Invité
Mars 2008



Interview:
Xavier Bertrand

Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité
 
Alors que la France déroule à un rythme croissant les réformes qui doivent la transformer au cours du mandat présidentiel, Xavier Bertrand, Ministre du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité, nous aide à faire le point sur les nombreuses réformes qu’il a lui-même déjà lancé et répond à nos questions sur les sujets de nature à intéresser les consultants : réforme du dialogue social, du code du travail... portabilité, intérim, séniorité, parité... et bien sûr 35 Heures ainsi que gestion du stress !

Aujourd’hui les 38 500 consultants français génèrent un CA de près de 7 milliards d’Euros, soit environ de 0,5% du PIB français. Même si l’on est encore loin des performances de l’Allemagne et du Royaume Uni (1% du PIB) le conseil français par son effet sur les entreprises compte pour plusieurs pourcents  de notre PIB, ce qui est énorme pour un secteur dont le nombre de praticiens est à proportion raisonnable et traduit à lui seul l’impact de ce métier si particulier. Métier florissant, affichant 12% de croissance l’an dernier, le conseil en management français confirme un dynamisme de bon aloi dans une France dont les difficultés économiques et sociales s’accumulent depuis près de 25 ans. Ce conseil français concentre ainsi certains des meilleurs talents sectoriels et se trouve enfin, et c’est peut-être là une de ses caractéristiques principales, être le relais de carrière de ceux qui se retrouvent démis de leurs fonctions managériales et techniques à la fermeture de leur entreprise. Le taux de création de nouveaux cabinets est en effet relativement élevé en France et contribue autant à rattraper le retard en nombre de ce secteur qu’à offrir aux entreprises un support pour leur développement et leur transformation. Car au delà des diverses expertises proposées, stratégie, organisation, finances, technologies, ressources humaines... il existe un point commun à tous les consultants : la capacité à être des "Agents du Changement ".  Ainsi les consultants ne sont pas convoqués en entreprise pour simplement y réaliser une tâche d’expertise mais bien en général pour y aider les employés et les dirigeants à franchir un obstacle, à passer un cap, à se transformer, bref : à changer ! Et ceci ne concerne pas que le privé, mais aussi la fonction publique et le gouvernement lui-même, dont on peut rappeler pour mémoire qu'il vient de faire appel à un cabinet conseil parisien (Mars & Co) pour le conseiller dans la mise en place de ses indicateurs ministériels, ou encore la Commission de Libération de la Croissance qui fait appel à pas moins de 4 consultants issus de cabinets connus, Eric Labaye, DG  de McKinsey, Pierre Nanterme, Pdt  d’Accenture et de la Fédération Syntec, Luc-François Salvador, P-dg de Sogeti [Capgemini] et Pierre-Sébastien Thill, Pdt du Directoire de CMS - Bureau Francis Lefebvre… et enfin, le Président de la République lui-même qui n'a pas hésité à appeler à ses côtés Raymond Soubie, ancien conseiller ministériel et fondateur du cabinet Altedia.

Alors que le nouveau Président de la République a été élu sur un programme promettant le changement, notamment pour l’Etat, et que son Premier Ministre, François Fillon, inspirateur de la réforme des retraites, anime une équipe gouvernementale portée à réformer la France, il nous a semblé pertinent dans l’aval de Global RH de tenter avec Xavier Bertrand, Ministre du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité, de faire le point sur les nombreuses réformes qu’il a lui-même déjà lancé et évoquer notamment la réforme du Code du Travail qui se précise et dont les diverses dispositions encadreront demain le travail des consultants, notamment dans le domaine des Ressources Humaines, secteur conseil en croissance et en évolution rapide ces dernières années.

Xavier Bertrand
Image : Florence Durand, SIPA Press


Monsieur le Ministre, merci pour cette interview que vous avez l’obligeance de nous octroyer pour nos lecteurs, dont les métiers comme vous le savez sont liés à tous les aspects du conseil en management, et dont les préoccupations vont du conseil en RH jusqu'à la création de leurs propres entreprises... aussi permettez-moi pour commencer d’aborder des sujets généraux, susceptibles de renouveler le cadre dans lequel agiront demain les consultants, puis d’aborder des aspects plus techniques, les consultants devant être très précis dans leurs savoirs .

Le renouveau du dialogue social et de la représentativité syndicale sont au cœur des réformes que le gouvernement et votre Ministère entendent mettre en place, ce qui transparaît dans la loi du 31 janvier 2007. Peut-on préciser ces intentions politiques et la méthode employée pour y parvenir?

