toucher et de les utiliser.

A contrario, une erreur dans le travail de finition, et c’est toute la réputation d’une marque qui peut être remise en cause. Ainsi, la Mercedes Classe A de première génération (1998) n’était pas au niveau de qualité perçue attendu par les clients. Une somme de détails a porté préjudice à la marque. Entre autres, citons  la toile en plastique en guise de cache-coffre ou la planche de bord. Ces points ont été rectifiés en partie au cours du restyling (2001). La nouvelle Classe A, qui sort en septembre 2004 gomme ses erreurs de jeunesse. Elle est avant tout plus spacieuse, avec des côtes d'habitabilité qui progressent à tous les niveaux. Elle mise sur le confort haut de gamme, avec notamment un tableau de bord digne du standing de la marque, et une position de conduite excellente qui ne donne plus cette impression "d'avoir les pieds trop hauts" du précédent modèle.


A l’origine de la qualité perçue, il ya le déplacement de l’attention du client et une exigence accrue portée au détail. La qualité perçue résulte de l’évolution de la notion de qualité de fabrication et d’usage. En effet, cette dernière, du fait des progrès techniques importants des dernières années, est considérée comme un acquis pour le client. Le critère qui va alors influencer et décider le client avant et au moment de l’acte d’achat se trouve déplacé. Devenu un expert en qualité, le client développe une perception organisée et aiguisée. Des études ont montré qu’il parcourt la voiture en suivant un véritable canal de lecture, son regard se portant sur des "points de vigilance". Dans l’ordre : le bloc optique avant, puis la calandre; le regard se dirige ensuite vers la zone de transition capot-pare-brise, puis se pose sur le nœud montant baie-aile-porte. Il se déplace ensuite vers les passages de roue arrière, remonte sur le coffre puis sur les surfaces vitrées latérales. Le dernier champ d’observation concerne les bas de caisse, les jantes des roues avant et enfin les flancs avant.

Le nouveau regard critique du client a imposé la mise en place d’un nouveau référentiel métier pour les  constructeurs. Contrairement aux prestations techniques, qui peuvent être évaluées objectivement, et cela très en amont du processus d’élaboration, les points critiques dans le domaine de la qualité perçue ont majoritairement été « révélés » au cours d’études empiriques, en présence des clients, permettant par la suite l’élaboration progressive de référentiels métiers.  Ainsi, les experts ont observé que les optiques avant constituent l’un des points essentiels de le découverte de l’extérieur d’un véhicule. Les optiques translucides, comme ceux de la Skoda Fabia ou de la Fiat Punto, sont valorisées par la clientèle comme étant «modernes», «haut de gamme», «chics». L’aspect translucide des optiques suggère certes la fragilité, mais il est apprécié pour l’esthétique et la suggestion d’un éclairage plus efficace. Autre point critique, les passages de roues pour lesquels une attention particulière est donnée à la proportion entre les roues et le véhicule, le jeu vertical et les affleurements entre l’aile et le pneu. A l’intérieur, les points critiques sont la qualité des matériaux (plastiques, tissus), la qualité de l’assemblage (sertissage, fixations, accostages), les commandes et boutons divers de la planche de bord. Pour bénéficier d’une bonne appréciation, les matériaux de la planche de bord et du panneau de porte doivent être mat d’aspect (signe de profondeur et de douceur), moelleux au toucher (signe positif de résistance et de sécurité), et donner le sentiment de noblesse (le grain fait plutôt référence au cuir, et non au plastique). C’est notamment sur ces points que la Peugeot 407 cherche à rivaliser avec les familiales allemandes avec un tableau de bord à la finition soignée, et des sièges - aspect des matériaux et dessin – dont la réalisation a été remarquée. En ce qui concerne l’assemblage, le client portera son attention sur les accostages et les affleurements. S'agissant des commandes et boutons, les clients évaluent d'abord l'ergonomie puis la qualité de réalisation (durabilité et qualité de fonctionnement). Eviter la fausse note mais surtout créer une harmonie d’ensemble, tel est le nouveau défi imposé aux constructeurs.

Pour les constructeurs, les démarches d’amélioration de la qualité perçue sont intégrées dans les modes de développement des nouveaux produits et poussent à une meilleure allocation des ressources
. Ainsi la qualité perçue a modifié le processus de développement chez certains constructeurs, en ce sens qu’elle constitue un dénominateur commun entre les différents métiers : style, marketing, achats, produit, conception…. Elle permet de faire  converger des objectifs parfois divergents vers un objectif commun : obtenir un résultat perçu et apprécié par le client. La qualité perçue devient un élément de discussion pour arbitrer des choix de faisabilité technique. L’enjeu est d’autant plus important qu’un élément mal noté lors d’un test clinic peut engendrer des surcoûts, comme cela a pu être le cas avec la planche de bord de la Peugeot 607. Hormis ces cas particuliers, améliorer la qualité perçue d’un véhicule n’engendre généralement pas un coût supplémentaire pour le constructeur mais pousse plutôt à une meilleure allocation des ressources. Il s’agit avant tout d’investir sur les critères valorisés par le client. Ainsi, sur les planches de bord, le Slush,  matériau souple, est perçu comme matériau de qualité par les clients. Mais son prix de revient est supérieur au plastique traditionnel. Tout le travail consiste alors à faire un mix entre ces deux matériaux pour ne valoriser que les parties visibles par le client. Par exemple, sur la Renault Megane, on trouve ce matériau souple sur des parties très ciblées de l’habitacle, comme la partie des poignées manipulée par le bout des doigts des usagers.
 
Assiste-t-on pour autant à une course au détail différenciant ? Rien n’est moins sûr tant les évolutions à venir sont majeures.
A court terme, les bénéfices de la qualité perçue sont plus tangibles pour le client, de même que les nouveaux  postes d’optimisation de coûts apparaissent plus clairement pour les constructeurs. Des modifications structurelles sont attendues pour 2005 et concernent d’abord les sièges: fins, légers, ils seront fixes et ce sont les commandes qui viendront au conducteur, qui pourra au préalable renseigner des paramètres individualisés. En terme de qualité perçue, la sensation d’espace et de luminosité sera renforcée grâce à la limitation de la largeur des montants de baie au profit des surfaces vitrées. L’habitabilité sera également améliorée, ainsi que l’esthétisme général. En terme de coût,  les postes de réduction concernent les sièges, avec la suppression des rails, et les dispositifs de sécurité active et passive, rendus moins contraignants. Enfin, le poids du véhicule sera diminué.
La deuxième évolution concerne le poste de conduite avec la suppression du pédalier au profit de commandes électriques et hydrauliques au volant. C’est le principe du Drive by Wire qui rassemble sur une même console les commandes et le contrôle de la direction, de l'accélération, des freins et de la boîte de vitesses.

La qualité perçue a semble-t-il franchi un cap, laissant la place à une nouvelle série de bénéfices pour le client, et à de nouveaux enjeux pour les constructeurs.

Richard Verglas



Nota:
Richard Verglas est Partner chez Hemeria, cabinet de conseil en management. Il a mené des missions dans les domaines de la recherche et développement et de l’amélioration de la performance industrielle, principalement dans les secteurs Aéronautique et Automobile. Il a travaillé sur l’amélioration de la Qualité pour un grand constructeur automobile français.


Pour Info:
http://www.hemeria.fr/


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