Profession Consultant
Sept-Oct 2005  

Dossier spécial:  Intelligence Economique

Interview: Guillaume Lory
Directeur général délégué du cabinet CYBION
Créé par Carlo Revelli et Joël de Rosnay, Cybion est devenu un des acteurs majeurs de l’Intelligence Economique en France. Depuis ses débuts Cybion s’est spécialisé dans la veille sur Internet, une expertise qui s’est aujourd’hui élargie vers des activités plus proches du marketing stratégique. Très orienté « produit », « lancement de produits » et « image de l’entreprise », Cybion a su exploiter avec intelligence un créneau libre entre veille et marketing traditionnel


Guillaume Lory, vous êtes le Directeur Général délégué de Cybion et à ce titre l’homme aux commandes des opérations qui sont réalisées quotidiennement pour les clients. Avant d’aborder cette activité spécifique pouvez-vous nous rappeler l’historique de Cybion?

Guillaume Lory : La société été créée en 1996 par Carlo Revelli et Joël de Rosnay. Joël de Rosnay, Directeur de la Prospective à la Cité des Sciences de la Villette et Carlos Revelli, diplômé de l’Université de Rome en sciences économiques et chercheur en Sciences de l’Information de l’Université de Paris X, ont en effet très tôt identifié le potentiel de l’internet pour la diffusion et la capture de l’information. L’idée à l’origine de la société, a donc été de tenter d’extraire des données stratégiques à partir l’information disponible sur internet, ce qui n’était pas évident encore à l’époque car les moteurs de recherche n’avaient pas encore acquis les bases de données qu’ils ont aujourd’hui et l’ensemble de l’information des entreprises n’était pas toujours disponible sur internet. Dominer de nombreux outils s’est révélé fondamental car l’aspect stratégique n’est pas intrinsèque à l’information mis à disposition sur l’internet. Il a fallu passer 3 à 4 années à éduquer l’entreprise, pour créer un savoir interne : sources technologiques, sources économiques, sources sociologiques. Carlo Revelli a d’ailleurs consigné une partie de ce savoir dans un ouvrage publié chez Dunod dés 1998 (Intelligence Stratégique sur Internet)


L’internet a beaucoup évolué à partir de 1996, aussi on peut imaginer que vos méthodes ont été en perpétuelle révolution. Qu’en a-t-il été?

Guillaume Lory : Internet est passé en 10 ans de média de publication (Sites vitrines d’entreprises, sites marchands...) à media d’expression (Magazines en ligne, Forums, Blogs...). Cela s'explique notamment par une réelle simplification des outils de publication et par l'apparition de plate-forme de CMS (Content Management System) pour les entreprises mais aussi pour les particuliers (plate-forme de BLOG). De plus il y a eu une convergence des media. Jusqu’aux début des années 2000, ces derniers étaient bien séparés et aucune correspondance technologique n’était faite. Avec l’avènement d’Internet les trois types de médias, écrit, audio et vidéo, se sont retrouvés sur un même support, offrant ainsi de plus grandes possibilités. On a donc assisté à une évolution du support et des outils techniques associés à l'exploitation de ces nouveaux formats. Pour autant nous n’avons pas choisi d’être nous même éditeurs, qui pour certain est le moyen de garder un certain contrôle sur les outils. Ainsi on ne se compare pas à des sociétés telles qu’Arisem, Digimind Lingway. En revanche on teste ces outils et l’on peut être prescripteur pour nos clients. En règle générale on ne cherche pas à déterminer quel outil est le meilleur mais plutôt lequel est le mieux adapté à l’existant, dans un objectif Coût/Compétences. Le fait de rester très neutres envers les outils nous donne un avantage puisqu’ils ne cessent d’évoluer.


On imagine en effet cette évolution, mais aujourd’hui pour reprendre une expression commune « on trouve tout » sur internet, du bon comme du moins bon, peut-on encore raisonnablement baser une Veille ou une action d’Intelligence Economique sur un media qui ne garantit pas la validité de l’information qui y est diffusée? Et d’ailleurs trouve-t-on tout sur internet?