Xavier Bertrand, Ministre du Travail, des Relations sociales et de la solidarité :
Le Gouvernement a envoyé le 18 juin dernier un document d’orientation aux partenaires sociaux sur la démocratie sociale. Un document complémentaire a été envoyé le 26 décembre sur la question du financement des organisations professionnelles et syndicales. Suite à ces orientations, les partenaires sociaux ont engagé une négociation sur ces sujets qui devrait arriver à son terme dans les prochains jours. Il est tout d’abord question d’actualiser les critères d’appréciation de la représentativité syndicale en donnant au critère de l’audience la place essentielle qui doit être la sienne à cette fin. Plusieurs questions comme celle du maintien ou non d’une présomption de représentativité irréfragable d’un niveau sur l’autre, celle des listes habilitées à présenter des candidats lors du 1er tour des élections professionnelles, celle de la règle applicable en matière de mesure du caractère majoritaire ou non d’un accord collectif, celle de l’accès à la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, celle d’un financement transparent et clair du dialogue social sont abordées dans cette négociation. Ces sujets donneront lieu à l’issue de ce processus, quelle qu’elle soit, à un projet de loi pour moderniser notre démocratie sociale.


Aujourd’hui nombre de personnes sont en « transhumance » (Turn-Over,
Recherche d’emploi, Intérim, Portage salarial...) et l’on peut dire que les forces vives ne sont plus seulement "dans" l’entreprise. Elles sont donc le plus souvent non prises en compte dans les sondages et n’ont guère droit à une représentation syndicale. Comment leur redonner «voie au chapitre» ?

Xavier Bertrand : Les partenaires sociaux ont apporté à travers l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 une réponse significative à ces questions. En effet, ils ont d’abord rappelé que la forme normale et générale de la relation de travail est le contrat de travail à durée indéterminée. Ils ont ensuite voulu apporter des réponses modernes à travers la mise en place d’une nouvelle forme de rupture du contrat de travail : la rupture conventionnelle, pour assouplir les modalités d’emploi et réduire la dualité que vous évoquez sur le marché du travail. Ils ont aussi voulu maîtriser cette dualité. Le CDD à objet défini offre un cadre juridique clair à l’embauche de cadres techniciens sur des projets.  L’imputation de la durée des stages de fin d’études sur la période d’essai apporte une réponse sous forme de garantie à l’utilisation du CDD pour des pré-embauches. Le portage va être encadré par un accord collectif spécifique. Toutes ces réponses concrètes et pragmatiques vont trouver un support légal à travers le projet de loi que j’ai présenté en conseil des ministres le 26 mars et qui permet de transposer dans la loi cet accord.


Monsieur le Ministre, un nouveau code du travail serait en préparation. Tout en maintenant la séparation entre législatif et décisions paritaires qui forme le mode de régulation «à la française», v
a-t-on aller vers une simplification ?

Xavier Bertrand : Je l’ai dit au Parlement à l’occasion des débats sur ce texte, et je tiens à le redire très clairement aujourd’hui : la refonte du code du travail s’est faite à droit constant. C’était une exigence à laquelle je tenais, et à laquelle mes services, appuyés par des experts, un comité ad hoc des partenaires sociaux et la Commission Nationale de Codification, ont été particulièrement attentifs. Le nouveau code entrera en vigueur le 1er mai prochain au lieu du 1er mars, date initialement prévue, ce qui permettra à chacun de disposer d’un peu plus de temps pour se familiariser avec sa nouvelle architecture, plus simple, plus lisible. Il est fondé sur le principe d’une idée par article ; son volume a été réduit de 10% par rapport à l’ancien et les prescriptions qu’il contient ont été actualisées, avec les mots d’aujourd’hui. Par exemple, plus personne ne parle aujourd’hui de «délai congé» mais on utilise le terme de «préavis» ; ce changement a été apporté au nouveau texte. Vous aurez l’occasion de le constater au quotidien, dans l’exercice de votre métier : ce code du travail a pour seul objectif de faciliter l’accès de tous au droit.


Sur le plan économique maintenant, que va-t-il en être des allègements de cotisations sociales, suite à l’avis du Conseil d’Orientation pour l’Emploi ?

