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Juin-juillet 2005
 
                                                                                              
Calder 75,  Stella 76,  Lichtenstein 77,  Warhol 79
Quatre maîtres de l'art moderne aux 24 Heures du Mans
                                                                         
Spécial 24 Heures du Mans
L'art et la manière
Par Georges Helmet, Journaliste, Le Mans Racing

Décorées par des peintres de renommée mondiale pour courir Le Mans, les quatre BMW "Art Cars", ont fait sensation dans les années 70. Ressorties
dernièrement du patrimoine allemand, leur concepteur nous en dit plus

Face à un aréopage de journalistes, Hervé Poulain, le commissaire-priseur le plus rapide du monde, n¹a pas besoin de forcer outre mesure son talent pour évoquer ses souvenirs liés aux 24 Heures du Mans. Dans le cadre prestigieux du Club Saint James à Paris, lors de la remise du Grand Prix de l¹Art, décerné par le jury du Festival Automobile International 2004 à la marque BMW, l¹homme qui amena des "tableaux" de maître sur la piste mancelle dans les années 70 revit: «A l¹époque, j¹avais les cheveux longs. Je ne doutais de rien».  Avec un père concessionnaire Renault, ce commissaire-priseur ne pouvait que revenir aux sources : «J¹avais en effet presque trente ans quand j¹ai piloté pour la première fois en compétition. C¹est mon frère aîné qui m¹a encouragé à me lancer. Un jour, il m¹a prêté sa R8 Gordini pour disputer mon premier rallye. Je n¹y connaissais rien». Pourtant, le débutant remporte en 1969 le groupe 1 du premier Rallye de l¹Ouest au volant d¹une Gordini. Sous ce néophyte Poulain perce déjà l¹étalon. Rapidement, onze victoires de classe confirment que le talent était bel et bien présent. Devenu pour les médias spécialisés "Roi incontesté de la Gord" en rallye comme en course de côte, le jeune Normand ne faiblit pas. «Je travaillais alors chez Maître Cornet de Saint-Cyr. Je quittais l¹étude le vendredi soir pour ne revenir que le dimanche tard dans la nuit. Quand je gagnais, je klaxonnais en passant devant chez lui pour le seul plaisir de lui montrer la coupe. J¹ai fini par en posséder un certain nombre. D¹ailleurs, c¹est César qui m¹a proposé de toutes me les compresser en statuette, concluant sa création par ce mot charmant : j¹ai comprimé ta vanité et augmenté ta gloire».


JEAN TODT AU BON MOMENT
Cette idée de vivre autre chose que le rallye et surtout d¹une autre manière la compétition, le pousse à sortir des sentiers battus. Son livre "L¹art et l¹automobile", paru en 1973, montre déjà un goût prononcé pour une association d¹idée qui n¹est pourtant guère dans l¹air du temps avec la crise du pétrole. Ce que l¹intéressé confirme : «Quand j¹ai commencé à évoquer la possibilité d¹amener une voiture décorée par Calder sur la piste du Mans, les gens de Renault m¹ont regardé comme un Martien». Mais la chance a voulu que sa route croise celle de Jean Todt. Hervé lui explique son projet : comment  à partir d¹une voiture décorée par un artiste, il espère sensibiliser un constructeur à cette démarche avant-gardiste. «Aussitôt, Todt m¹a proposé d¹appeler Neerpasch. D¹après lui, s¹il y avait un homme capable de me comprendre et de m¹aider, c¹était le patron de la compétition chez BMW. On fonce derechef chez Todt pour passer un coup de fil à Munich. Et au bout de dix minutes, l¹affaire était réglée » !  Ainsi naquit le défi de mettre sur la piste la plus prestigieuse du monde une oeuvre d¹art commanditée à l¹un des artistes les plus en vue de l¹époque. Hervé rencontre alors dans son repère de Touraine l¹Américain Calder. Très vite, les deux hommes sont sur la même longueur d¹ondes. «Bien sûr, je n¹avais pas la voiture puisque celle que Neerpasch avait choisie disputait le championnat  IMSA aux USA. Et quand, plus tard, je suis allé lui rendre visite à Saché, je lui ai apporté une sorte de jouet comparable à la 3,5 CSL. Au milieu de ses mobiles, il a commencé  à peindre la petite voiture. Il ne faudra rien changer après, avait-il prévenu. Venu ensuite à Munich peindre le modèle de course, il n¹a rien modifié aux motifs ni aux couleurs employés».


