Forum Juin - juillet 2005
Spécial Salon du Bourget 2005
Mondialisation, délocalisations...
vers où va-t-on ?
Par  Michel Goyhenetche

Entreprises « sans usine » et délocalisations, mêmes motivations ... Depuis quelques années les délocalisations s’accentuent. Elles ont permis l’apparition de nouveaux opérateurs en sous-traitance dans les pays Low Cost. L'aéronautique aussi est touchée et les grands groupes industriels internationaux en ont le mieux profité.


Entreprises "sans usine", délocalisations... Après avoir touché l’Automobile et l’Electronique, la formule s’essaye dans les domaines des composants pour l’Aéronautique. Ainsi, on s’aperçoit que la France délocalise certaines de ses productions, qu’elle se désindustrialise. Le mouvement s’est étendu à d’autres secteurs aussi variés que les pompes, les composants électriques ou les colliers de fixation de tuyauteries pour les plombiers . Certains s’en inquiètent. Vers ou va-t-on ?

La délocalisation n’est pas une fatalité
L’externalisation de la production n’est pas une pratique nouvelle en soi ; elle existe dans de nombreux domaines, depuis de nombreuses années, et progresse régulièrement sous des formes de sous traitances  plus ou moins achevées. Ce qui est nouveau, c’est le transfert massif et complet de volumes importants de production, à des opérateurs spécialisés, de plus en plus recherchés pour leur main d’œuvre à bas coût... Elle apparaît le plus visiblement dans la production de masse.(Informatique, TV, horlogerie, textile … ). Pour les grands groupes industriels, qui raisonnent  dans le domaine de l’économie internationale , c’est-à-dire dans le contexte concurrentiel « global » et en s’affranchissant des servitudes de « l’économie sociale » des pays développés., la logique de délocalisation ne fait aucun doute si l’on se place du strict point de vue stratégique.  On produira là ou c’est le plus avantageux. On peut sans doute critiquer la démarche pour son manque de "civisme" et dire qu’elle ignore les coûts cachés pour l’environnement économique et social qui le subit. Dans le monde en marche, les stratégies de relocalisation des lieux de production sont inéluctables . Elles doivent être examinées lucidement. Les délocalisations ont un coût pour la collectivité, on ne peut pas complètement l’ignorer dans les entreprises concernées. La délocalisation n’est pas une fatalité et dans de nombreux cas des parades existent pour s’éloigner de ses dangers.


Comment faire pour éviter les chocs et les tragédies?
La réponse est toute en nuances... Elle résulte aussi d’une connaissance plus fine des contextes qui les provoquent et des types de conduites des dirigeants qui peuvent prendre plusieurs aspects.

Pour l’entreprise qui est tentée par la formule "Sans Usine", elle permet :

- D’accéder, dans la filière, aux meilleures compétences et Savoir Faire              
  mondiaux du moment, aux ressources (main d’œuvre, composants, matière…)
  aux prix parmi les plus intéressants du marché

- D’éliminer les frais généraux inutiles ou excessifs,  de "variabiliser" les coûts
  fixes

- De partager le risque avec le fournisseur

Les bénéfices sont immédiats sur la structure financière, avec effets sur les marges d’autofinancement, la rentabilité du capital investi et la valeur en Bourse…
Grâce à cela, certains Grands Groupes, en crise, ont «du leur salut» à l’abandon de leur production et à une sous-traitance dans les pays low cost. En Europe, les grands acteurs des secteurs de l’électronique grand public, de l’informatique, ou du Téléphone portable, pourtant fiers de leur savoir faire sophistiqué et de leurs lignes intégrées, ont connu ces dix dernières années, des renversements comparables. Sur notre continent, les stratégies de maîtrise des coûts sont devenues quasi impossibles face à la concurrence asiatique et dans le cas des produits de grande série, on subit la délocalisation comme une nécessité pour ne pas disparaître du métier. Il faut donc produire dans les pays du type Low Cost, en faisant appel, ce qui est le cas le plus fréquent, à des sous traitants locaux. On tombe ainsi lentement sous une forme de dépendance, parce que, de simples exécutants, ces derniers finissent par passer au rang de partenaires en gagnant la capacité à industrialiser le produit. La pratique pour les clients européens qui consistent à définir leurs demandes au travers d’un « Cahier des Charges Fonctionnel »., conduit à perdre une part de la capacité de créer de la valeur parce que l’on finit par perdre la connaissance des process .

