Salon
Juin-juillet 2005  
Spécial Le Bourget 2005
Interview: Stephane Albernhe
Senior Partner, Roland Berger Strategy Consultants, Responsable de la practice  Aerospace - Defence
Au bureau parisien de Roland Berger, le secteur Aérospatial et Défense représente un quart de l’activité et s’est encore renforcé cette année. Aussi la tenue du Salon du Bourget représentait bien évidemment un des temps fort de 2005 pour le cabinet. Stéphane Albernhe brosse en stratège du domaine les grands traits et les tendances du secteur pour les lecteurs de ConsultingNewsLine


Stéphane Albernhe, on le sait peu mais Roland Berger Strategy Consultants est un des leaders du conseil dans le secteur aéronautique et spatial. Une raison à cela?

Stéphane Albernhe: Comme vous le savez nous sommes le seul cabinet d'origine européenne dans les  8  premiers cabinets de stratégie de la place, lesquels sont tous anglo-saxons. Et notre origine est allemande, d’où un intérêt naturel pour l’industrie et les hautes technologies. Pour l’activité Aerospace - Defence nous sommes  actifs dans 14 des 31 bureaux du réseau et notamment à Paris, Londres, Detroit, Munich, Sao Paulo et Moscou. A Paris, il s’agit d’une Practice qui représente depuis 2 ans 25 % de l’activité totale du bureau. Elle devrait atteindre 30% en 2005.


Cette activité est sous votre responsabilité. Quelles sont les diverses actions qui sont menées par la practice dont vous avez la charge?

Stéphane Albernhe: D’abord celle-ci s’inscrit dans une logique générale de croissance et de migration sur la chaîne de valeur que l’on analyse pour les acteurs du secteur : les constructeurs, les équipementiers, les agences voire les financiers.


Comment se décline l’offre de Roland Berger dans ce secteur?

Stéphane Albernhe: Nous sommes plutôt dans des missions d’accompagnement contrairement aux autres experts du secteur qui sont plus orientés sur les études de marché. Nous déclinons cet accompagnement de la manière suivante : définition de la stratégie, mise en place de stratégies d’alliances, déploiement de programmes, interventions chez les fournisseurs. On est typiquement sur le créneau de Mckinsey, BCG, Mercer et Bain.... avec un bon équilibre entre stratégie et accompagnement.


Le Bourget 2005 semble être une véritable réussite. Est-ce à dire que le secteur aéronautique et spatial serait reparti?

Stéphane Albernhe: Incontestablement. Mais il faut se méfier des impressions. Le secteur spatial par exemple, ne représente que quelques pour cents du secteur aéronautique et est en restructuration permanente.


Donc pas de tendance à l’euphorie. Quel est l’état réel du secteur?

Stéphane Albernhe: Le secteur se divise en 3 domaines :  le Spatial, l’Aéronautique civile et la Défense. Clairement le premier est touché par les surcapacités et est calé en mode Restructuring. On peut observer les événements suivants : d’abord le nombre de lancements est faible, une quinzaine par an avec 4-6 pour l’Europe. Les pertes sont quelques fois importantes, la visibilité financière faible et les amendes pour retard élevées. Industriellement ce n’est pas mieux. EADS a arrêté Ariane 4 du fait de l’alourdissement des satellites. Boeing a préféré sortir partiellement du jeu et arrêter  les lancements commerciaux. Aujourd’hui, il n’y a pas de marchés de constellations, car il y a des problèmes techniques et des solutions de substitution terrestres. Reste Galileo qui permettrait de s’affranchir de la constellation des satellites américains. Il en va d’un enjeu stratégique et de souveraineté nationale, comme de qualité de service, (la fiabilité du service  GPS se révélant parfois douteuse, en cas de conflit... comme au quotidien). Donc Galileo, c’est positif pour l'Europe et le budget est voté. Mais devant les risques, les deux sociétés finalistes de l’appel d’offre ont préféré s’associer.


