Le pOint
Avril - mai 2007
 

Acquisition d'Insep Consulting par Bernard Julhiet Group
Interview : Dominique Genelot Président d'Insep Consulting


Avec l’acquisition d'Insep Consulting par Bernard Julhiet Group c'est vraisemblablement un futur Leader français du "capital Humain" qui est en train de se constituer sous nos yeux. Mais c'est aussi un demi siècle de conseil "à la française" qui resurgit, comme nous l'explique Dominique Genelot... 

Dominique Genelot, Bernard Julhiet Group vient de faire l’acquisition d’INSEP Consulting  que vous dirigiez. INSEP Consulting  est une référence dans le conseil français, au même titre que l’ont été les cabinets Bossard ou encore Eurequip. Peut-on retracer les événements qui ont conduit à ce rachat et esquisser a minima ce qui devrait advenir de cette entité réputée, tant pour son activité conseil que pour son activité éditoriale?

Dominique Genelot :
Le cabinet Bernard Julhiet a été racheté au groupe Havas par Alain Thibault en mars 2004. Le CA à l’époque était environ de 5 millions d’Euros. L’objectif que s’était fixé Alain Thibault pour la première étape de son plan stratégique était d’atteindre une taille critique fixée aux alentours de 20 millions d’Euros de CA au bout de 4 ans. En fait cet objectif a été atteint en 3 ans seulement. Le plan de « croissance délibérée » est donc largement dépassé, puisque nous réaliserons, ensemble, un CA d’environ 25 millions d’Euros en 2007.


Mais quel peut bien être la place d’INSEP Consulting  dans ce développement? Quel est le positionnement de l’entité "résultante" au rachat d’INSEP Consulting? Peut-on encore parler de cabinet généraliste «à la française»?

Dominique Genelot : Nous ne sommes pas des généralistes mais plutôt des consultants du domaine des Ressources Humaines. Nous travaillons essentiellement sur les transformations profondes qui touchent ou vont toucher les entreprises et nous aidons nos clients à se préparer ou à conduire ces transformations en s’appuyant sur leurs ressources les plus précieuses : les ressources humaines. INSEP Consulting avait développé depuis toujours cette approche de la performance fondée sur le talent et l’engagement des hommes et constituait de ce fait un atout important  pour le positionnement "RH" du  nouveau groupe Bernard Julhiet. C’est cette compétence qui a intéressé Alain Thibault Nous ne tenons pas essentiellement à être un cabinet «à la française», car nos missions actuelles dépassent largement l’hexagone, et nos ambitions internationales sont grandes.


En terme de clientèle comment se redéfinit l’ensemble que vous avez constitué?


Dominique Genelot : INSEP Consulting comptait dans sa clientèle 19 entreprises du CAC 40 et de grands clients de la fonction publique : Ministères des Finances, de l’Equipement, des Affaires Sociales, de la Défense... plus de grandes entreprises publiques : EDF, GDF, France Télécom. Bernard Julhiet présentait un portefeuille similaire, sans pratiquement aucun recouvrement. Aussi aujourd’hui nous couvrons ensemble 80% du CAC 40.


On a vu Bossard (Capgemini), Eurequip (IBM), Sema (Schlumberger puis Atos), Valoris (Sopra) venir s’adosser à de grands groupes de l’informatique. Aujourd’hui ce sont les grandes entreprises de l’Interim qui achètent ou développent du conseil en RH,  Altedia chez Adecco, Right chez Manpower, Amplitude pour Vediorbis. Votre rachat se situe-t-il dans une mouvance de ce type?

Dominique Genelot : Nous sommes totalement indépendants de grands groupes. Alain Thibault est l’actionnaire majoritaire et je suis le deuxième. On a effectivement vu ce mouvement dont vous parlez et qui va peut-être continuer. C’est en effet une tendance. De même qu’il y a 7-8 ans on a vu l’informatique racheter le management avec beaucoup d’échecs, aujourd’hui la tendance c’est plutôt pour les grands groupes de l’Interim de s’adjoindre des compétences en achetant les conseils en RH. En ce qui nous concerne, nous voulons rester un «Pure Player RH»  et une chose est sûre : nous ne ferons pas d’Outplacement. Notre positionnement est très précis. Nous voulons aider les entreprises à réussir leurs transformations : fusions, acquisitions, changements de métier, ouverture de marchés, conquête de nouveaux marchés stratégiques, grandes réorganisations.... Celles-ci sont menées par des hommes. Nous intervenons en préparant ceux-ci aux chocs futurs et en les aidant à franchir les chocs présents.


