Salon
Juin-juillet 2005  

Spécial Le Bourget 2005

Interview: Rachel Villain
Directeur Espace et Communication d'Euroconsult , Paris
Euroconsult est «Le» cabinet spécialiste international pour les études économiques appliquées au secteur spatial. Rachel Villain fait le point avec nous sur ce secteur pour lequel les financements privés complètent maintenant ceux de la sphère publique.
Satellite
Image: Boeing. Courtoisie Euroconsult

Rachel Villain, vous dirigez le secteur Espace & Communications d’Euroconsult, un cabinet qui compte aujourd’hui une vingtaine de personnes. Ceci n’a pas toujours été le cas, pouvez-vous nous rappeler les grandes étapes du cabinet ?

Rachel Villain : Marc Giget, ancien chercheur de l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) a fondé il y a plus de 25 ans le SEST, un groupe d’études sur les aspects sociaux et économiques des technologies nouvelles. Il créa ensuite la société Euroconsult, spécialisée dans l’analyse économique du secteur aérospatial. Avec l’émergence de l’espace comme nouveau secteur d’activité économique au milieu des années 1980, la société a développé une spécialisation internationale dans ce secteur. Marc Giget, aujourd’hui Président d’Euroconsult, est aussi titulaire de la Chaire d’Economie de la Technologie et de l’Innovation au CNAM.


L’héritage culturel du fondateur marque donc fortement l’activité du cabinet

Rachel Villain : Nos outils d’analyse et notre expertise des différents champs du secteur spatial reposent sur un savoir-faire et des méthodes développées par Marc Giget pour les secteurs innovants. Le positionnement du cabinet par son fondateur sur l’aérospatial puis sur le spatial quand il est devenu significatif a été déterminant.


Peut-on passer en revue vos prestations dans le domaine spatial ?

Rachel Villain : L’offre du cabinet comprend 3 types de services : les études en coûts partagés qui sont commercialisées à l’international pour tous les acteurs de la chaîne de valeur du spatial ; les missions d’études et de conseil pour l’aide à la décision des grands acteurs publics et privés du secteur au niveau international; et enfin l’événementiel avec notamment l’organisation chaque année en septembre à Paris de la World Satellite Business Week qui réunit tous les grands acteurs du secteur. Les études en coûts partagés analysent de manière récurrente la situation et les perspectives des marchés spatiaux gouvernementaux (World Prospect for Government Space Markets), des marché spatiaux commerciaux (World Satellite Communications & Broadcasting Markets Survey), et en résultante, des marchés des satellites à construire et à lancer (World Market Survey of Satellites to be Launched).


On imagine que cette offre ne se crée pas au pied levé

Rachel Villain : C’est l’expertise accumulée depuis plus de 20 ans avec les bases de données correspondantes, un réseau de contacts international et des outils d’analyse validés qui nous permet de proposer à nos clients le service le plus efficace pour l’aider dans sa prise de décision qui engage des investissements dans ce secteur. Pour les investisseurs dans le spatial, le nom d’Euroconsult est un gage d’analyse approfondie et indépendante.


A quels types de questions les études répondent-elles dans le détail?

Rachel Villain : Nos études et missions de conseil contribuent à réduire la prise de risque pour le client, que cela concerne le business plan d’un nouveau satellite, une opération de fusion/acquisition nécessitant une due diligence des actifs cédés et une valorisation de la société concernée par la transaction, des investissement en R&D par un constructeur de satellite ou une agence spatiale. Les problématiques évoluent dans le temps. Dans la décennie 1990, les questions étaient de savoir si la Russie et l’Asie seraient de nouveaux marchés pour les industriels européens ou si les deux constellations de satellites en orbite basse pour des services de communications mobiles (Iridium et Globalstar) trouveraient un marché et à quelles conditions. Aujourd’hui l’Asie est le troisième marché derrière l’Europe et l’Amérique du Nord pour les services de communications et de télédiffusion par satellite. Un de nos clients récents, la société Thuraya Satellite Communications des Emirats Arabes Unis s’interroge sur l’opportunité de lancer un satellite géostationnaire couvrant l’Asie pour des services de communications mobiles en concurrence avec ceux des satellites d’Inmarsat et d’un opérateur local (ACeS). Il faut donc réaliser un busines plan qui définit les flux de recettes par une étude de marché, les opex (operating expenses), les capex (capital expenditures) et les cash flows afin que les partenaires du projet évaluent les risques et les retours sur investissement. Une des questions d’actualité pour les opérateurs de satellites concernent la TV Haute Définition (TVHD) et son impact sur les bouquets de TV par satellite.


Vos études sont donc le support et le point de départ d’un conseil que vous proposez à vos clients. Peut-on le préciser plus?