L’Aéronautique Civile fort heureusement semble aller bien. Qu’en est-il?

Stéphane Albernhe: Pour ce qui est de l’Aéronautique Civile, pour bien analyser ses tendances, il faut la répartir en 3 catégories : le Commercial (Boeing, Airbus), le Régional (Embraer, Bombardier, ATR...) et les Business Jets ( Cessna, Dassault, Gulfstream...). Pour le Commercial, très clairement il y a effervescence avec beaucoup de commandes et de programmes en cours : chez Boeing, B 787  et chez Airbus, A380, A320 NG et A350 qui est la riposte d’Airbus au Boeing 787. Le secteur est là caractérisé par de nombreux programmes et le retour de Boeing qui, après des années de retrait, a trouvé  avec son 787 le moyen pour revenir dans la course avec une véritable  approche stratégique. Donc un secteur en relative croissance et qui tire par ailleurs sa croissance des activités de support et de service: MRO Formation, Documentation technique, Retrofit, Refurbishment, Financements. Ces activités ont le vent en poupe.


Qu’est-ce qui explique cette "envolée" du Commercial alors que depuis les événements du "11 septembre" le tourisme était en régression?

Stéphane Albernhe: Le secteur a évolué et l’on a vu apparaître des acteurs nouveaux. Il y a les compagnies classiques qui se sont consolidées et ont repris leurs commandes. Il y a les Freighters, secteur qui discrètement a continué à croître (Air France Cargo, FEDEX...). Ensuite les Low Cost (Ryan Air...) qui ont fait une entrée remarquée et qui grimpent. Enfin les Leasers qui se développent également rapidement en raison du besoin de flexibilité des compagnies aériennes. Aujourd’hui les compagnies, qu’elles soient Charter ou Legacy, adaptent leur flotte en louant les avions et financent leurs achats auprès de ces nouveaux Leasers qui possèdent des flottes. Il s’agit là, pour les fabricants d’avions, de 4 types de clients différents. La compétition est donc aujourd’hui exacerbée, ce qui contribue à dynamiser le marché. 


Retrouve-t-on ce dynamisme dans le secteur Régional?

Stéphane Albernhe: Là, l’évolution a des répercutions plus complexes sur les constructeurs. On a d’un côté les Turbo Prop à hélice qui sont stratégiquement condamnés comme le montrent toutes les études de marchés, ce qui est un problème pour des avionneurs comme ATR, même si ses avions ont du succès et se vendent bien actuellement. De l’autre, les Jets avec une belle croissance et deux constructeurs qui se partagent un marché : le canadien Bombardier et le brésilien Embraer. Si Embraer semble prendre le leadership, Bombardier rencontre des problèmes dans le secteur ferroviaire, sur ses avions et avec son actionnariat. Dans ce secteur, où il est nécessaire de lancer de nouveaux programmes, il faut un actionnariat stable dans la durée.


Et pour les Business Jets? 

Stéphane Albernhe: Ca marche bien. On y trouve deux catégories d’avions. D’une part les Very Light Jets qui sont aux alentours de 1 à 5 M$, illustrés par le Cessna Citation et de nouveaux produits tels le D-Jet de Diamond Aircraft (moteur Williams) ou encore le Jet de Grob qui se situent en prix en dessous du seuil psychologique du million de dollars. Puis au dessus, mais très rapidement dans une gamme de prix très différente, des machines de prestige comme Gulfstream  ou les Falcons de Dassault. Là, on atteint les 30 à 40 M$. C’est globalement un secteur en grosse croissance.


