Méthodologie
Octobre 2004  
Les pratiques des acheteurs dans l'automobile
comment rompre avec l'equation:
obtenir plus en donnant moins !

Par  Michel Goyhenetche

Si les équipementiers de l’automobile ont désormais stratifié leurs marchés, Tier1, Tier2… il reste que les fabricants de machines et d’outillages continuent à négocier en direct avec les constructeurs. Quelle forme dés lors la négociation doit-elle prendre pour un résultat qui ne soit pas uniquement à l’avantage du constructeur ?

Dans le monde de l’automobile les constructeurs ont ces 15 dernières années accru leurs exigences au point de mettre une pression difficilement supportable par leurs fournisseurs.  Pour faire face à cette situation de nombreux fournisseurs ont préféré être rachetés par de gros équipementiers plus à même de négocier directement avec les constructeurs. Il s’est ainsi établi une stratification en fournisseurs de premier rang (Tier 1), second rang (tier 2) etc. Des entreprises telles que Valeo ou Visteon sont l’exemple même des fournisseurs de premier rang qui discutent d’égal à égal avec les constructeurs, notamment parce que leurs tailles leur permet d’établir des partenariats ou de consentir des exclusivités temporaires sur la base  d'innovations qu’il introduisent à leur propre initiative. A côté de ce monde qui alimente les chaînes de montage, et dont les équipements comme les fournitures se retrouvent dans le véhicule final, il existe dans l’ombre et pour les servir de nombreux métiers dédiés à assurer la mise en place et la pérennité de l’outil industriel : fabricants de machines spéciales, machines-outils, robots, lignes de production, équipements de transitiques et de moyens de métrologie… Les acteurs de ces domaines, essentiellement des PME, doivent agir en fournisseur de premier rang et sont donc «mécaniquement» confrontés à leur "tour" à des mutations qui devraient les conduire à une réduction de leur nombre d’une bonne moitié d’ici à 7 à 10 ans! L’examen des mécanismes de la relation client-fournisseur aide à dégager quelques réponses pour être encore là demain.

L’usage de la force est devenue centrale aux méthodes l’acheteur

Lorsqu’il s’agit  de livrer des équipements industriels, des machines et des outillages aux grands acteurs de la production Automobile, les PME constituent le gros bataillon des fournisseurs de premier rang. Les acheteurs, ont compris que la création d’un stress assez  fort, surtout lorsqu’il est formulé au travers d'une "exigence  de baisse  de prix significative", pousse les fournisseurs à améliorer leurs coûts et les incitent à l’innovation s’ils veulent rester dans la compétition
. Dans cet esprit, ils ont mis en place des stratégies de "Mise en pression"  de plus en plus contraignantes :

D'abord en poussant les fournisseurs à la certification ISO, les Donneurs d’Ordres ont pu obtenir de leur part de nombreux avantages confinant au privilège: structuration des niveaux d’exigence lors des spécifications ; obtention de  la mise à niveau de la qualité de la fourniture ; mais surtout, organisation d'une traçabilité qui au delà de la responsabilisation des Sous Traitants conduit à leur transférer l'essentiel des responsabilités. Ensuite en imposant à leurs fournisseurs habituels de travailler à livre ouvert, ils ont fait le benchmarking des constituants des coûts pour les pièces à approvisionner; Ce qui a  permis de  fixer des prix cible à  obtenir. Des baisses  des prix ont dés lors été systématiquement demandées au cours des consultationssuivantes, sous peine d'exclusion, conduisant rapidement à une réduction drastique  du panel fournisseurs. Puis encore, en exigeant aussi que les fournisseurs restituent une partie des  baisses de coûts obtenus par la capitalisation d’expérienc les acheteurs ont capté l’essentiel des économies réalisées. De même par la consultation de fournisseurs localisés dans des «Pays à bas coûts»,  utilisés comme «lièvres», ils ont pu obtenir de nouveaux  rabais et ont fini par faire appel à ces pays comme source d'approvisionnement principal. Enfin, dernière invention, au travers d'enchères inversées sur internet ils ont encore obtenus de substentielles réductionset contribué de plus à dépersonnaliser la relation, pourtant essentielle en B to B.

