Carnets de voyage
Août 2009

Gilles Hanauer 
N'apprend rien d'eux, sinon tu vas mourir


1 Préface

Gilles Hanauer a été libéré après une très longue peine :
35 ans.
Trente cinq  ans à trimer dans une entreprise.
Je l’ai rencontré à
sa sortie. Ce n’était plus l’homme de la photo que j’avais
emportée avec moi. Sur cette photo en noir et blanc, il
avait dix-huit ans.
Il était beau, avec un faux air de Marlon Brando jeune.
J’eus de la peine à le reconnaître. L’homme devant
moi, au trois-quarts chauve, un sac à dos noir sur le dos,
était évidemment plus en rondeurs, mais son regard pétillait
d’intelligence, comme avant. Ainsi l’entreprise
n’avait-elle pas réussi à le briser tout à fait.
Il l’avait écrit plus d’une fois : la retraite devrait être
accordée à tous, entre 25 et 40 ans. Mesure en rien utopique,
s’il était convenu de commencer à travailler à partir
de 40 ans, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Nul doute
qu’avec l’allongement de la vie, les futures générations ne
travailleraient plus qu’à partir de 50 ans. Mais le politique
n’est jamais assez révolutionnaire et le peuple trop casanier.
J’imagine qu’un prisonnier libéré après une si longue
peine a le sentiment paradoxal d’avoir été protégé de mille
dangers, mais aussi de n’avoir pas été le maître de sa vie.

— Jusque-là, mon insouciance avait guidé mes rêves. A
moins que ce ne fût l’inverse, m’avait-il répondu emphatiquement,
après que nous nous sommes installés dans un
bistrot au pied de l’Arche de la Défense.

1