Donc un savoir-faire très spécifique qui a priori ne devrait pas être dilué ultérieurement dans le cadre d’un groupe plus large. Peut-on revenir sur les origines d’INSEP Consulting, qui à bien des égards est un cabinet d’une grande originalité?

Dominique Genelot : Je serais tenté de parler de l’histoire des deux cabinets : INSEP CONSULTING  et Bernard Julhiet. Ces cabinets ont une très belle histoire avec des racines profondes qui leur ont permis de passer des décennies sans se départir d’une extrême qualité. Bernard Julhiet a créé son cabinet en 1949. Il est donc l’un de ceux qui dans l’après-guerre ont permis de reconstruire le pays. Tout était à faire. Bernard Julhiet a su animer, développer, créer beaucoup de méthodes. Rapidement il est devenu important dans le paysage entrepreneurial français. Les jeunes générations n’ont pas connu cette époque. Le fondateur a disparu brutalement en 1971. C’est son fils Bruno qui a repris le flambeau et a superbement développé l’entreprise jusqu’à la fin des années 80 où il l’a vendue au groupe Havas.


Et pour INSEP Consulting ?


Dominique Genelot : INSEP Consulting a été créé en 1967 par Claude Bellavoine qui était un humaniste, un homme de culture et d’innovation. Il y a donc au départ beaucoup de points communs entre Claude Bellavoine et Bernard Julhiet, même si, probablement, ils ne se connaissaient pas.  Ma rencontre avec INSEP Consulting s’est faite autour de cet humanisme et de cet esprit d’innovation. Claude Bellavoine travaillait à IBM France. Il s’occupait du recrutement des cadres et avait créé les services d’éducation interne. Aussi il avait pu observer les besoins de formation des cadres en entreprises.  A la suite de ces observations, il a décidé de créer une entreprise de formation à distance pour les cadres, l’Institut Supérieur d’Education Permanente... l’INSEP, qui s’adressait aux cadres sur des sujets qui n’étaient pas enseignés dans les écoles à l’époque : économie, gestion, marketing, informatique.... Il avait conçu un dispositif très avancé de "formation à distance" qui était très proche dans sa conception du blended e-learning d’aujourd’hui, à cette différence près que les envois étaient faits par la poste et non par internet. En quelques années  INSEP a acquis une excellente renommée auprès des cadres en France. INSEP (qui ne s’appelait pas encore INSEP Consulting) était à l’époque le seul organisme à proposer de l’enseignement pour les cadres à distance : enseignement individualisé, regroupements en séminaires, "présentiel" pour mettre du lien et du relationnel. Quatre années avant la promulgation de la loi sur la formation permanente ! Claude Bellavoine était vraiment un précurseur. Malheureusement cet homme est décédé, lui aussi prématurément, en 1978.


Ce point d’histoire est particulièrement intéressant. Souvent dans les écoles de management on ne retient que quelques noms, le plus souvent anglo-saxons, de fondateurs qui se séparent. Là, il y aurait plutôt convergence...

Dominique Genelot : Claude Bellavoine, avec qui j’ai travaillé durant 7 années, avait 10 idées par jour ! Bernard Julhiet, était, semble-t-il, aussi créatif ... Claude Bellavoine et Bernard Julhiet étaient des humanistes précurseurs. Cette culture est restée au cœur des deux entreprises. Cette proximité de culture à l’origine explique sans doute en partie que notre rapprochement se passe de manière excellente. Nos racines sont très proches. 


Vous avez mentionné cette loi sur la formation permanente. On sait combien les lois peuvent contribuer au développement du conseil. Peut-on revenir sur ce point d’histoire que tout le monde semble avoir oublié?

Dominique Genelot : La loi de 1971 sur la formation permanente a fait obligation aux entreprises de consacrer une part de leur masse salariale à la formation de leurs salariés. Elle avait été précédée par les accords de 1970 entre les partenaires sociaux. Claude Bellavoine, qui avait créé INSEP 4 ans auparavant, a senti que la demande de formation "sur son temps libre" et payée "de sa poche" allait basculer dans le champ de l’entreprise. J’étais à l’époque aussi chez IBM. J’ai rejoint INSEP à ce moment-là pour orienter notre offre de formation vers les entreprises, et non plus vers les individus. Nous avons conçu une offre de formation "intra-entreprise" fondée sur le développement de l’autonomie et du professionnalisme des managers. En quarante ans d’existence (1967 – 2007) nous avons formé des dizaines de milliers de managers.



