Chronique
Déc  2021



A la recherche du temps perdu : retour sur l’annulation de la vente des sous-marins français à l’Australie

La fin de l’année 2021 a été marquée par l’annulation brutale du contrat de vente des sous-marins français à l’Australie. Cette décision a été officiellement annoncée par le premier ministre australien Scott Morrison. Elle a représenté un cuisant échec pour la France. Elle témoigne du fait que, face à la Chine, les Anglo-saxons resserrent les rangs ; que ceux-ci considèrent la France davantage comme un trublion que comme une alliée dans la zone indopacifique ; qu’enfin la France s’est pliée au diktat de Washington devant une Europe indifférente ou  carrément complice des Etats-Unis.

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Image d'archives : Le Redoutable - Copyright Georg Wallner 2004 


La fin de l’année 2021 a été marquée par l’annulation brutale du contrat de vente des sous-marins français à l’Australie. Cette décision a été officiellement annoncée par le premier ministre australien Scott Morrison. Elle a représenté un cuisant échec pour la France. Elle témoigne du fait que, face à la Chine, les Anglo-saxons resserrent les rangs ; que ceux-ci considèrent la France davantage comme un trublion que comme une alliée dans la zone indopacifique ; qu’enfin la France s’est pliée au diktat de Washington devant une Europe indifférente ou  carrément complice des Etats-Unis.

Face à la Chine, les Anglo-saxons resserrent les rangs
Après le camouflet reçu à Kaboul, le président Joe Biden a, comme à chaque fois dans les moments difficiles depuis la Première Guerre mondiale, resserré les rangs entre ses alliés du premier cercle, c’est-à-dire, entre les pays anglo-saxons. Les Etats-Unis ont regroupé autour d’eux  l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. La cible de cette alliance est toute désignée : la Chine. Une Chine qui, galvanisée par l’échec américain en Afghanistan, revendique haut et fort le droit de récupérer Taïwan qu’elle considère comme partie intégrante de son territoire national. Washington sait que, désormais, son destin de grande puissance en Asie et dans le monde va se jouer en partie à Taïwan. L’autre partie est celle qui est en train de se jouer à Téhéran sur la question de savoir si, oui ou non, l’Iran accédera à l’arme nucléaire. La nervosité de Washington s’explique par le fait que ces affaires semblent assez mal engagées et que les Américains pourraient échouer dans les deux cas, de manière encore plus piteuse que lors de la chute de Kaboul. Dans la partie de Go qui s’est engagée entre les deux super-puissances, c’est pour l’instant la Chine qui garde l’avantage.

La France, qui n’a jamais été considérée comme faisant partie du premier cercle de leurs alliés par les Etats-Unis, a été la première victime collatérale de cette alliance ressuscitée entre les pays anglo-saxons.


Les Anglo-saxons considèrent la France davantage comme un trublion que comme un allié dans la zone indopacifique
Le prétexte invoqué par le gouvernement  australien pour annuler l’achat de 12 sous-marins à propulsion classique a été le péril grandissant représenté par la Chine. Face à cette menace, Canberra s’est convaincu de la nécessité de se doter de sous-marins à propulsion nucléaire. Sur le plan stratégique l’argument est discutable. Par contre, cette décision est révélatrice du fait que les Anglo-saxons regardent les Français davantage comme des trublions que comme des alliés au sein de la zone indopacifique. Ainsi, la France a cherché à jouer sa propre carte dans cette zone en vendant des armes à l’Australie mais aussi à l’Inde. Elle s’est fait aussi remarquer en défendant une position modérée face à la Chine. Or, pour Washington, l’heure est au bras de fer avec Pékin. Aussi fallait-il  envoyer un message fort à la France. C’est chose faite désormais. La France ne pourra pas compter sur la mansuétude de Washington dans cette zone où les ennuis ne font que commencer pour elle. Certes le non à l’indépendance l’a emporté en Nouvelle-Calédonie mais , avec une faible participation, du fait de l’abstention prônée par les indépendantistes. La suite est prévisible. Ceux-ci  iront  plaider leur cause à l’Onu où ils trouveront des oreilles complaisantes pour se pencher sur leur cas, surtout si, par malheur, la violence ressurgit dans l’île. Paris sera alors dénoncé comme un pouvoir colonisateur aussi bien par Canberra que par Pékin, qui attendent chacun leur heure. Bref, face à des alliés comme les pays anglo-saxons, les dirigeants français devraient se remémorer ce vieil adage des rois de France : mon  Dieu, gardez-moi de mes amis, de mes ennemis je m’en charge.