Le secteur militaire termine donc ce "tour d’horizon". Comment se porte-t-il? On dit depuis 91 que les budgets diminuent

Stéphane Albernhe: C’est un secteur en transformation rapide avec 2 grands domaines émergeants que je vais préciser ultérieurement. Que les budgets diminuent et qu’il y ait  moins de financement est exact mais la donne a changé et c’est ce qu’il faut prendre en compte. Avant, l’ennemi était clairement identifié et le territoire à défendre était national. Cette vision permettait de programmer. Maintenant le jeu se complique. On est dans une logique de théâtre projeté et fractionné où l’ennemi n’est plus identifié : guérillas, terrorisme, foyers multiples d’insurrection...etc. Soit on traite directement, mais ailleurs, soit de manière diffuse. Les systèmes d’armes classiques, stratégiques voire tactiques, ne sont plus adaptés. Il s’agit donc d’une révolution. Il faut pouvoir se projeter et les nouvelles formes de guérilla demandent une Network Enable Capability (NEC) permettant de connecter en quasi temps réel des systèmes parfois peu ou pas compatibles.


Peut-on illustrer ces concepts?

Stéphane Albernhe: Le soldat devient très autonome avec de nombreux dispositifs pour s’interfacer et échanger des données. Ensuite, les boucles de communication et d’information : ce sont des  circuits rapides qui permettent à partir d’une situation de pouvoir informer le Commandement et de recevoir des ordres. Enfin les UAV et UCAV : ce sont des drones de renseignement ou d'attaque qui vont pouvoir intervenir à la demande pour des missions complexes sans prendre le risque d’avoir un pilote capturé. Ces nouveaux concepts s’inscrivent dans divers schémas qui répondent à des acronymes auxquels le grand public n’est pas encore habitué : C2, C3I, C4ISR, NCW et bien sûr NEC.


Les armées peuvent-elle réussir rapidement cette révolution et quel impact cela a-t-il sur les industriels?

Stéphane Albernhe:  De nouveaux fournisseurs qui n’étaient pas traditionnellement dans le secteur émergent (Light UAV, Very Light Jet, Services…). Les Services se développent, depuis le support MCO basique jusqu'à des solutions intégrées avec transfert d’actifs et de financements. C’est ce qui est en train de se mettre en place et qui conduit à une transformation pour laquelle les gouvernements ne raisonnent plus en terme d'équipement mais en terme de missions. Dans la logique de professionnalisation des armées, les militaires définissent des missions : dépôt de troupes, rapatriement de personnels, destructions ciblées...


Est-ce un concept de réflexion ou assiste-t-on déjà à des applications?

Stéphane Albernhe: C’est déjà bien avancé. Exemple : les PPP ou Public Private Partnership dont le plus abouti est le Private Finance Initiative (PFI). Au Royaume Uni l’armée "loue" le système satellitaire Skynet 5. Autre exemple, le FSTA, une solution de ravitaillement en vol des aéronefs britanniques gagnée par EADS avec à la clé un contrat de 27 ans. En Allemagne, cela démarre avec l’externalisation de la formation des pilotes sur le NH 90.


Des pilotes qui pourraient bien, comme vous l’avez mentionné, disparaître des cockpits. Peut-on en conclusion analyser le secteur des drones, le démonstrateur Neuron ayant visiblement été après l’A380 la seconde vedette de ce salon du Bourget?


Stéphane Albernhe: La prochaine génération de MRF sera sans pilote. D’abord parce que c’est moins cher. Ensuite parce que la machine peut encaisser de plus forte accélérations et enfin parce que vous éliminez le problème de la perte du pilote. Et aujourd’hui la technologie le permet. Ce segment est en plein développement. Il se divise en deux domaines : d’une part les UAV. Ce sont des petits drones de reconnaissance " jetables" ou presque, qui vont du moustique télécommandé jusqu'à la machine de 3-4 mètres d’envergure qui peut être équipée de caméras thermiques. Vous y trouvez ensuite les UCAV, illustrés par le Neuron d’EADS - Dassault. Autre exemple, l’avion de combat Grand Duc. Ici, on est dans le domaine des avionneurs et les compétences aéronautiques et furtivité prennent toute leur importance. Pas question d’en perdre un à chaque vol. De nombreux programmes sont à prévoir dans ce domaine.
 


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine


Pour Info
/www.rolandberger.com/

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Stephane Albernhe (en préparation)




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