STELLA LA PLUS BELLE
Au Mans, la fulgurante BMW reçoit de la part des médias et du public un accueil plus que chaleureux. Dès le pesage, le coupé CSL fait sensation. Même si l¹impensable trio Posey-Guichet-Poulain ne peut mener l¹¦uvre à bon port, la n°83 entre de plain-pied dans la légende dorée. L¹année suivante, malgré cet abandon, BMW et Hervé Poulain repartent ensemble. La décoration, confiée cette fois à Fred Stella, offre à la 3,5 CSL gonflée de chevaux, sa robe la plus réussie. «La voiture était tout simplement sublime. Car autant Calder s¹était mis en quelque sorte au service de la voiture, autant Stella s¹était montré ambitieux dans son dessin millimétré». Mais en sport automobile, le plumage ne fait rien au ramage. Le brillant équipage Redman-Gregg-Poulain ne dépasse par la quatrième heure pour cause de moteur défaillant. [le même véhicule revient l'année d'après, peint cette fois-ci par Roy Lichtenstein]. «On s¹est bien rattrapé l¹année suivante. On s¹est battu comme des chiffonniers pour amener la voiture à la 9e place et la 2e du groupe 5. Même Neerpasch n¹en revenait pas quand il a appris le résultat» Du coup, BMW fait un break et préfère patienter un an de plus pour revenir au Mans avec une nouvelle voiture pleine d¹ambitions. En 1979, le tandem Mignot-Poulain est au volant de la superbe M1 qu¹Andy Warhol avait eu tant de peine à peindre selon son inspiration. «Munich n¹avait pas du tout apprécié la première mouture. Andy avait pourtant réalisé un génial camouflage. Mais cela n¹a pas fait rire en Allemagne où on songeait avant tout à l¹aspect marketing de leur nouveau produit. Alors de New York,Warhol est venu personnellement à l¹usine. Et il s¹en est donné à c¦ur joie sur la voiture». Sous cette carapace multicolore, Manfred Winkelhock, pilote de l¹usine, et le moniteur du Bugatti se sentent des ailes. Sous la pluie, ils réalisent  un festival et amènent  la M1 à dominante rouge magenta à une incroyable 6e place. Soit le meilleur  résultat obtenu par une BMW en GT au Mans ! L¹année suivante, la politique sportive de la marque allemande change
du tout au tout. Hervé Poulain se trouve contraint de changer de monture. Le temps des Art Cars de BMW est révolu. Reste des oeuvres d¹art pour l¹éternité


Georges Helmet
Journaliste, Le Mans Racing

Commissaires
Georges Helmet en salle de Presse
Image : B. Villeret, Quantorg 2005
 

1975
BMW 3.0 CSL
Hervé Poulain (F) / Sam Posey (USA) / Jean Guichet (F)
Abandon à la 9e heure (rupture du cardan de transmission)
ALEXANDRE CALDER
En pleine crise économique et climat  autophobe, la livrée rouge, bleu et jaune due à l¹inspiration de l¹Américain  Alexandre Calder fait un tabac lors de son arrivée sur la piste du Mans. BMW a bien fait les chose jusqu¹au bout puisque la qualité de la préparation de la belle 3,5 CSL permet à l¹Américain Sam Posey de qualifier cette groupe 2 en cinquième ligne, soit le 10e temps absolu. Bien secondé par Jean Guichet qui fait son grand retour au Mans selon une idée de Todt, et un Hervé Poulain néophyte mais gaillard, le pilote officiel BMW-USA place la "Calder" d¹entrée dans le peloton de tête, au milieu des Mirage et des Ligier. Mais à la tombée de la nuit, l¹arbre de transmission rendra les armes prématurément, condamnant le mobile de Calder à l¹immobilité définitive.






