Il y a 50 ans : le premier tour


Beaucoup en avaient rêvé, ils furent les premiers à le faire : Sergei Korolev, le constructeur en chef, et Youri Gagarine, le passager. Sorti du goulag, Korolev avait développé un missile balistique intercontinental (ICBM) capable de lancer une bombe thermonucléaire depuis l'URSS jusqu'au territoire des Etats-Unis, la R-7. La performance de ce vecteur devint un avantage décisif dans la course à l'espace. La mise sur orbite de Spoutnik 1 surprend les américains. La masse satellisée, le corps central du lanceur en plus du fameux satellite, les inquiète.

R-7 et Atlas, l'ICBM américain, sont lancés pour la première fois en 1957. La fiabilité du second est plus difficile à obtenir. Pour quitter l'atmosphère, un lanceur ne suffit pas, il faut aussi un vaisseau. Ou plutôt une "capsule", dans laquelle une seule personne peut prendre place. Vostok pour les soviétiques, Mercury pour les américains. Secret d'un coté, communication de l'autre, avec les sept astronautes, dévoilés en avril 1959.

Une sphère et un système de freinage, tel peut être résumé sommairement Vostok, construit par l'OKB-1 de Korolev. Les premiers essais se font sous l'étiquette Spoutnik, grâce à la R-7 dotée d'un étage supérieur Bloc-E. En mai 1960, Spoutnik-4 constitue la première version de Vostok, dépourvue de protection thermique et de système de survie. Le système d'orientation fonctionne mal. En juillet et août, deux lancements emportent des chiens. Seuls ceux du second vol sont récupérés. Ce sont les premiers animaux à revenir de l'espace extra-atmosphérique. Dernières répétitions en mars 1961. Le bilan de la fiabilité cumulée du Vostok est encore très faible (56 % pour le lanceur, 60 % pour le vaisseau), mais le temps presse. L'Atlas n'étant pas prête pour un vol orbital de Mercury, les américains vont tenter un lancement sub-orbital. Pas d'orbite, mais une excursion hors de l'atmosphère.

German Titov, sa doublure, accompagne Youri Gagarine jusqu'au pas de tir n°1 de Baïkonour, mais seul ce dernier monte à bord. Le 12 avril 1961, la fusée 8K72 n°E10316 décolle à 9h06 heure de Moscou. Le vaisseau 3KA n°3 de 4725 kg ne fait qu'une révolution autour de la Terre. La rétrofusée est mise à feu pendant 40 s, ce qui provoque la rentrée dans l'atmosphère. Gagarine est éjecté en scaphandre à 7 km d'altitude, puis se pose à 10h55 dans la région de Saratov. Une fois le succès annoncé par l'agence Tass, il devient une vedette mondiale.

   
Le premier vol spatial habité.

Il faudra attendre mai pour que Shepard soit lancé pour un saut de puce avec une fusée Redstone. Puis l'année suivante pour que John Glenn ne décrive les premières orbites américaines. Après ce second camouflet dans un domaine auquel l'opinion publique est alors sensible, les Etats-Unis ne peuvent rester sans réagir. Parmi les propositions de ses conseillers, John Fitzgerald Kennedy choisit la Lune, avant la fin de la décennie. Aux programmes Vostok et Mercury, succèdent respectivement Voskhod puis Soyuz et Gemini puis Apollo.

L'année 1967 sera noire. Vladimir Komarov sera envoyé à la mort, lancé dans un nouveau vaisseau jamais testé avec succès auparavant, le Soyouz. Quelques mois plus tôt, les trois premiers astronautes d'Apollo-1 mourraient dans l'incendie de la capsule, remplie d'oxygène pur. Les deux programmes se relèveront, mais la puissance industrielle des Etats-Unis fait la différence. Tous les lancements de Saturn-V atteignent l'orbite, alors que tous ceux de la N-1, l'équivalent soviétique, se terminent en flammes. Apollo-8 se met en orbite lunaire en décembre 1968, puis Apollo-11 se pose en juillet 1969. L'exploration humaine de l'espace a atteint son apogée. L'objectif atteint, le programme spatial habité américain perd l'intérêt du public, les budgets sont amputés et les trois dernières missions Apollo supprimées. Du programme d'applications Apollo, seul Skylab subsistera. Pour trois missions seulement… Priorité est donnée à la navette spatiale, destinée à assurer un accès fréquent et économique à l'espace.

 
Premier pas de l'homme sur la Lune.

De leur coté, les russes se concentrent sur les vols en orbite basse de longue durée. Saliout-1, la première station spatiale, précède Skylab de deux ans, mais les trois cosmonautes meurent au retour. Les stations suivantes alternent programmes civils et militaires, avant les Saliout-6 et 7, puis Mir, qui permettent de nombreuses missions internationales et des records de durée. Valery Poliakov revient ainsi sur Terre le 22 mars 1995, après une mission de 437 jours.

A l'ouest, la navette spatiale entre en scène le 12 avril 1981, 20 ans après Gagarine. Avec deux ans de retard. Skylab est déjà retombée. L'objectif est de faire des missions hebdomadaires, pour 10,5 M$/mission. La construction des lanceurs conventionnels est arrêtée. Missions commerciales, scientifiques et militaires doivent à terme passer par la navette. Conçue avec un budget insuffisant pour un tel saut technique, elle présente des défauts de conception majeurs : les fusées à poudre qui ne peuvent être arrêtés pendant les deux premières minutes de vol, une protection thermique exposée aux chutes de débris provenant du réservoir central et une absence de système de sauvetage de l'équipage.