Par ailleurs, les grands sous traitants dans les pays du type low cost finissent par se retrouver avec des outils comparables et parce que les technologies clefs se répandent rapidement, une banalisation des produits par « mimétisme’  apparaît.
Il faut renouveler les modèles de plus en plus fréquemment pour garder une différenciation et résister aux plagiats. Ainsi, la solution de l’entreprise "sans usine" n’est pas exempte  de risques ; elle engendre des situations ou les sous traitants de type low cost d’aujourd’hui peuvent eux-mêmes devenir les concurrents de demain. Le choix de délocaliser peut être poussé par un financier peu aventureux et qui aura compris que la formule constitue une solution de facilité, une occasion de se défaire du souci de gérer un outil industriel jugé lourd et complexe, voire dangereux, de ne plus avoir à affronter les syndicats, les mouvements d’humeurs dans les équipes, les tricheurs dans les ateliers. Ils échapperaient ainsi au stress, au risque et à certaines formes de responsabilités, tout en apparaissant comme des patrons d’avant-garde pour le monde boursier. On a vu également, des PME familiales en compétition en Europe et positionnées sur des niches très rentables, se livrer à des luttes acharnées autant qu’inutiles, par la volonté obstinée de clans ou de quelques hommes dont le but est de ruiner les concurrents et de les absorber. La chute accélérée des prix par le développement des achats dans les pays, low cost y contribue. Ces manœuvres sont des tragédies. Elles tuent l’emploi local, sans correspondre à une justification profonde du marché (qui n’en demande pas tant). Elles faussent les termes de l’échange  parce que les clients qui en deviennent bénéficiaires n’apprennent pas à payer le vrai prix des objets , c’est-à-dire de la Valeur Apportée. La réussite industrielle pour le gagnant masque la nécessité de mieux maîtriser le marketing du produit, l’innovation et la relation client. Dans l’Automobile, les délocalisations sont impulsées principalement par les Constructeurs et grands Equipementiers, par une recherche sans répit de baisse des coûts. Ils ont une culture forte de l’externalisation. Dans leur rôle de "presseurs de coûts", ils  appliquent sans états d’ames, , des stratégies qui présupposent que leurs fournisseurs  disposent  de réserves de gains  qu’il faut aller chercher et que la force , la mise en pression, permettent de dégager. Ces comportements s’appuient implicitement sur des postulats comme celui de la méfiance (l’Autre a quelque chose à cacher) ,  de la précarisation du fournisseur et qu’il n’y a de bonne  négociation que dans les situation de rapports de forces . La ruée des Donneurs d’Ordres de l’Automobile vers les pays « low cost », en poussant eux-mêmes des fournisseurs locaux à se constituer et à se développer, même si aujourd’hui celle-ci  reste limitée à des réalisations d’éléments de faible à moyenne complexité, n’en demeure pas moins inquiétante pour l’avenir de nos économies industrielles. Dans la guerre économique qui se joue entre les nations par sociétés industrielles interposées, on se rend compte que les doctrines, en faveur de l’entreprise "sans usine", peuvent être dangereuse. Elles peuvent détruire plus de Valeur qu’elles n’en créent.


Un échec et un gâchis
Quand on achète des fournitures en Asie par exemple, les prix sont tellement bas (jusqu’à 10 % des prix européens) qu’ils déclassent toutes sortes d’efforts ou d’initiatives de progrès antérieurement prévus...  La tentation est grande de ne considérer le produit que sur le seul registre du prix. Cette situation peut être vu comme une régression du point de vue de la Qualité et aussi du Marketing D’ailleurs dans le premier cas, du cotés des Acheteurs les niveaux d’exigences baissent et l’on pardonne quelques faiblesses aux fournisseurs low cost ; dans le second cas, l’ajustement du produit aux réels besoins du client devient moins critique dans la vision du fournisseur. Trop simplificatrices, elles font croire que le prix à payer se limite aux seuls coûts des facteurs dans les relations entre le Donneur d’Ordre et les fournisseurs. Elles ignorent ou font l’impasse des sommes souvent considérables investies jusque-là, en argent et en efforts humains, par les sous traitants et fournisseurs locaux et que la décision de quelques hommes puissants et bien placés peut rendre obsolète et inutile du jour au lendemain En touchant les fournisseurs qui se situent en premier rang , la délocalisation  bouscule en fait , comme par un effet domino , un tissus complexe de métiers  et de PME  qui vivent , en arrière plan , en se soutenant les unes et les autres , dans un vaste réseau d’échange économique , de technologies , de savoir-faire et d’expériences . Certains  de ces acteurs, dans la filière industrielle concernée , peuvent être d’ailleurs stratégiques pour d’autres activités (la santé, la construction …)

