L'invité de la rédaction

>> Décembre  2003 
   " les sociétés de conseil doivent appliquer à elles mêmes leurs propres recommandations "

Gil Gidron: la consolidation devrait continuer mais il y a place pour des acteurs spécialisés sur des crénaux spécifiques 
Gil Gidron, ancien président de la FEACO et actuel Partner d’Accenture Espagne, responsable de la stratégie pour l’Europe, nous confie son point de vue sur l’évolution la plus récente du marché globalisé du conseil... Il nous entretient sur les faits qu’il convient de connaître, les tendances auxquelles on doit s’adapter et pas mal d’autres choses sur lesquelles nous serions bien inspirés d’y réfléchir à deux fois ...


Gil Gidron, Le marché semble atone mais pourrait reprendre en 2004. Que peut-on dire des tendances actuelles ?

Gil Gidron: Je dirai qu’il y a trois tendances. La première concerne l’économie dans son ensemble.  L’activité industrielle reprend doucement dans le monde entier ce qui entraîne une demande en « services à l’industrie ». La seconde résulte de problèmes plus structuraux. Ainsi on a eu une bonne croissance grâce à divers actionneurs de la demande : le Bug de l’an 2000, les progrès en informatique et en technologies des communications, la bulle internet, la privatisation des entreprises publiques et finalement l’arrivée de l’Euro. Ceci a contribué à une croissance du conseil bien supérieure à l’économie. Mais tout cela a changé. Aujourd’hui la croissance du conseil a ralenti et cela devrait prendre un certain temps avant que nous retrouvions la croissance de la fin des années 90. Troisièmement, la façon dont les consommateurs de conseil achètent est en train de changer avec un profil de la demande qui se révèle différent. Ainsi on voit apparaître le concept de « guichet unique » (One Stop Shop): conception, implémentation, maîtrise opérationnelle !.. C’est ce que les clients veulent. Et pas seulement des conseils.  


Ceci explique-t-il les récentes fusions - acquisitions entre cabinets et autres sociétés ?

Gil Gidron:   Comme je l’indiquais la troisième tendance est liée à la nécessité pour les consultants d’être capables de délivrer un service complet incluant l’implémentation. C’est la raison pour laquelle IBM a fusionné avec PWC, pourquoi EDS a capturé A.T. Kearney et pour laquelle Ernst & Young a rejoint Cap Gemini ... etc. Ceux qui se trouvent à la périphérie rentrent dans ce jeu car il est très profitable d’apporter à un client une approche intégrée. IBM a trouvé là une réelle opportunité. Ainsi la consolidation est une conséquence des changements dans la demande et des tendances à l’implémentation. Une autre conséquence est que les sociétés de conseil doivent changer leur Business Model. C’est là que les dividendes entrent en jeu.  Les sociétés de conseil ont besoin d’investir et de passer d’un partenariat traditionnel à la levée de capitaux sur les marchés afin de créer de solides structures financières. Toutefois pénétrer les marchés de capitaux rend nécessaire la séparation du conseil et de l’audit. Le problème clef ici étant que pour des raisons d’indépendance, de directives réglementaires, etc, le marché réclame cette séparation. Si l’audit est obligatoire et indépendant, le conseil est volontaire et lié à des honoraires. Ces  deux activités doivent se séparer.


D’autres tendances pour lesquelles il y aurait matière à commentaire ?

Gil Gidron:  Le marché devient bipolaire : d’un côté nous avons de grandes multinationales mais tout à la fois un espace suffisant pour des opérateurs spécialisés sur des créneaux spécifiques (Niche Players) importants tels que le « diagnostic des risques » ou encore l’expertise  en « automation industrielle »... La vision que j’en ai sur un diagramme figurant sur un axe la taille du cabinet et sur l’autre le caractère plus ou moins spécialisé de l’activité c’est que les sociétés conseil n’ont [ lorsqu’elles évoluent] que deux choix  possibles : devenir un Niche Player (c’est à dire revenir à ce qu’elles font le mieux) ou bien fusionner ! Ainsi la consolidation devrait se poursuivre, mais il y existe un espace suffisant pour les Niche Players. Pour ce qui est des cabinets les plus localisés et notamment les plus petits opérant sur des marchés émergeants, les grandes compagnies vont venir les acquérir parce qu’il n’existe que trois possibilités : recruter les talents, être racheté ou passer des alliances. Or les alliances ne sont pas stables.


D’autres perspectives, plus liées aux technologies ?

Gil Gidron: C’est ainsi que le futur apparaît. Et malheureusement il n’y a aucune technologie majeure qui puisse impacter l’industrie dans le court terme. Cela dit il existe de nombreuses petites choses : l’économie nomade qui devrait permettre du conseil spécifique, l’élargissement européen, la libéralisation qui se poursuit notamment dans l’énergie et les grandes commodités ...  Ainsi nous devrions hérité d’un futur excitant même s’il semble plus complexe et plus compétitif. Avec aussi une compétition nouvelle de la part des marchés Off Shore tels que l’Inde ou les Philippines, qui sont de plus en plus à même de développer des technologies sur une échelle dépassant de loin celle de l’Europe... Cela devrait commencer par les technologies de l’information puis remonter lentement la chaîne de la valeur : Body shopping, conception puis implémentation. A cet effet les opérateurs locaux seront nécessaires.


Donc des acteurs nouveaux. Que dire de l’évolution des pratiques et de la survie de tous ces opérateurs?

