Carnets de voyage
Décembre 2004
Extrait n°2
À cette époque, les quantités de foies vendues dans les divers villages variaient entre deux et cinq tonnes. Lorsque la demande était forte et la production modeste, les foies s’envolaient d’une main à l’autre en un éclair. En revanche, si les conditions étaient contraires, ventes et marchandages s’éternisaient, une fois partie la quantité dite « extra », toujours négociée en quelques minutes ! Les derniers foies à trouver preneur étaient tantôt trop gros, tantôt trop petits, voire fondants ou légèrement sanguins car la bête avait été mal saignée. Mais seuls les professionnels étaient en mesure de déterminer les critères qui distinguent un beau foie d’un autre de qualité inférieure.
Dans les marchés, je me heurtais à des concurrents et c’était à celui d’entre nous qui se déciderait le plus vite. Nous étions partagés entre le désir d’acheter le maximum à un prix raisonnable et la crainte soit de nous décider trop tard et rentrer bredouilles, soit d’acheter trop cher, ou une qualité médiocre.
J’avais appris à évaluer en un clin d’œil la qualité des foies. Je m’approchais de l’oreille d’un éleveur (je commençais à bien les connaître tous) et je murmurais :
« Combien en veux-tu, au kilo ?
— Cent cinquante francs, me répondait-il dans un souffle.
— Non, cent vingt.
— Cent trente.
— D’accord. »
Notre bref dialogue se faisait en patois et, comme je le parlais très mal, j’ai fait l’effort, indispensable, de l’apprendre car les transactions relevaient autant de la confiance que des affinités. C’est ainsi que je suis devenu expert en gascon !
Une fois que nous étions convenus du prix, je tirais mon petit carnet et inscrivais le poids et le prix (cent trente). Mais si, après mon passage, un concurrent faisait une offre à cent trente-cinq, mon éleveur oubliait sa promesse et concluait la vente. Il avait raison : mieux valait avoir l’ombre d’un remords que le poids d’un regret.
Décembre 2004
Robert Labeyrie
L'Ambassadeur du sud Ouest
L'Ambassadeur du sud Ouest
Extrait n°2
À cette époque, les quantités de foies vendues dans les divers villages variaient entre deux et cinq tonnes. Lorsque la demande était forte et la production modeste, les foies s’envolaient d’une main à l’autre en un éclair. En revanche, si les conditions étaient contraires, ventes et marchandages s’éternisaient, une fois partie la quantité dite « extra », toujours négociée en quelques minutes ! Les derniers foies à trouver preneur étaient tantôt trop gros, tantôt trop petits, voire fondants ou légèrement sanguins car la bête avait été mal saignée. Mais seuls les professionnels étaient en mesure de déterminer les critères qui distinguent un beau foie d’un autre de qualité inférieure.
Dans les marchés, je me heurtais à des concurrents et c’était à celui d’entre nous qui se déciderait le plus vite. Nous étions partagés entre le désir d’acheter le maximum à un prix raisonnable et la crainte soit de nous décider trop tard et rentrer bredouilles, soit d’acheter trop cher, ou une qualité médiocre.
J’avais appris à évaluer en un clin d’œil la qualité des foies. Je m’approchais de l’oreille d’un éleveur (je commençais à bien les connaître tous) et je murmurais :
« Combien en veux-tu, au kilo ?
— Cent cinquante francs, me répondait-il dans un souffle.
— Non, cent vingt.
— Cent trente.
— D’accord. »
Notre bref dialogue se faisait en patois et, comme je le parlais très mal, j’ai fait l’effort, indispensable, de l’apprendre car les transactions relevaient autant de la confiance que des affinités. C’est ainsi que je suis devenu expert en gascon !
Une fois que nous étions convenus du prix, je tirais mon petit carnet et inscrivais le poids et le prix (cent trente). Mais si, après mon passage, un concurrent faisait une offre à cent trente-cinq, mon éleveur oubliait sa promesse et concluait la vente. Il avait raison : mieux valait avoir l’ombre d’un remords que le poids d’un regret.
Robert Labeyrie, L’Ambassadeur du Sud
Ouest
Publibook 2004
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Copyright Robert Labeyrie 2004
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