1976
BMW 3.2 CSL
Peter Gregg (USA) / Brian Redman (USA)
Abandon à la 4e heure (fuite d¹huile)
FRANCK STELLA
L¹année suivante, avec le peintre Franck Stella, Hervé Poulain a vu juste. Le coupé CSL à la robe de papier millimétré réalisée par l¹artiste américain est de toute beauté. C¹est sans doute d¹ailleurs celle des quatre Art Cars présenté par Hervé Poulain qui a le mieux passé les ans. Mais dès les essais, gavé par un double turbo, le six cylindres allemand donne du fil à retordre à ses metteurs au point. «Peter Gregg, qui n¹était pourtant pas le premier venu, m¹avait averti : fais bien attention Hervé, c¹est une voiture pour ingénieur, pas pour pilote» ! De fait, les 700 chevaux annoncés joueront bientôt les filles de l¹air et, au bout de trois tours de course, Brian Redman mettra le clignotant à droite.





1977
BMW 3.0 CSL
Hervé Poulain (F) / Marcel Mignot (F)
9e au général (2e IMSA)
ROY LICHTENSTEIN
Avec beaucoup de brio, Roy Lichtenstein donnera à la toute nouvelle 320 I (version groupe 5) des allures de combattante infatigable.  L¹artiste américain a mieux jugé des qualités de la voiture car même Jochen Neerpasch ne restera pas longtemps sur la voie des stands. «Marcel Mignot et moi avions décidé d¹adopter une conduite tranquille. Mais dès la tombée de la nuit, on s¹était heurté à une foule de problèmes. J¹avais même éclaté un pneu en plein dans les S du Tertre. Du coup, Neerpasch était reparti à Munich, en nous laissant nous débrouiller. C¹est seulement le dimanche midi, quand il avait demandé à notre hôtesse de nous parler, dans le château où nous logions, que celle-ci lui avait fait comprendre que, n¹étant toujours pas rentrés dormir, nous étions sans doute toujours en course». De fait, la "Lichtenstein" s¹était refaite une santé sous la pluie et le pilotage adapté de nos deux lascars allait permettre à la BMW 2 litres de prendre une superbe 9e place au Scratch.




1979
BMW M1
Marcel Mignot (F) / Hervé Poulain (F) / Manfred Winkelhock (D)
6e au général (2e IMSA)
ANDY WARHOL
Pour cause de sortie différée, Hervé Poulain et Andy Warhol devront patienter  un an de plus pour s¹offrir le plaisir de chevaucher la toute nouvelle M1. Si l¹artiste new-yorkais s¹en donne à c¦ur joie en offrant à la toute jeune star de BMW une robeŠ remarquée, Hervé reconnaît volontiers que cette édition-là  des 24 Heures n¹est pas celle qu¹il préfère le plus évoquer. «J¹avoue volontiers que cette année-là, je n¹étais pas dans une grande forme. Et face à des pros du pilotage comme Winkelhock ou Mignot qui dirigeait l¹école du Bugatti, je ne me sentais pas à la hauteur». Avec un tête-à-queue dans la nouvelle portion, lors de son premier relais et bientôt la pluie pour compagne nocturne, Poulain se sent même de moins en moins à son affaire. A tel point que de sérieux ennuis d¹embrayage et de moteur donnent à Hervé le droit de quitter discrètement ses complices plus habiles que lui à mener la bête malade vers l¹arrivée. «Sauf que sur l¹autoroute, quand j¹ai appris que mes deux copains avaient réussi l¹exploit de terminer à la 6e place, j¹ai vraiment regretté ma réaction». Heureusement, entre Poulain et Le Mans, l¹affaire ne s¹arrêta pas là !

GH


Pour Info
http://www.lemans-racing.com


Nota
L'ensemble des textes et images a été mis à la disposition de ConsultingNewsLine par courtoisie de Philippe Laville, Directeur et Editeur du mensuel Le Mans Racing.






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BMW 75
Alexander Calder 1975





BMW 76
Franck Stella 1976








BMW 77
Roy Lichtenstein 1977








BMW 79
Andy Warhol1979






















Crédit photo:
Georges Helmet / Le Mans  Racing
BMW, Maître Hervé Poulain
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