Xavier Bertrand : Si l’Etat joue le jeu des entreprises pour baisser le coût du travail, il faut que l’entreprise joue le jeu des salaires pour les augmenter. Le Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE) a validé le principe de la démarche souhaitée par le Président de la République : une entreprise qui refuserait de négocier sur les salaires pourrait se voir privée d’une partie des allègements de charges. Il estime qu’un tel dispositif doit être à la fois ambitieux dans ses exigences, simple à appliquer et proportionné dans les sanctions mises en œuvre. En plus du scénario soumis par le Gouvernement, le COE envisage la possibilité d’un autre scénario. Son avis est actuellement examiné avec attention. Toutes les pistes sont désormais sur la table, ce qui devrait permettre d’instaurer un mécanisme incitatif et efficace. L’objectif du Gouvernement est de présenter, après concertation avec les partenaires sociaux, un projet de loi avant l’été.


Au niveau communautaire, un projet de directive sur le travail intérimaire est toujours en discussion. Ce projet va-t-il être prochainement adopté ? La Présidence française de l’Union Européenne va-t-elle faire avancer les choses ?

Xavier Bertrand : Le Conseil des Ministres du Travail de décembre a été une étape importante sur ce sujet notamment. Grâce à la Présidence portugaise, nous avons été très proches d’un accord. Tous les ministres, autour de la table, ont bien conscience qu'il faut avancer sur cette directive dont la révision est en discussion depuis 2002. Il faut aujourd’hui avancer, car l'Europe sociale ne peut plus attendre. C’est ce que nous nous efforçons de faire, dès à présent, en étroite coopération avec la Présidence slovène. Si le dossier n’est pas réglé d’ici le 1er juillet 2008, nous poursuivrons les travaux pendant la Présidence française, en étroite concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux français et européens, avec les institutions européennes, et plus particulièrement avec la Suède et la République tchèque, avec qui nous articulons nos travaux, pour élaborer un projet commun dans le cadre de la troïka. Une chose est sûre : tous les sujets seront mis sur la table au cours de la Présidence, et en premier lieu ceux sur lesquels nous ne sommes pas forcément d’accord sur tout.


Le gouvernement a décidé de supprimer les mises à la retraite avant 65 ans pour favoriser l’emploi des seniors. Envisagez-vous de prendre d’autres mesures pour limiter les départs à la retraite avant 65 ans ?

Xavier Bertrand : Avec un taux d'emploi des plus de 50 ans de 37,9%, la France se classe seulement au 17ème rang parmi les pays de l'Union Européenne ; il y a donc du chemin à faire. Dans la lignée du plan d’action mis en place en 2006, nous allons donc effectivement prendre des mesures pour favoriser l’emploi des seniors. Nous avons agi avec une première mesure, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, en taxant plus lourdement les préretraites. La taxation pour les entreprises qui avaient recours aux préretraites était de 24,4% jusqu’en 2007, elle est désormais de 50%. Les entreprises qui voudront donc continuer à mettre les salariés en préretraites devront s’acquitter d’un montant élevé pour cela. Et nous allons poursuivre notre action dans ce sens dans le cadre d’un dialogue avec les partenaires sociaux, pour favoriser notamment la négociation de branche et d’entreprise afin d’atteindre l’objectif fixé dans le cadre de la stratégie de Lisbonne : un taux d’emploi des seniors de 50% en 2010.


Monsieur le Ministre, les accords du 11 janvier 2008  concernent une notion nouvelle : la Portabilité. Peut-on expliciter cette notion?

Xavier Bertrand : La portabilité vise à garantir la conservation d’un droit qui a été acquis dans l’entreprise par un salarié. C’est ce que permet l’accord du 11 janvier 2008 pour la prévoyance ou pour le droit individuel à la formation. L’image de la valise matérialise bien le fait de transporter avec soit des droits qu’on a acquis à un moment donné de sa carrière et que l’on pourra utiliser plus tard. Ces notions, auxquelles des contenus concrets sont donnés par l’accord du 11 janvier 2008 participent de l’équilibre entre flexibilité et sécurité que nous voulons construire en France comme en Europe.


L’égalité salariale et professionnelle entre les hommes et les femmes est également un enjeu fondamental pour les entreprises françaises. Interruptions de carrière, poids des mentalités, les femmes ne représenteraient encore aujourd'hui que 30% des cadres, 23% des consultants et 11% des dirigeants de cabinets conseil. Des mesures ont-elles été trouvées pour briser  ce «plafond de verre» ?