Rachel Villain : Comme je l’indiquais précédemment, notre offre de conseil est orientée «aide à la décision» pour des acteurs publics (agences spatiales, ministères ayant la tutelle de l’espace, ministères utilisateurs de la technologie spatiale comme les Ministères de la défense) et privés (sociétés d’exploitation des satellites, sociétés de construction des satellites, fournisseurs de services de lancement, fonds d’investissement, banques, sociétés d’assurance) au niveau international. Nos interventions pour ces clients font appel à notre connaissance générique des marchés concernés entretenue par la réalisation des études de recherche en coûts partagés. Chaque mission pour un client est spécifique et nécessite de la desk research, des enquêtes terrain et des modèles de prévision dont les hypothèses sont définies avec le client. C’est le cas par exemple pour tout nouveau satellite pour lequel l’opérateur recherche des financements.


Quels sont les clients pour ce conseil?

Rachel Villain : Des investisseurs (banques commerciales, banques d’investissement, fonds d’apport en capital..), des industriels, des opérateurs de satellites, des gouvernements, de grandes agences spatiales (ASE, CNES,...). Pour l’Agence Spatiale Européenne, nous avons travaillé sur les opportunités dans le domaine spatial pour les nouveaux pays rejoignant la Communauté Européenne.


Pourquoi tous ces opérateurs qui à priori ont des compétences internes sur le sujet font-ils appel à un cabinet ? Et pourquoi tous les cabinets ne se mettent-ils pas sur ces marchés?

Rachel Villain : Pour répondre à votre première question, l’externalisation de l’analyse répond le plus souvent à des priorités de mission pour ces acteurs et à la volonté d’obtenir des résultats indépendants de la part d’une société renommée. En ce qui concerne la concurrence sur ce marché, elle existe de la part de grands cabinets généralistes américains mais il y a un coût d’entrée et un coût de maintien de l’expertise que tous ne souhaitent pas entretenir. L’expertise sectorielle internationale nécessite de connaître en détail tous les acteurs, les satellites, les cycles (un avion à une durée de vie de 30 ans, un satellite 15 ans en moyenne). Par ailleurs ce secteur peut être proche de la science fiction parfois, avec une réalité économique qui n’est pas facile à appréhender. Par exemple, il y a 20 ans, il existait un consensus difficile à contredire qui  estimait que le chiffre d’affaires de la production pharmaceutique et de matériaux électroniques en microgravité serait aujourd’hui de l’ordre de plusieurs milliards de dollars par an. Aujourd’hui la microgravité reste un domaine d’expérimentation mais n’est pas devenue un enjeu économique. Le même type de question se pose actuellement pour le tourisme spatial.


Vous stigmatisez l’indépendance. Peut-on matérialiser cette réalité par un exemple?

Rachel Villain : Au milieu des années 1990 il y avait un véritable engouement pour des services de téléphonie à couverture mondiale utilisant des combinés portables à partir de constellations de petits satellites en orbite basse alors que les satellites de télévision et de télécommunications traditionnels sont en orbite géostationnaire. Nous avons travaillé alors pour une grande banque japonaise qui était sollicité par Iridium pour un investissement de 400 M$ dans sa constellation de 60 satellites. Il était difficile d’aller contre l’idée reçue que ce projet était sans risque puisque Motorola en était l’initiateur. Notre analyse a mis en évidence différents facteurs de risques, plutôt liés à la distribution du service, qui ont contribué au fait que la banque ne s’engage pas sur ce projet qui finalement s’est terminé par une faillite de 3 milliards de $. Euroconsult intervient lorsqu’il y a une problématique d’évaluation de risques (commercial, de partenariat, technique,…) pour un opérateur de satellite, la banque ou le fond d’investissement qui le finance, ou un gouvernement qui souhaite s’engager dans un nouveau programme de R&D, par exemple. La construction, le lancement et l’assurance d’un satellite géostationnaire haute performance représente en effet un investissement de 250 M$.


Est-ce à dire que le secteur n’est pas si intéressant que cela d’un point de vue économique?

Rachel Villain : Non pas du tout, mais la profitabilité est variable selon le niveau ou l’on se trouve dans la chaîne de valeur qui part de la conception des satellites jusqu'à la multitude de services rendus à des communautés diverses d’utilisateurs (télécommunications, télévision, Internet, observation de la Terre, météorologie, navigation, rien que pour des usages civils). Le marché de construction et donc de lancement de satellites géostationnaires commerciaux est dans un cycle bas avec une forte concurrence entre les industriels du secteur mais les opérateurs commerciaux de satellites intéressent de plus en plus les investisseurs en capital en raison de cash flows positifs et prévisibles. 


Trouve-t-on là les raisons de l’évolution capitalistique de ce marché?

Rachel Villain : Après la phase pionnière des années 60 de démonstration de l’efficacité de la technologie des satellites pour des services de télécom. & de TV a suivie une phase de mise en place de systèmes opérationnels de satellites financés par les gouvernements, à l’exception des Etats-Unis. A la fin des années 90 a débuté une phase de privatisation des opérateurs de satellites qui a culminé en 2004 avec le rachat de cinq des plus grandes sociétés (Intelsat, Eutelsat, New Skies, PanAmSat, Inmarsat) par des fonds à effet de levier (leveraged buy out) qui les placent maintenant sur des marchés d’actions (IPO).


Voit-on d’autres tendances apparaître?