Comme dans tout mécanisme où l’on retire aux uns pour donner à d’autres, les conséquences sont dures pour les perdants. Chaque fois qu’un donneur d’ordre achète quelque chose à un sous traitant dans un pays "Low cost", c’est un peu de pouvoir d’achat que nous perdons. Les économistes bondiront à cette remarque et nous rétorqueront que la mondialisation est un bienfait. Cela est vrai si nos Importations et nos Exportations restent durablement équilibrées. Va t-on dans ce sens?

Les bonnes ames disent que nos pays avancés garderont chez eux la Recherche,  la Conception et les Productions à forte valeur ajoutée. En est-on si sûr? Ne disait-on pas la même chose il y a quelques années pour l’automobile, puis pour l’électronique, à propos du JAPON ? Depuis ce pays nous a imposé sa suprématie dans les photocopieurs, les caméscopes , les PC portables et bien d’autres produits qui font notre quotidien. Dans le secteur de l’Aéronautique ce sont les constructeurs d’Avions qui mènent le jeu de la délocalisation, principalement au travers de compensations octroyées, sous forme d’heures de travail, aux pays qui peuvent devenir ou sont déjà clients pour leurs appareils. Autrefois la sous traitance ne captait  que les  pièces déjà connues , peu stratégiques et qui pouvaient être réalisées sur machines outils à CN classiques, Les volumes de travail externalisés etaient déterminés de sorte que lors des crises périodiques que connaissait la profession, ( environ tous les 7 ans) la charge était retirée aux sous traitants pour maintien de celle des ateliers du Donneur d’Ordre à un niveau optimal  Les sous traitants etaient tenus de s’adapter pendant les creux d’activités. Avec là, montée du consortium Airbus, les exigences changent : les coûts de développement des nouveaux avions devenant de plus en plus élevés, les sous traitants et fournisseurs de rang 2 sont sollicités pour participer à la conception des éléments ou sous ensembles qui leur sont confiés, avec pour objectifs l’amélioration des performances, la réduction du poids et la baisse  du prix. Ils ont ainsi été conviés à apporter leur part d’innovation, avec en contrepartie la promesse de devenir "quasi - propriétaires" de la charge de travail correspondant à la fourniture. La distribution du travail n’est jamais exactement garantie entre les pays partenaires et il n’est pas rare, pour des raisons de compensations que le sous-traitant initial soit obligé par son client donneur d’ordre de céder une partie de sa charge à un tiers, parfois dans un pays low cost.


Quelques voies pour lutter contre les délocalisations?

Se méfier du modèle à la mode
L‘observation du monde montre que le modèle des achats de l’automobile vers
les fournisseurs Low cost est copié et se répand dans d’autres secteurs de l’activité économique Il apparaît comme très efficace mais il est dangereux et pervers. Surtout il a un coût, social et économique, lourd, pris en charge par la collectivité et que l’entreprise qui délocalise veut ignorer...

Les regroupements des fournisseurs dans un projet fédérateur : Clusters
Pour maîtriser ces phénomènes de délocalisation et ne pas être emporté dans des batailles sans lendemain, les PME, dans les filières menacées, doivent se regrouper et se donner les outils du Benchmarking et de la prospective, qui sont plus que jamais nécessaires, pour créer la Valeur perçue véritablement par le client et cela durablement. Ces regroupements sont aujourd’hui facilités pat l’initiative publique qui découvre depuis peu les vertus des Pôles de Compétitivité et autres formules d’organisation en Clusters (grappes). Les nouveaux modèles d’organisation, comme les Pôles de Compétitivité, basés sur la coopération entre la Recherche, la Formation et les PME, dimensionnés pour fonctionner à l’échelon régional, commencent à apparaître. Ils favorisent l’effet de proximité entre les différents acteurs et sont des lieux de rencontre et d’échange, pour stimuler l’innovation et l’initiative, créer du Business. Ils sont très prometteurs en matière de progrès. Ils peuvent contribuer par exemple à :

