L'invité  de la rédaction
Juil-Août 2005  

Dossier spécial: 
Changements climatiques
Clôture de la 10éme  Session du CHEE&DD au Palais du Luxembourg
Questions à Jacques Bregeon
Directeur du CHEE & DD
Jacques Brégeon dirige le Collège des Hautes Etudes de l’Environnement & du Développement Durable depuis sa création en 1995. Cet établissement qui s’appuie sur l’Ecole Centrale Paris, se trouve également en partenariat avec l’ESCP-EAP et l’Institut National Agronomique Paris-Grignon. A l’occasion de la clôture de la 10e  session du CHEE&DD au Sénat, Jacques Brégeon répond aux questions de ConsultingNewsLine

Jacques Brégeon, les travaux de la 10ème session du CHEE&DD que vous dirigez ont fait l’objet d’un colloque de clôture le 1er juillet 2005 au Palais du Luxembourg en présence de nombreux spécialistes de l’environnement et du  monde politique. Depuis lors, il y a eu ces vagues d’ouragans et certains pensent que les USA pourraient infléchir leur politique concernant le réchauffement climatique. A l’aune des événements récents et en l’année de mise en application du protocole de Kyoto, votre avis n’est que des plus intéressants à recueillir. Avant d’aborder ces questions peut-on rappeler l’historique du CHEE & DD?

Jacques Brégeon :  Le Collège a été créé en 1995 en réponse aux  besoins émergents à l’époque de former les dirigeants aux enjeux de l’environnement et du développement durable. Au-delà de leurs aspects scientifiques, ce sont les dimensions politiques, économiques  et stratégiques de ces enjeux qu’il fallait pouvoir aborder au niveau adéquat et selon des modalités adaptées aux attentes de responsables relevant d’entreprises, de collectivités ou d’administrations. Le CHEE & DD a su trouver la bonne formule et son partenariat avec trois grandes écoles aux cultures complémentaires lui permet de s’engager dans la voie d’un développement soutenu : création de nouvelles sessions, essaimage, plateforme d’innovation pour le développement durable…
Pour répondre à votre question sur les Etats-Unis, sans être spécialiste de la politique intérieure américaine, il semble que l’administration américaine ait été ébranlée dans ses convictions par ces événements cataclysmiques. Il faut être conscient des divergences notables qui existent entre la politique environnementale d’un état comme la Californie et celle du Texas. Les Etats-Unis sont un état fédéral qui peut laisser s’exprimer des différences profondes en son sein ; on peut, par exemple, rappeler qu’une dizaine d’états de la côte Est ont organisé un marché de permis négociables portant sur le CO2 à l’instar de celui instauré par le protocole de Kyoto. Cela dit, quel sera l’impact à plus long terme de ces événements?                


L’installation du Collège au sein de l’Ecole Centrale marque-t-elle un passage à une approche environnementale plus proche de l’entreprise et de l’industrie? Est-ce lié à l’apparition du double D dans l’acronyme?

Jacques Brégeon : La question mériterait d’être posée aux responsables de l’Ecole Centrale Paris. Je peux cependant, sans risquer de les trahir, indiquer que l’ECP, comme la plupart des écoles d’ingénieurs, n’a intégré la dimension stratégique de l’environnement que depuis peu d’années. Cette prise en compte relativement tardive correspond à l’évolution du statut de la préoccupation environnementale au sein de l’entreprise. Tant qu’elle n’était perçue qu’à un niveau technique, il suffisait d’apporter des réponses à ce niveau; dès lors qu’on appréhendait sa dimension stratégique, il devenait nécessaire de l’intégrer au cursus des des futurs dirigeants de l’industrie. D’où l’intérêt de l’Ecole Centrale Paris pour le CHEE & DD, un intérêt renforcé par le passage au «développement durable».           


Quelle est l’évolution des thématiques abordées par le CHEE&DD depuis ses débuts?

Jacques Brégeon : Merci de cette question que je me pose depuis quelques temps sans avoir le loisir de me livrer à l’analyse. Je répondrai donc en donnant mon sentiment. Dans les premières années, les sujets relevaient soit de préoccupations « naturalistes », comme le paysage, soit de préoccupations « industrielles » comme les pollutions ou les déchets. Dès 1997 sont arrivées des préoccupations « sanitaires », le lien entre santé et environnement étant chaque année renforcé, OGM, amiante, plomb et nitrates aidant. A partir de l’année 2000 la notion de développement durable a fini par émerger au sein de la société française ; le sommet de Johannesburg a renforcé cette préccupation, les invitations du président de la République envers l’Etat ayant fortement contribué à la prise en compte du sujet par les administrations. Aujourd’hui, les dimensions économiques, financières et sociales du développement durable tiennent le devant de la scène, ce que les écologistes regrettent puisque cela contribue à réléguer aux oubliettes les préoccupations naturalistes. Le réchauffement climatique prend cependant le relais, et l’on peut craindre que cela soit pour longtemps.          
 