Rachel Villain : Les PPP (Public Private Partnerships) associant des financements publics et privés pour l’acquisition de systèmes de satellite est certainement une tendance nouvelle pour le secteur. Il peut y avoir une concession de service public à un exploitant privé sur le modèle des hôpitaux ou des autoroutes. La constellation de satellites européens Galileo pour la navigation sera ainsi exploitée par un consortium d’entreprises européennes pour la fourniture de services gouvernementaux et commerciaux. Les PPP sont nés de la pression budgétaire très forte aux niveaux des Etats qui les poussent à trouver des schémas innovants de financement de leur acquisition de services. En effet, il  ne leur est plus nécessaire de financer un système (infrastructures, armes, …)  pour disposer d’un service. L’exemple le plus frappant dans le domaine spatial est celui du ministère de la défense du Royaume Uni qui a contracté avec Paradigm Secure Communications, une filiale spécialisée de EADS, pour disposer d’un service de communications par satellite pendant 20 ans à partir du système Skynet 5 financé par EADS.  


Et pour ce qui concerne les événements que vous organisez pour le secteur?

Rachel Villain : Depuis 1997 Euroconsult est le concepteur et l’organisateur d’un événement qui est devenu la première marketplace dédiée aux acteur du spatial : Le World Summit for Satellite Financing a lieu chaque année à l’hôtel Intercontinental à Paris dans le cadre de la World Satellite Business Week qui comprend également le World Symposium on Market Forcasts for the Satellite Business. L’événement rassemble environ 300 CEO provenant de nombreuses communautés : les opérateurs de satellites (SES Global, Eutelsat, Intelsat, PanAmSat...), les fabricants de satellites (EADS Astrium, Alcatel Space, Lockheed Martin...), les fournisseurs de services de lancement (Arianespace, ILS...), les constructeurs de lanceurs (EADS Space Transportation pour Ariane V, …) et enfin des financiers, banques, fonds d’investissements (Apax, Permira, Carlyle, KKR...) et assureurs. Le 9th World Summit for Satellite Financing aura lieu cette année du 6 au 8 septembre.


Septembre à l’Intercontinental ce n’est pas Juin au Bourget. Comment vous positionnez-vous par rapport au Paris Air Show?

Rachel Villain : Le Bourget est principalement un salon dédié à l’aéronautique et l’espace y est peu représenté. Nos clients et les communautés d’acteurs avec lesquelles nous travaillons sont peu présents et nous préférons des événements plus ciblés, comme celui que nous organisons.


Un mot peut-être sur les chiffres que vous connaissez bien. L’espace ça représente « combien » d’Euros?

Rachel Villain : Les gouvernements à travers le monde dépensent environ 38 milliards € par an pour des systèmes spatiaux (satellites, lanceurs, segment sol) dont une grande partie aux Etats-Unis ou se trouve la plus grande agence spatiale (La NASA) et le plus grand utilisateur de satellites (le DoD, Department of Defence). Les sociétés privées exploitant des satellites dépensent actuellement moins de 4 milliards de €, principalement pour des satellites de télecom. & de TV car les autres applications (observation de la Terre, navigation) sont à un niveau bien moindre de maturité commerciale. Au cours des 4 premières années du 21ème siècle 60 satellites ont été lancés par an. C’est moins en nombre que les 106 satellites lancés par an sur la période 1996-2000 qui correspondait à la mise en place de constellations en orbite basse (LEO, Low Earth Orbit) et à une forte demande pour des satellites géostationnaires (GEO) avec l’émergence de la TV numérique par satellite. Aujourd’hui le marché des satellites géostationnaires est entré dans une phase basse de son développement cyclique mais les lancements de satellites gouvernementaux sont plus nombreux avec l’activité continue des grandes puissances spatiales (USA, Europe, Russie, Japon, Chine, Inde) et l’intérêt croissant de nombreux nouveaux pays pour ce secteur (Taiwan, Corée, Thailande, Nigéria, Argentine,..).


Rachel Villain, un dernier mot pour conclure. Comment sont placées la France et l’Europe dans l’espace?

Rachel Villain : Il  est difficile de les séparer aujourd’hui. La France a deux grands constructeurs de satellites, EADS Astrium [anciennement Matra Marconi Space] et Alcatel Space [anciennement Aérospatiale], qui sont des leaders mondiaux avec des filiales en Europe. Pour les lancements, l’Europe est bien placée avec une panoplie de trois lanceurs : Ariane 5 comme lanceur lourd, Soyuz lancé de Kourou comme lanceur moyen et Vega pour des petits satellites en orbite basse. Les pas de tirs de Soyuz et Vega sont en construction à Kourou pour une mise en service en 2006/07.  Dans les services par satellite, l’Europe est bien placée avec 2 des plus grands opérateurs de satellites commerciaux de TV (SES Global à Luxembourg et Eutelsat à Paris) et Spot Images pour la commercialisation de données d’observation de la Terre.


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine



Pour Info
www.euroconsult-ec.com/


Image: Beoing, courtoisie Euroconsult



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Rachel Villain










































































































































































































































































































Crédit photo:
Courtoisie Euroconsult 

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