Guillaume Lory : Cela dépend de ce que l‘on cherche. En général on ne trouve pas toute l’information sur internet. On trouve des données que l’on peut croiser. Dans une entreprise, si l’on met en place une cellule de veille on met aussi en place une remontée d’info via le personnel. Ainsi il faut croiser ces infos, les agréger. Internet n’est donc pas la seule source d’info en volume. C’est une source d’information privilégiée pour certains types d’infos: les tendances au travers des Forums, des débuts de litiges que l’on peut apprécier là encore au travers des Forums et des Blogs, litiges que le client va pouvoir désamorcer. Donc on ne trouve pas tout, ce n’est pas la boîte magique, mais on y trouve beaucoup de choses et surtout l’expression du consommateur, des «Consom’acteurs». On peut ainsi alerter nos clients sur de possibles mécontentements, des attaques, des appels au Boycott. On peut ainsi désamorcer les «Bombes». Il existe cependant comme vous le faîtes remarquer un problème de validation de l’info sur internet. Mais c’est là que se situe justement le travail du professionnel. Chez Cybion quand on dit que l’on fait de la Veille, c’est au sens large. Car c’est un travail de recoupement et de choix des sources : la validité de l’information brute étant variable suivant son origine. Aussi pour chaque source d'information, nous essayons d'identifier au mieux l'origine et l'émetteur pour évaluer sa fiabilité.


Pouvez-vous être plus précis?

Guillaume Lory : Dans le cadre d’une Veille, on « surveille ». Ainsi on essaie par les liens, les dates, les références etc... de remonter à l’origine de l’information ou du message afin d’en évaluer la fiabilité. Ainsi pour revenir sur votre question concernant la fiabilité, il y a en fait deux niveaux de fiabilité : celui du contenu et celui de la source. Une source réputé fiable - dont on peut être assuré de l'émetteur : un quotidien national par exemple - peut à tout moment publier une information dont la fiabilité peut être contestée. A contrario on trouve parfois des informations pertinentes dans des sources informelles (forum, blog, ..) Par ailleurs il convient aussi de garder toujours un sens critique sur la valeur de ce que l’on obtient. Ainsi persiste, un « biais» sur Internet qui donne l’impression de tout pouvoir contrôler. Mais il faut garder à l’esprit que tout ce qui est donné à voir sur Internet doit être recoupé, identifié, caractérisant ainsi son potentiel : à partir d’un seul support, on valide en exploitant différentes sources. Car l'Information naît généralement de la compilation de données brutes et n’existe pas en tant que telle. Et n’oublions pas qu’il peut y avoir des tentatives de déstabilisation, c’est à dire de l’information exacte mais présentée de manière à influencer les appréciations et les décisions qui en résultent.


L’arrivée des Blogs a-t-elle changé la nature des informations dont vous disposez?

Guillaume Lory : L’arrivée des Blogs a changé beaucoup de choses dans l’expression individuelle. Cela facilite l’expression de la « Place publique », sans barrière technologique. Le volume d'information disponible s'est considérément accru (ce qui ne simplifie en rien la veille) mais surtout la nature des informations a considérablement évolué. Les Blogs ont ouvert des espaces d'expression à de nouveaux utilisateurs moins intéressés par des sujets techniques que sociétaux. Ceci ouvre de nouvelles perspectives de veilles, exploitant le contenu des Blogs comme un miroir de notre société.


Donc Internet a évolué, ses outils et vos méthodes aussi. Qu’en est-il de l’évolution de votre offre vers la clientèle?

Guillaume Lory : Veille et formation à la veille, notamment sur Internet ont été depuis le début le coeur de l’offre du cabinet. La dessus rien de changé. Aujourd’hui les séminaires de formation en entreprise font toujours partie de l'offre de Cybion. L'évolution permanente d'Internet oblige les veilleurs en entreprise à se former en permanence. La majeur partie de nos services est concentrée autour de la réalisation d'études et de veilles. Par Veille on entend le suivi de l’information dans le temps et cela concerne notamment le « positionnement » et « l’image » des entreprises sur Internet, qui est une de nos grandes spécialités. Nous initions généralement cette veille par une première étude rétrospective sur plusieurs mois de manière à identifier les sources d'information pertinentes et les principales thématiques à surveiller. Cette étude initiale est une sorte de photographie de la situation qui sera ensuite mise à jour régulièrement pour obtenir un "film" : c'est la phase de veille. Nous analyserons par exemple l'évolution des discussions concernant une marque de cosmétiques pour étudier les principaux sujets liés aux mécontentement des utilisateurs et mesurer ainsi, mois après mois, l'évolution en volume des messages. Notre objectif est double : identifier d’une part l"évolution des thèmes associés à la marque et d’autre part l'apparition de nouveaux thèmes. Ces veilles donnent lieu a la publication de bulletins de veille réguliers, généralement complétés par des synthèses mensuelles offrant une analyse avec le recul nécessaire. De manière générale ce qui est important pour le client, c’est de savoir dans quel contexte il est cité, de mesurer l’impact pour son image et d’évaluer les conséquences de ses actions, car on est toujours potentiellement dans l’amont d’une «Crise» de communication. La veille est une assurance, et quand on en a pas on le regrette car cela peut coûter cher !