Développer les Offres d’Ensembliers
La stratégie des acheteurs a été de pousser les fournisseurs PME dans une spécialisation produits ou composants élémentaire, pour mieux les presser 
 Aujourd’hui les gisements de progrès sont dans la mise en réseau et les partenariats souples, pour construire au coup par coup et dans le cadre de la gestion de projet, des offres élargies (sous forme de « package fonctions »     
ou de sous ensembles) Ils favorisent la montée des rôles d’architectes et d’ensembliers chez les fournisseurs

Mieux maîtriser la relation-client
Les protagonistes Acheteurs-Fournisseurs, surtout dans l’automobile, entretiennent des rapports tendus , ou l’affectif joue un rôle plus important que  ne l’avouent les acteurs Le modèle mis en pratique se base sur des postulats faux comme l’usage de la force pour obtenir de l’Autre qu’il cède de la de la Valeur, la précarisation du fournisseur pour mieux le dominer, la mise en pression sans lui laisser un répit, la construction, de la communication avec la méfiance comme règle conduisent quand ils sont exacerbés, à la médiocrité et à l’échec…
La mise en "Clusters" permet de reprendre l’initiative et de réduire les effets des rapports "perdants-gagnants", en abordant autrement l’enjeu de la Confiance pour mieux Communiquer avec le client.

Continuer à accompagner les clients dans la baisse des coûts
Il ne faut pas baisser les bras, des poches d’économies existent encore dans la «chaîne de Valeur de l’Idée au Produit dans le Marché». Des outils existent pour les dévoiler. Ils sont fondés sur l’appel à l’intelligence des hommes, sur des modes de management qui libèrent l’esprit d’initiative et la créativité, qui encouragent la responsabilité dans le contexte du client.

Dans le domaine  de la création des produits, l’Ecoute du client est source de progrès mais elle est mal organisée, l’appel aux techniques de déploiement de l’innovation est balbutiant , le Marketing Amont qui guide la conception par une analyse fine du juste besoin est très insuffisant,  l’Analyse de la valeur pour concevoir des offres de solutions n’ est pas appelé de manière  assez systématiques, le design est trop souvent appelé trop tard .

Dans le contexte de la production les mises en réseaux des fournisseurs PME
Au sein des Pôles de Compétitivité et Clusters, favorisent la compétitivité par la mutualisation des investissements, l’accès, à de nouveaux moyens et la création de nouvelles compétences.
 
Dans les champs du commercial, la Relation Client et tous les services qui peuvent être Source de Valeur pour ce dernier pourraient dans de nombreux cas êtres mieux rémunérés.
Les poches de Non-qualité représentent beaucoup d’argent à gagner. Elles sont masquées par les habitudes et les routines, Elles sont freinées aussi par la réticence à la remise en cause et le sentiment que chacun fait déjà le mieux qu’il est possible dans son domaine …


Vers ou va-t-on en final ?
Dans un monde qui se globalise, pour les PME un nouveau futur est en train de se construire dans le cadre des clusters qui commencent à germer dans les régions. Elles sont face à un nouveau chalenge, celui d ‘y trouver leur place. Et après? La question n’est pas clause. Qui saura y répondre?


Michel Goyhenetche
pour ConsultingNewsLine


Pour Info:
Michel Goyehenetche, Ingénieur,  est spécialiste du Management et du Marketing de l'Innovation. Membre et ancien administrateur de l'UNATRENTEC, il est un des grands spécialistes de l'Innovation de la place de Paris et ce depuis plus de 20 ans.
Michel Goyhenetche est l'auteur de l'ouvrage "Le Marketing de la Valeur" aux éditions INSEP et a participé à la rédaction de plusieurs ouvrages dont "de l''Idée au Produit" chez Eyrolle et "La Qualité en Conception" aux Editions de l'AFNOR.

www.goyhenetche.com
Tel: 01 56 03 97 10


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