INSEP Consulting, c’est aussi l’édition d’ouvrages de management. Comment cela s’est il développé?


Dominique Genelot : Cette activité a été créée au sein d’INSEP Consulting en 1980 par Jacques Piveteau. Vous savez, chaque communauté humaine a "son grand homme". Jacques Piveteau a été le "grand homme" d’INSEP Consulting. C’est lui qui a jeté les bases de notre activité de professionnalisation des managers et qui a construit notre renommée sur ce terrain-là. C’était un homme extraordinaire, généreux, pétillant d’intelligence, illuminant la relation, curieux de tout. Chaque année il allait passer ses deux mois d’été dans les meilleurs centres de recherche en management des Etats-Unis et revenait avec ses valises chargées des études et méthodes les plus récentes. Il a très largement contribué à la construction de notre solidité conceptuelle et de notre image de référence dans le domaine du développement des managers. L’activité d’édition est dirigée depuis 1986 par Didier Noyé, un autre "pilier" de la maison. A lui seul il a écrit plus de 25 livres. Notre objectif en lançant en 1980 le département INSEP Consulting Editions était de mettre à la disposition du plus grand nombre nos réflexions et nos méthodes par le biais d’ouvrages directement utiles aux managers dans l’exercice de leurs responsabilités. Plus de 100 ouvrages ont été publiés depuis la création. La plupart sont écrits par des consultants d’INSEP Consulting. Les publications d'INSEP Consulting Editions et le site web permettent à tous d’accéder aux fondements et aux méthodes professionnelles qui font la réputation d’INSEP Consulting. La profession reconnaît à INSEP Consulting, à travers ses ouvrages, la recherche de qualité et de rigueur conceptuelle ainsi que l'attachement aux valeurs de la culture.


On est fin 2006 et Bernard Julhiet Group acquiert INSEP Consulting. Quelles sont les raisons de ce rapprochement?

Dominique Genelot : Les deux objectifs stratégiques de ce rapprochement étaient la recherche d’une taille critique et la complémentarité des métiers. Il y a un mouvement général dans le conseil en management qui est au regroupement afin d’atteindre une taille critique, car les grandes entreprises ont rationalisé leurs achats de prestations intellectuelles et réduit le nombre de leurs fournisseurs. Donc pour ne pas disparaître du marché il faut atteindre une certaine taille et accélérer sa vitesse de croissance. C’était une première donnée. La seconde était d’accroître notre capacité d’accompagnement des grands changements par la synergie entre le conseil et les outils de e-Learning et "e-Déploiement". Le e-learning permet de mettre à la disposition d’un grand nombre de personnes une formation à coût très réduit. On peut diviser par 2 à 4 le prix d’une formation. C’est donc astucieux de réserver le consultant-formateur pour du "présentiel" plutôt que d’enseigner du standard en salle avec un produit packagé à l’avance. Il était important pour INSET Consulting de se rapprocher d’un excellent prestataire d’e-Learning. Or Bernard Julhiet avait développé cette activité, qu’il avait renforcée par le rachat en juin 2006 d’i-Progress positionné de longue date sur le e-Learning. Cette complémentarité a augmenté notre détermination à les rejoindre.


Est-ce que les années 2002 - 2003, qui ont été dures pour le conseil (avec un recul historique du CA en France comme en Europe), ont pu être un élément de déclenchement de ce rapprochement?

Dominique Genelot : Pas particulièrement déclencheur. Nous avons souffert comme tout le monde mais cela n’a pas été déclencheur. La recherche d’une taille critique et la complémentarité des métiers ont été les vrais moteurs.


A quel moment avez-vous observé dans les RH cette consolidation qui est devenue aujourd’hui bien visible?

Dominique Genelot : Dés 1998 le mouvement était engagé. Là, je me suis dit «il faut que l’on élargisse notre base de compétences» et «être plus solide en s’associant avec d’autres structures». Cela aura finalement pris 8 ans pour y parvenir.  Donc depuis 8 ans j’étais en éveil sur cette question.