Xavier Bertrand : Pour briser ce «plafond de verre», nous devons avant tout agir sur les comportements, les mentalités, et briser aussi les tabous qui entourent la nomination des femmes à des postes à responsabilité. Si l'accord national interprofessionnel sur la mixité et l'égalité professionnelle du 1er mars 2004 a permis d’engager une démarche volontariste en faveur du développement de la mixité et d’une réelle égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes, disons les choses clairement : en la matière, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Dans le secteur privé, certaines entreprises ont d’ores et déjà mis en place des pratiques remarquables, en favorisant par exemple la promotion des femmes aux postes de direction ou en jouant sur les parcours professionnels pour encourager l’accès des femmes aux postes à responsabilités. Il faut valoriser ces bonnes pratiques managériales qui font encore figure d’exceptions. Seulement 15 % des femmes qui travaillent dans une entreprise de dix salariés et plus sont cadres contre 23 % des hommes, et leur accès aux instances décisionnelles est limité, puisque seulement 12% des chefs d’entreprises sont des femmes, et qu’elles représentent à peine 6 % des membres des conseils d'administration des sociétés du CAC 40. Et un constat similaire peut être fait s’agissant du secteur public. Je suis convaincu que le travail qui sera mené par Simone Veil, à la demande du Président de la République, afin d’introduire dans le préambule de la Constitution de la Vème République l’égalité entre l’homme et la femme, permettra d’ouvrir des perspectives encourageantes pour briser ce plafond de verre et faire progresser l’égalité professionnelle et salariale.


Le Président de la République et le Chef du Gouvernement ont donné des signes indiquant un possible retrait des 35 Heures. Une telle démarche si elle devait être mise en place pourrait s’avérer compliquée. Monsieur le Ministre souhaitez vous revenir sur les 35 heures ?

Xavier Bertrand : Il y a et il y aura toujours une durée légale au-delà de laquelle les heures supplémentaires sont payées. Mais nous voulons rompre avec les 35 heures imposées, qui posent de nombreux problèmes aux entreprises et qui freinent les salariés. Les partenaires sociaux ont été saisis de cette question dans le cadre d’un document d’orientation que leur a adressé le Gouvernement le 26 décembre 2007. Ces sujets donneront lieu à l’issue de ce processus, quelle qu’elle soit, à un projet de loi pour faire évoluer les règles applicables en matière de durée du travail et trouver des solutions qui répondent aux besoins de chacun.


Pour conclure Monsieur le Ministre, et en vous remerciant de cette interview au nom de nos lecteurs, nous serions heureux dans l’aval de la remise du rapport Légeron - Nasse, de savoir quelles dispositions votre Ministère va prendre pour prévenir et lutter contre le stress au travail, notamment pour ces nouvelles formes de travail qui tendent à concentrer sur les employés des responsabilités normalement dévolues aux employeurs ?


Xavier Bertrand : L’une des mesures qui sera discutée en priorité est celle qui concerne les suicides au travail. Je veux aujourd’hui aborder cette question sans tabou. Une veille épidémiologique des suicides au travail sera mise en place dès l’année prochaine et confiée à l’InVS, en liaison avec la médecine du travail et la CNAMTS.. Sur cette question des risques psychosociaux, je pense tout particulièrement aux petites entreprises. En l’absence de CHSCT et face à un manque de moyens pour lancer des actions de détection et de prévention, les TPE/PME sont souvent plus démunies que les grandes entreprises face au stress de leurs salariés. Il est de la responsabilité de l’Etat de les sensibiliser, de les inciter et de leur donner les informations nécessaires pour agir contre les risques psychosociaux. Nous allons donc créer un portail Internet qui inclura un volet spécifique sur le stress où nous diffuserons des outils de diagnostic, des guides méthodologiques et des exemples de bonnes pratiques. Ce portail sera mis à la disposition de tous : entrepreneurs, salariés, corps médical, syndicats, services de santé au travail etc... Enfin, il est du rôle de l’Etat d’agir en amont sur la formation des futurs dirigeants, managers, ingénieurs et responsables RH. C’est l’objet de la mission que j’ai confiée, avec Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, au Professeur William Dab qui rendra ses conclusions au début du mois de mai prochain. Je souhaite qu’un référentiel commun de formation obligatoire à la santé physique et mentale au travail dans les écoles de commerce et d’ingénieurs soit mis en place. J’ai l’intime conviction que la France peut atteindre le niveau des pays qui ont les meilleurs résultats en terme de lutte contre le stress d’ici trois ans. J’ai bien l’intention de reprendre à mon compte les propositions du rapport, et pour m’assurer de leur application concrète, d’en confier le suivi et l’évaluation au futur Conseil d’Orientation des Conditions de Travail (COCT).

Propos recueillis par Bertrand Villeret
Rédacteur en chef
ConsultingNewsLine



Pour info :
www.travail.gouv.fr/
www.prudhommes.gouv.fr/

Whoswoo :
Xavier Bertrand

Images :
Courtoisie du cabinet ministériel.
Copyright :
Florence Durand, SIPA Press



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