D’après vos exemples il semble que vous soyez  plus orienté vers la perception des services et des produits, voire de l’image de l’entreprise que vers la traditionnelle «veille brevets et techno».

Guillaume Lory : C’est exact, c’est d’ailleurs ce qui nous distingue. On est très «Produits», «Positionnement, Image sur internet». Même si l’on sait mettre en place une veille dédiée aux brevets, on a une approche beaucoup plus orientée vers les directions Marketing - Communication que vers la technique pure. Pour la Technologie on a des partenaires comme Erdyn, (cabinet créé par Louis Drouot et dirigé par Patrick Haouat) dont la culture est celle d' « Ingénieur» alors que nous, nous sommes plus axés sur le Sociétal, l’Usage, le Marketing.


Cette approche «Positionnement», «Image», «Veille sociétale» vous permet-elle d’apprécier l’évolution actuelle de la société?

Guillaume Lory : Très clairement, les jeunes passent plus de temps sur internet que devant la télé. Ils sont, et on le sait depuis longtemps, prescripteurs d’achats pour la famille mais se sont également transformés en médiateurs auprès de leurs parents pour tout ce qui concerne le secteur des nouvelles technologies. L’évolution générationnelle est grande et on pourrait dire que le temps de la génération n’est plus celui des années «Homme» mais des années «Produits», conditionnant ainsi les nouvelles pratiques. D’autre part il existe aujourd’hui des éléments de rupture qui font qu’il est de plus en plus difficile de faire des prévisions à long terme lié notamment aux cycles courts des produits.


Cela vous positionne-t-il favorablement dans certains domaines et cela conditionne-t-il votre portefeuille clients?

Guillaume Lory : Nos grands clients sont dans la Banque, les Assurances, les Telecom, les Cosmétiques...beaucoup de produits «Grand public», donc des secteurs qui font de la communication sur internet sous différents formats (sites corporate, sites dédiés à des produits, publicité,…). Internet a été pour eux dés le début un espace de renseignement privilégié. Mais avec le développement rapide de la vente en ligne, les comportements ont changé, avec notamment le développement du recoupement de l’information, avant l’acte d’achat, réalisée par les internautes eux-mêmes et pouvant altérer le capital réputation d’une entreprise.


La Veille et plus généralement l’Intelligence Economique sont des spécialités pour lesquelles les clients peuvent-être portés à demander toujours plus. Quelles limites fixez-vous à votre exercice?

Guillaume Lory : C’est très clair, nous ne travaillons que sur des sources ouvertes ou blanches. Nous ne réalisons pas d’espionnage. Ces sources ouvertes sont publiques, plus ou moins faciles d’accès, d’où le recours à des services tels que ceux de Cybion. Une fois l’information collectée par des outils, nous la validons et réalisons une analyse qui sera transmise au client final. L’information brute sans recontextualisation n’a pas grand intérêt pour le client. De plus nous nous gardons bien d’être juge et parti, il serait facile pour nous de diffuser des rumeurs sur Internet sur un prospect et de le contacter après coup pour lui proposer nos services ! D’ailleurs nous sommes à l’origine d’une charte donnant les règles à respecter lorsque l’on déclare avoir une activité de veille. Nous avons déjà eu plus de 250 signatures sur www.veille.net. Elle stipule notamment que l’on ne doit pas réaliser de Lobbying, ni réaliser de l’intrusion ou du piratage, ainsi que du conseil stratégique dans le champ de l’action.


La France et ses entreprises passent pour êtres de faibles utilisatrices de conseil en Intelligence Economique et en Veille stratégique. Comment palliez-vous à cet état de fait?

Guillaume Lory : Il est certain que la France se distingue des pays anglo-saxons. Mais la tendance semble s’inverser avec notamment le travail réalisé par le politique depuis deux ans, avec le rapport Carayon, la création du poste de Haut Responsable à l’Intelligence Economique,…Mais il est vrai que l’on ne change pas des habitudes aussi rapidement ! Notre démarche est simple : rappeler au client que Google n’est pas Internet et que l’on n’y trouve pas tout ! Car le problème majeur auquel on se heurte ce n’est pas tant la reconnaissance d’un besoin de veille que celui de la reconnaissance d’une non capacité à réaliser cette veille. Cela étant, les managers plus jeunes sont de plus en plus sensibles à des services comme les nôtres.


Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien et dont la résolution se révèle être centrale à votre métier? 