Qui peut participer en tant que membre du Collège. Des individus, des entreprises?

Jacques Brégeon : Le principe de la session principale est d’accueillir des responsables relevant de tous les secteurs d’activité de façon qu’ensemble ils constituent un reflet du paysage des acteurs, toutes les parties prenantes pouvant ainsi être représentées, notamment les associations. Environ la moitié des auditeurs provient d’entreprises ou d’organismes publics en relation avec le CHEE & DD, qui voient dans la session principale le moyen de renforcer les compétences de leurs responsables. Pour l’autre moitié, il s’agit de responsables venant d’eux-mêmes vers le  Collège. Il faut souligner que plusieurs entreprises et collectivités abondent le « fonds de soutien » du CHEE & DD, ce qui permet d’intégrer dans la promotion des responsables de tous horizons indépendamment de considérations financières.


Ce colloque au Palais du Luxembourg, lequel clôturait les travaux de la 10ème session du CHEE &DD était intitulé «Energie versus climat : subir ou conduire les mutations». Peut-on préciser l’idée qui est derrière cette thématique?

Jacques Brégeon :  Le public du CHEE & DD est un public averti qui n’a pas besoin de se voir rappeler les données majeures climatiques ou énergétiques. En revanche, comme il est averti, il s’inquiète de la façon dont la société pourra apporter des réponses adéquates, alors que les échéances se rapprochent et que les enjeux s’accentuent chaque année. Ils ont compris qu’il ne serait pas suffisant d’améliorer les performances des entreprises, et que seules des mutations permettront de relever les défis. La question devient alors de savoir comment favoriser ces mutations qui ne seront pas seulement technologiques mais aussi économiques, financières, fiscales, organisationnelles ou même culturelles.      


Peut-on rappeler les divers thèmes abordés par les intervenants et les divers invités à la tribune? Comment résumeriez-vous les débats et quelle pourrait bien être la ou les conclusions de cette 10ème session du CHEE&DD?

Jacques Brégeon : Deux questions principales émergent des débats : le temps et la prise de conscience. Premièrement, le temps ou plutôt l’urgence : il s’agit en effet d’urgence, car les climatologues annoncent des évolutions préoccupantes pour le milieu du siècle, alors même que nous serons confrontés à des problèmes d’approvisionnement majeurs. Deuxièmemet, la prise de conscience ou plutôt les ressorts de la prise de conscience collective de la gravité des enjeux et de la nécessité de se mobiliser pour apporter des réponses à la bonne hauteur. Cette deuxième question s’adresse principalement au personnel politique, mais on peut penser que les investisseurs à lng terme ne vont pas tarder à s’interroger sur le bien fondé de certains projets…       


Kyoto est entré en application cette année. Il n’en reste pas moins que les USA n’ont toujours pas ratifié ce texte et que le développement des pays émergeants comme la Chine, grande consommatrice de charbon pose problème. Que peut-on en dire?

Jacques Brégeon : Les Etats-Unis finiront sans doute par intégrer la préoccupation du réchauffement climatique et, s’ils ne ratifient pas le protocole de Kyoto, on peut être sûr que cela ne les empêche pas de conduire des recherches lourdes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) ou à séquestrer le CO2. Dès lors que ces technologies seront au point, les Etats-Unis sauront adapter leur politique pour en assurer le bon développement commercial. En revanche, plus inquiétante est la situation de la Chine et pire encore celle de l’Inde. Les formidables besoins énergétiques qu’engendrent les croissances de ces nouvelles économies industrielles ne pourront en effet être couverts que par un recours accru au charbon, la seule source d’énergie véritablement disponible après le pétrole.  Or, recourir au charbon c’est accroître les émissions de GES et accélérer le réchauffement climatique.     


Pour conclure, les événements de cette rentrée qui voient de nombreux ouragans de taille exceptionnelle frapper divers points du globe dont le sud des Etats Unis, les Caraïbes et l’Amérique centrale sont-ils un ultime avertissement de la nature? Est-ce l’occasion de rouvrir les débats pour ceux qui ne se sont pas trop empressé à y participer?

Jacques Brégeon : Ces événements cataclysmiques sont-ils ou non directement liés au réchaufement climatique? Les scientifiques ne se prononcent pas, même si les statistiques sur leur occurrence et leur gravité ne sont guère rassurantes. De façon plus globale, sans vouloir jouer les Cassandre, on peut légitimement s’inquiéter de l’avenir que nous nous construisons à force de rester inertes face aux évolutions majeures du monde, qu’elles soient climatiques, énergétiques ou démographiques. C’est pourquoi, le prochain colloque du CHEE & DD qui se tiendra le 4 juillet prochain,  portera sur la dimension géopolitique du développement durable.    



Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsline



Pour info :
Contact : CHEE & DD c/o Ecole Centrale Paris / CF
Tel: 33 ( 0)1 41 13 15 00
http://www.ecp.fr/home/Formations/Formation_continue/College_des_Hautes_Etudes....




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