Dans cette "Mise en pression", il y a de la part des acheteurs une volonté de déstabiliser le fournisseur, de le mettre en position d’infériorité. Exercice totalement bouclé ultérieurement par l’asphyxie de la trésorerie résultant des retards de payements qui achèvent de le rendre le vulnérable et dépendant. Si dans ce jeu, il s’agit d’exploiter les gains en coûts latents, l’exercice a une limite évidente: avec une exigence trop grande et trop brutale, on a tôt fait d'acculer le fournisseur à la faillite ou à l’abandon... avec des conséquences inverses: moins de choix, moins d'innovation , moins de régularité dans les fournitures. Tous ne meurent pas bien sûr mais dans le cadre de pratiques ou les sous traitants sont enfermés dans un corps d’exigences dures et sont soumis à une évolution à marche forcée, où seuls quelques-uns réussissent, les rapports finissent par devenir difficiles. Avec les plus faibles ou les plus petits, la relation déjà tendue, devient carrément conflictuelle, avec ce qu’elle suppose de mauvaise foi et de récriminations. La  communication devient vite compliquée, la méfiance s’installe et avec elle, la réticence à faire bénéficier le client des progrès possibles dans un jeu où l’on serait resté un éternel « perdant». Le Donneur d’Ordres sent que son fournisseur devient rétif, que les possibilités de progrès apparaissent bloquées. Si celui-ci n’a pas une position clef dans le dispositif des fournisseurs, il sera «lâché». Mais le parcour du combatant n'est pas terminé. Au delà de la "Mise en pression initiale", les méthodes de déstabilisation sont légion. Ce sera par exemple en occasionnant une nouvelle concurrence et en facilitant le "copiage" de l'objet demandé, ou encore en privant tout simplement le fournisseur de commandes temporairement, afin d'affaiblir sa volonté de résistance, ou tout autre moyen de mise en pression: dénigrement de moyens, ressources humaines et financières ; pour ne parler que des moyens "racontables".


Comment changer la forme de la relation avec les donneurs d'ordres ?
La tentation de mettre en place des ententes occultes entre les fournisseurs, pour le maintien du prix ou le partage des marchés étant illicite et à rejeter, un certain nombre de solutions s'offrent fort heureusement aux fournisseurs en quête de survie; On peut les résumer comme suivant :

L'échappement classique
D'abord, comme dans le cas des équipementiers, pouvoir se différencier par une singularité technique, unique et rare. Ce sera par une innovation que l’on aura su déployer, ou  par une maîtrise inégalée d’un savoir-faire. La  condition  est que cela  conduise à chaque foi à gagner sur les coûts. On se retrouve dans une situation plus confortable pour  défendre son prix. Mais ces situations ne sont jamais durables ; les clients n’aiment pas les fournisseurs qui se barricadent derrière  un monopole.

Ensuite se fédérer  dans le cadre d’une offre élargie. Pour s’adapter et gagner en crédibilité, des initiatives apparaissent, sous la  forme de regroupement de PME et le montage d’actions collectives. Celle ci sont parfois  organisées, avec le soutien des syndicats professionnels, des Centres Techniques ou des CCI. Elles visent à mieux analyser l’avenir sur le plan des nouveaux besoins, pour aider les PME à mieux connaître les nouveaux challenges, c’est-à-dire là où la valeur perçue par les clients sera la plus forte et où elles pourront mieux trouver leur place en se spécialisant. La question qui reste alors souvent à traiter est : comment reconstruire la  confiance, si elle a été perdue ou même fortement obérée, dans le rapports antérieurs entre les protagonistes. Parce que les blessures sont vivaces et que les mauvaises habitudes ne se perdent pas facilement, cet exercice est singulièrement difficile.

D'autre part, se rapprocher d’un «Vaisseau Amiral» pour trouver des raisons, qui pousseront les fournisseurs PME à apporter leur  part de contribution, en efforts et en innovations, à l’aventure automobile., une réponse passe par des formules comme  le rapprochement des plus petites structures,  autours de plus grandes, pour constituer des consortiums souples, organisés en projets, et bien  plus  crédibles. Le groupe ARCELOR, important fournisseur de tôles d'acier à l’automobile, regroupe ainsi des fabricants d’équipements spécialisés dans le ferrage et l’assemblage par soudage. Cela lui permet de développer non seulement une offre produit mais une offre solution.  Exemple : la définition du capot, avec le process correspondant (gamma des opérations) et la ligne de fabrication la mieux adaptée. Le groupe ARCELOR trouve un intérêt dans cette démarche : elle lui permet de défendre plus efficacement la filière acier face à la montée d’autres matériaux concurrents. Dans tous les cas pour le fournisseur, il vaut mieux communiquer en affirmant son rôle de « Ressource » pour le Donneur d’Ordres, parce qu’il apparaît ainsi comme porteur d’une promesse de progrès, nécessaire, dans un intérêt bien compris, pour lui permettre d’affronter les années qui viennent.