Gil Gidron: Il y a eu une époque où l’on avait les RH, les processus, le management, l’infrastructure, l’externalisation ... C’est alors que IBM, EDS, etc... se mirent à acquérir de larges parts du secteur conseil, et là les frontières du marché ont disparu. Ce fut la fin du clivage.  Maintenant les clients demandent des missions transverses. Celui qui sait intégrer ces diverses pratiques devient le plus à même de gérer les transformations chez le client. Et l’externalisation est à ce titre un élément clef. Aussi de 2002 à 2012 la question qui va rester pertinente, tout spécialement si l’on pense y être encore, c’est de savoir qui  va survivre. Et c’est pour cette raison que la consolidation va continuer et que de toute évidence les grandes sociétés de conseil vont survivre.  Il devrait en rester une demi douzaine, pas plus. Une qui se trouve en position de leader aujourd’hui est sans conteste IBM. Accenture a le même modèle, bien qu’il est été développé de manière plus organique, non par acquisition si l’on excepte le hardware qui reste une commodité.


Mais d’un point de vue quotidien cela implique-t-il que la façon de faire du conseil ait réellement changé?
 
Gil Gidron: le profil des projets a changé. Si vous êtes une banque de 2000 personnes la chose la plus difficile lorsque vous devez implémenter une nouvelle technologie ou une mettre en place une nouvelle stratégie c’est de faire en sorte que les gens comprennent où vous allez. Pour les ordinateurs vous ne devez que les acheter et le management du changement se résume à de la formation, mais pour ce qui est de l’intégralité du projet, la gestion de la motivation reste le domaine le plus difficile à maîtriser et va requérir la part la plus importante de votre effort pour aboutir au  succès.


Les ressources humaines seraient-elles donc le problème clef de la globalisation?

Gil Gidron:  Le conseil est une activité économique globalisée. Cependant vous travaillez localement dans votre environnement national. Ainsi, bien que la diversité européenne rende le conseil en Europe passionnante, elle n’en requiert pas moins une palette de compétences très large pour en assurer le succès. A titre d’exemple, pour une société de conseil multinationale présente dans une douzaine de pays européens, acquérir une Supply Chain  n’est pas en soi un problème mais s’arranger avec la diversité des pratiques en est une bien réelle. Une contrainte supplémentaire vient du fait que si USA il existe une réelle obsession pour le bilan  financier et que les opérateurs y sont vraiment orientés vers l’actionnaire, en Europe la prise en compte des diverses parties prenantes est bien plus large. Dernier point enfin, l’aspect humain se révèle différent pour le consultant de ce qu’il est pour le client: la compétition est globale mais l’implémentation est locale avec tous ses parfums locaux. Pour cette raison le marché européen représente un véritable challenge.


Ce qui nous amène à la question de l’élargissement de l’Europe

Gil Gidron: Le challenge pour les firmes de conseil va être de rapprocher les grandes compagnies et les petits acteurs locaux. Et le challenge pour la FEACO sera de rester représentatif des plus grandes comme des plus petites sociétés de conseil et de garder ce réseau soudé. Aujourd’hui la fédération est déjà représentante de 23 pays qui se rassemblent en groupes de travail : Multinational, Institutions européennes, Petites structures et Blocs régionaux tels que les Pays Nordiques, Pays de langue germanique et Pays de l’Est. Hong Kong a rejoint la fédération et l’Afrique comme l’Amérique latine pourraient la rejoindre dans la suite. Aussi l’élargissement de l’Europe n’est qu’un épisode de la globalisation prise dans son ensemble.


Cet  élargissement européen pourrait-il  enrayer la chute des honoraires?

Gil Gidron:  Nous faisons face à une surcapacité. Ce qui a entraîné des réductions d’effectifs, une terrible pression sur  les marges et une déflation des prix. Pour s’arranger de cet ensemble de nombreuses compagnies ont modifié leur Business Model afin de répondre a la question stratégique : pourquoi et comment concourir ? Il faut bien comprendre que notre domaine devient de plus en plus un marché d’acheteurs. Par conséquent pour réussir, l’innovation, la confiance dans l’engagement et les investissements deviennent déterminants. Toutefois pour répondre au problème des réductions d’émoluments nous devons réfléchir à la valeur même des projets proposés. Nous devons fournir une « proposition de valeur » au client. La valeur pour le client est devenue la priorité absolue. Les clients ne s’engagent pas sur une mission de conseil s’ils n’entrevoient pas une quelconque valeur à la démarche. C’est un aspect de la mentalité de l’acheteur qui s’est beaucoup modifié. Dans un marché du conseil dipolaire qui voit les acteurs principaux confrontés tant à des investisseurs exigeants qu’à des clients très demandeurs de résultats, et dans lequel les Niche Players deviennent des garants de la qualité et du savoir-faire, la bonne nouvelle c’est que la sous-traitance va se développer. Ainsi les sociétés de conseil auront à prendre des décisions et à se positionner. Elles devront s’appliquer à elles même leurs propres recommandations et se rappeler qu’il faut trois choses pour vendre : avoir une bonne proposition (quelque chose que le client veut acheter), avoir des avantages spécifiques (savoir, compétences) et un bon relationnel allié à la capacité à s’impliquer. Ce dernier point sera déterminant dans les Pays de l’Est et du Sud.  
 

Propos recueillis par Bertrand Villeret


Pour Info:
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