L’affaire de l’annulation de la vente des sous-marins français à l’Australie est également grave pour une autre raison qui semble avoir échappé à la plupart des commentateurs. En acceptant de vendre à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire, les Américains ont ouvert une brèche dans le traité de non-prolifération nucléaire au moment même ou ils cherchent à dissuader l’Iran de devenir une puissance nucléaire. D’autres pays pourraient demain facilement contourner les clauses de ce traité en acquérant, à leur tour, des sous-marins de ce type, mettant ainsi le pied  sur le chemin de l’accès à l’arme nucléaire. Il se murmure que le Canada a demandé au Royaume-Uni d’envoyer l’un de ses sous-marins nucléaires patrouiller dans les eaux du grand Nord. Il s’agirait d’habituer la marine canadienne à ce nouveau type de bâtiment car, comme l’Australie, le Canada envisagerait d’acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire. Gageons que l’Australie ne restera pas longtemps le seul pays à opter pour ce type de posture :  à quoi bon acquérir des sous-marins à propulsion nucléaire sans vouloir en même temps les doter de missiles à têtes nucléaires ? Les Etats-Unis ont, de longue date, testé  avec le Royaume-Uni le modèle qu’ils partageront peut-être demain avec l’Australie, les Britanniques achetant leurs sous-marins et leurs missiles aux Etats-Unis et disposant ainsi d’une double clé de commandement. Il va sans dire qu’aucune décision d’ouverture du feu nucléaire n’est possible sans l’accord des Américains, un officier de l’US Navy accompagnant de surcroit chaque déplacement d’un sous-marin Britannique.  
                                                                 

La France s’est pliée au diktat de Washington devant une Europe indifférente ou complice des Etats-Unis
Le président Emmanuel Macron a réagi à l’affront australien en rappelant à Paris pour 48 heures les ambassadeurs de France à Canberra et à Washington. Moins d’une semaine après, le nouveau chef d’état-major des armées déclarait que  la France et les Etats-Unis étaient et demeureraient des alliés indéfectibles, chose que nous ne demandons qu’à croire après ce qui vient de se passer. L’affront  a été vite digéré et, ensuite, l’Elysée a préféré communiquer sur la vente de trois frégates à la Grèce et sur celle de quatre-vingts Rafale aux Emirats Arabes Unis et cela même si le montant cumulé de ces deux contrats ne représente pas la moitié de celui perdu en Australie. Il est vrai que tout est bon à prendre cette année où le déficit commercial de la France dépassera les soixante-dix milliards d’euros. Notons au passage que l’Union Européenne a joué les grandes muettes même si la présidente de la commission, Ursula Von Der Leyen, a déclaré que de telles choses ne devraient pas avoir lieu entre alliés. A vrai dire, les Allemands, qui avaient perdu ce contrat face à la France, ont ri sous cape tandis que les Danois affichaient leur soutien sans faille aux Etats-Unis. Les Britanniques sont  restés d’une discrétion exemplaire. Certains mauvais esprits ont même été jusqu’à dire que ce sont peut-être eux qui ont soufflé l’idée de l’annulation du contrat au président Biden afin de jouer un vilain tour aux Français.

Il faudra beaucoup de talent à tous ceux qui, après ça, gloseront sur le bien- fondé d’une véritable défense européenne. L’Europe de la défense n’existe pas parce qu’en dehors de Paris personne n’en veut. Pour l’Allemagne et l’immense majorité des pays européens, la défense, c’est l’affaire de l’OTAN. Si un jour l’OTAN venait à disparaître ces pays glisseraient probablement vers une forme de neutralisme. La seule attitude cohérente pour la France est de réinvestir dans sa défense en portant le plus vite possible son budget militaire à 3% de son PIB tout en quittant le commandement intégré de l’OTAN.

Yves Perez
Professeur émérite à  l'UCO d'Angers,
Enseignant aux écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan
 

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