Enfin,
ne pas rentrer dans le jeu de l'acheteur, redonner la place à la confiance, chercher à traiter avec l’Homme qui se trouve derrière la Fonction de l’Acheteur. C'est l'objet du paragraphe suivant.


Construire la Relation autrement
À une époque où la vitesse d’exécution devient un enjeu pour lancer l’innovation le premier sur le marché, où la réactivité  conduit à des mises en réseau et à des partenariats avec les acteurs les plus compétents, où il faut s’organiser pour concevoir en même temps  les produits et les moyens de production associés, on s’aperçoit que le maillon faible est la communication entre des acteurs. Ceux ci  restent  nombreux et la variété des cultures de travail nécessite un apprentissage et une disposition à l’écoute qui ne sont pas immédiats. Le "postulat" de la méfiance envers les fournisseurs et sous traitants, trop souvent érigé en règle par les acheteurs  traditionnels est aujourd'hui obsolète. Il est associé à des procédures lourdes  d’un autre âge, n’est pas favorable par essence à une bonne communication et  reflète un certain goût de la conduite d’exécutants souvent PME, de manière assez directive. Parce qu’il infantilise le fournisseur, il produit naturellement peu de progrès et à terme, parce qu’il démotive et use les équipes, il conduit irrémédiablement à l’impasse.

A contrario, le postulat "à plus de confiance", loin de l’angélisme, est plus délicat à mettre en œuvre et plus exigeant sur la qualité des hommes et des organisations. Il ne dispense pas de règles du  jeu dures, qui collent au monde concurrentiel d’aujourd’hui. Il  mérite que l’on s’y intéresse, à l’image de nos voisins européens. Bien compris, il permet plus de souplesse, libère plus d'initiative et de créativité. Il va avec la délégation de responsabilité qui se développe dans l’élargissement du champs de la fourniture vers des fonctions et des systèmes de plus en plus complexes. Comparativement aux PME, les plus gros fournisseurs sont davantage dans la situation de jouer sur le registre de la  confiance, même si celle-ci est «hautement surveillée». On leur prête plus facilement de la crédibilité. Il n'empêche que la confiance peut et doit être établie quelque soit la taille du fournisseur et les fabricants de machines et d'outillage ont tout intérêt à jouer sur ce registre. D'une part, parcequ'il faut raisonner en terme de valeur apportée et non de prix obtenu par la négociation: c'est le miracle de l'innovation. Il faut savoir passer d'une guerre de position à un jeu de situation où le sous-traitant n'est plus un simple fournisseur mais une ressource qu'il convient de valoriser. D'autre part, et c'est un Corollaire, parcequ'il existe une prise de conscience progressive des acheteurs du caractère symbiotique de la relation entre grandes et petites structures High Tech, comme l'ont très bien démontré les premiers fabricants de robots: l'innovation dans le petites structures est fragile, à manier donc avec précaution si l'on veut durer.

Peut-on conclure ?
Il est clair qu'il y a là un chantier à ouvrir. Il y a plus d'avantages à jouer au jeu de la coopération qu'à ne pas le faire.

Michel Goyhenetche
pour ConsultingNewsLine



Pour Info:

Michel Goyehenetche, Ingénieur,  est spécialiste du Management et du Marketing de l'Innovation. Membre et ancien administrateur de l'UNATRENTEC, il est un des grands spécialistes de l'innovation de la place de Paris et ce depuis plus de 20 ans.
Michel Goyhenetche est l'auteur de l'ouvrage "Le Marketing de la Valeur" aux éditions INSEP et a participé à la rédaction de plusieurs ouvrages dont "de l''Idée au Produit" chez Eyrolle et "La Qualité en Conception" aux Editions de l'AFNOR.

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