Guillaume Lory : Comme je vous l’ai dit l’information disponible sur internet peut être déformée. Elle n’est pas fausse mais elle est structurée et mise en valeur pour influencer votre décision, ce qui au bout du compte conduit à une information fausse si elle n’est pas traitée avec rigueur. Exemple : un site de vente d’un grand distributeur de biens de consommation sur internet propose l’avis de ses clients sur les articles qu’il vend en ligne...et là, inutile de vous dire qu’à tous les coups les avis peuvent être biaisés. Un article du distributeur peut faire l’objet d’éloges alors qu’un de ses concurrents bien plus performant ne sera pas cité dans le forum. Un autre article peut se révélé avoir un rapport Qualité/Prix défavorable alors que c’est simplement le prix pratiqué par le site qui introduit ce défaut etc... Rajoutez la mauvaise foi et le fait qu’on ne critique jamais un produit du catalogue et vous obtenez un document totalement biaisé et inutile en terme de décisionnel pour un acheteur. Toutefois il reste pertinent si ce que vous faites est de renseigner votre client sur « ce qui se dit » par « qui fait l’opinion ». Donc en soi c’est une source pertinente. Mais tout dépend de la question posée.


Vos clients formulent-ils toujours correctement leurs questions?

Guillaume Lory : C’est une autre dimension de notre métier où nous apportons de la valeur ajoutée. En général leur formulation du problème ne prend pas en compte la spécificité d’internet et très souvent ils fondent de nombreux espoirs par manque de connaissance réelle de ce media. Dans le cadre de la « Veille », très souvent on nous demande de «tout savoir sur un concurrent » mais bien évidemment cette approche nécessite d’être recadrée.


Si vous deviez retenir l’évolution la plus importante de ces 15 dernières  années quelle serait-elle?

Guillaume Lory : Incontestablement le cycle du temps. Il y a 15 ans le cycle du temps était différent. On faisait de la veille calmement, on glanait les informations dans les salons professionnels...Aujourd’hui le temps est beaucoup plus court, et les souhaits des consommateurs évoluent rapidement, par conséquent les entreprises ont de plus en plus de mal à savoir à qui elles s’adressent. Il devient urgent de savoir gérer avec ces « mutations ». Les « marketeurs » ont certainement favorisé la création de « Tribus ». On le voit bien avec des produits comme le SMS très utilisé par les adolescents. Mais aujourd’hui les utilisateurs proposent autant que les marketeurs. Et cela rend nécessaire un suivi méticuleux des tendances au travers des Forums et des Blogs. Ainsi si l’on devait résumer, je dirais que la veille avec Internet peut être réalisée de deux manières : une approche générale (sur un secteur, son évolution,…) et une approche particulière (les consommateurs, leurs pratiques, leurs besoins,…), car ce media est devenu un espace informationnel incontournable.


Pour conclure j’aimerais recueillir votre avis sur la démarche d’incitation à la Veille et plus généralement à l’Intelligence Economique que met en place le Gouvernement . Quel est le point de vue de votre cabinet?

Guillaume Lory : Notre point de vue est triple : premièrement, la démarche nous semble devoir être à terme européenne. C’est à ce niveau que doit se situer la problématique et le support. Deuxièmement, nous encourageons le développement d’un outil de recherche européen spécifique, afin de ne pas dépendre des moteurs de recherche américains. Cette situation d'oligopole est dangereuse. L'Europe peut du jour au lendemain voire ses portes d'entrée Internet, que sont devenus des moteurs comme Google, se fermer ou proposer des résultat "filtrés", "édulcorés", "orientés",… en fonction des zones géographiques de connections (donc des adresses IP). On a donc besoin d’une autonomie d’accès et d’outils indépendants, faisant appels à des choix technologiques qui ne soient pas hégémoniques. Notez au passage que pour les standards de vidéo ou d’OS, c’est la démarche retenue par la Chine. Enfin troisièmement il est important que l’action de Veille reste du domaine de la sphère privée car l’Etat ne doit pas tout faire, d’autant qu’il n’est pas le premier concerné par l’information mais un utilisateur parmi d’autres, les entreprises. Qu’il coordonne les remontées d’information de certains acteurs et les mettent à la disposition des entreprises en les protégeant, est un rôle qu’il peut avoir (il existe par exemple une commission d’enquête sur l’indexation des moteurs de bibliothèques par Google). Ce triple point de vue nous semble stratégiquement déterminant. Il en va de la sécurité de l’accès à la porte d’entrée à l’internet comme de l’absence de biais majeurs dans l’information qu’on y trouve.


Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef, ConsultingNewsLine



Pour Info:
www.cybion.com/


Whoswoo:
Guillaume Lory   



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Crédit photo:
Courtoisie CYBION
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