On a évoqué Alain Thibault qui est l’homme à la tête de Bernard Julhiet Group aujourd’hui mais l’on sait assez peu de choses sur vous. Les gens vous connaissent de par votre long engagement au sein de Syntec Conseil en Management dont vous avez assuré la vice présidence pendant de longues années, et aussi pour un livre qui a eu un grand succès  « Manager dans la complexité », publié par INSEP Editions comme il se doit, mais on sait peu de chose sur vous. Peut-on lever quelque peu le voile?

Dominique Genelot : Rien que de très classique. J’ai une double formation d’ingénieur ICAM et de Sciences de gestion. Débuts chez Fives - Lille - Cail, une grosse entreprise de l’après-guerre dont on a oublié aujourd’hui le nom et qui était spécialisée dans la construction mécanique (locomotives et biens d’équipement). Je suis allé ensuite assez rapidement chez IBM comme ingénieur commercial en charge de grands comptes, et puis j’ai rejoint INSEP Consulting.  Ceci dit, avec le recul, je prends conscience d’un fil directeur dans cette carrière. Dans mon premier job je dirigeais un atelier de construction mécanique, en contact direct avec les hommes. L’essentiel de cette activité c’était : un peu de technique et beaucoup de management! Chez IBM, le commercial était un métier de compréhension et d’écoute du client. J’ai adoré ces métiers qui m’ont permis ensuite comme consultant d’appréhender l’organisation, l’écoute, et la compréhension des problèmes difficiles. Le fil directeur de tous ces métiers c’est la relation à l’homme, ce qui m’a amené ultérieurement à travailler sur la complexité. Et aujourd’hui je dois dire que je ne suis jamais aussi heureux que devant un client.


On imagine qu’avec une telle carrière vous allez au sein de Bernard Julhiet Group endosser quelques responsabilités nouvelles. Quel sont les rôles que vous et Alain Thibault vous vous êtes définis?

Dominique Genelot : Un premier rôle est la participation au pilotage stratégique du Groupe, au sein d’un Comité Exécutif constitué de trois personnes : Alain Thibault, Françoise Disseaux-Doutriaux et moi-même. Par ailleurs, j’assure trois responsabilités : la relation client avec un certain nombre de Directions Générales, le développement international où l’on a de grands projets, le développement des "Fondements Scientifiques du Groupe" : relations avec les centres de recherche, Comité scientifique, constitution d’une  base conceptuelle solide. Cela rejoint notre activité d’édition qui constitue un formidable moyen de consolider nos connaissances.


Pour conclure j’aimerais que vous puissiez évoquer la façon dont vous avez appréhendé personnellement cette fusion, laquelle n’a certainement pas dû être évidente compte tenu de l’ancienneté de la maison que vous dirigez et de sa culture interne? 

Dominique Genelot : Une fusion c’est toujours difficile et risqué. Il faut être sûr de pouvoir y trouver un avantage stratégique avéré, une complémentarité de clientèle, d’offre, un bon accord culturel. S’entendre bien, trouver le bon "Fit", que les conditions financières correspondent aux désirs des deux parties.  Et puis que ça se fasse au bon moment. Et enfin que la confiance soit là si l’on confie l’entreprise en d’autres mains. Or, c’est un plaisir de travailler avec Alain Thibault: ambition, finesse de réflexion, pertinence des prises de décisions, rapidité d’exécution, grande capacité d’écoute avec concertation permanente... Exemple, le déménagement à la Défense a été bouclé en 3 semaines, ce qui n’est pas rien... Alain Thibault a su racheter successivement 3 fleurons de la profession pour créer un très beau groupe pour un beau projet qui n’est pas celui d’un aventurier, mais celui d’un entrepreneur. Avec cette fusion, INSEP Consulting a doublé de taille et cela apporte au nouvel ensemble des avantages compétitifs qualitatifs et quantitatifs déjà observables. INSEP Consulting a 40 ans. Cela fait 35 ans que je l’ai rejoint et 30 ans que je suis à sa tête. J’y ai donné beaucoup de mon énergie, et investi beaucoup personnellement. Il était très important pour moi de remettre INSEP Consulting  en de bonnes mains.

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef de ConsultingNewsLine


Pour info :
www.insep.com/
www.gbj.net/accueil.html


Whoswoo : 
Dominique Genelot

Images :
Courtoisie de Dominique Genelot / Insep Consulting



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