 
Le succès de Columbia STS-1.

Sous les feux des projecteurs, les quatre navettes construites lancent des satellites, en réparent et en ramènent d'autres. Le Spacelab, placé dans la soute, permet des missions scientifiques à partir de 1983. Les missions militaires secrètes débutent en 1985. Les équipages s'ouvrent aux civils, parlementaires américains, personnalités étrangères, ingénieurs des compagnies clientes de la navette, puis enseignants et bientôt journalistes. Mais la navette spatiale est bien moins récupérable que prévu, nécessitant une lourde maintenance et elle ne s'avère pas plus économique que les lanceurs conventionnels, dont la construction est relancée par l'armée. Dans la coulisse, la NASA s'habitue à l'érosion des joints toriques des fusées à poudre. Par un matin plus froid qu'à l'habitude, le 28 janvier 1986, des ingénieurs tirent la sonnette d'alarme. Mais il faut tenir le calendrier. La navette n'a encore effectué au mieux que huit vols, en 1985. Cette fois, une flamme traverse un joint d'un des boosters, malheureusement au mauvais endroit et dans la mauvaise direction. Challenger est soufflée après 73 secondes de vol et les sept astronautes sont tués.

Les missions reprennent en 1988. Plus de lancements commerciaux, au grand bonheur des européens. Après les dernières missions militaires, elle est réservée aux missions scientifiques, au lancement des sondes d'exploration du système solaire et au lancement puis aux réparations du télescope spatial. A partir de 1998, la priorité est l'assemblage de la station spatiale, un projet lancé en… 1984. Depuis, elle est devenue internationale, réalisée en collaboration avec la Russie.

 
La compétition cède la place à la coopération.
En juillet 1995, Atlantis s'arrime à la station Mir.

La Nasa s'est aussi habituée aux chutes de débris qui heurtent la protection thermique. La deuxième mission après la reprise des tirs, en décembre 1988, a déjà échappé de peu à la catastrophe. En janvier 2003, un bloc de mousse frappe le bord d'attaque de l'une des ailes et perce une tuile. L'incident est sous-estimé et deux semaines plus tard, Columbia se désintègre au-dessus du sud des Etats-Unis, tuant de nouveau sept astronautes.

Dès l'année suivante, le retrait des navettes est annoncé après achèvement de l'ISS, qui est sauvée par les accords internationaux. Le programme Constellation de retour vers la Lune est lancé début 2004, avec un retour aux lanceurs conventionnels et à une capsule de type Apollo pour les vols habités. Et les Etats-Unis prévoient d'abandonner l'ISS en 2015, quelques années à peine après son achèvement ! Mais bien sûr, le programme Constellation n'est pas suffisamment financé et les délais ne pourront être tenus. De plus, les problèmes de performance du lanceur Ares I, destiné à remplacer la navette, deviennent de plus en plus criants…

Quarante ans après Apollo-11, une commission est chargée de passer en revue le programme spatial américain et de sortir de l'impasse. Parmi ses propositions, Barack Obama choisit la prolongation de l'exploitation de l'ISS et l'abandon de Constellation (économisant ainsi le développement du module lunaire Altaïr) au profit de missions habitées vers des astéroïdes, seule destination possible hors de l'orbite basse dans les limites budgétaires envisageables. L'accès à l'orbite basse (et donc la desserte de l'ISS) est confiée au secteur privé, la Nasa devant se concentrer sur l'exploration. Le congrès américain n'est pas de cet avis et maintient le développement de la capsule Orion. Malgré l'annonce d'un accord entre la Maison Blanche et le Congrès sur l'année fiscale 2011, le budget correspondant n'entre finalement pas en application, le financement restant dans une résolution de continuité du budget 2010, finançant toujours le programme Constellation pourtant voué à l'abandon ! Dans le contexte actuel de coupes budgétaires aux Etats-Unis, au contraire de la mécanique newtonienne, la trajectoire du programme spatial habité américain est difficile à calculer…

Dans un autre plan orbital, la Chine est devenue en 2003 la troisième puissance spatiale à lancer un homme dans l'espace, avec un vaisseau Shenzhou inspiré du Soyouz russe. Sur un rythme de progression beaucoup plus lent que lors de la rivalité USA - URSS, trois missions ont été effectuées à ce jour, avec la première sortie extra-véhiculaire lors de la dernière.

Le 5 avril dernier, deux russes et un américain ont été lancés vers la station spatiale, à laquelle ils se sont arrimés deux jours plus tard. L'ISS est ainsi actuellement occupée par Dmitri Kondratiev (Russie), Catherine Coleman (USA), Paolo Nespoli (Italie) depuis décembre 2010, désormais rejoints par Alexandre Samokoutiaiev (Russie), Andrei Borissenko (Russie) et Ronald Garan (USA). L'espace est habité en continu depuis le 31 octobre 2000. Après le dernier vol de Discovery [lien], il ne reste plus que deux missions avant la fin du programme Shuttle : Endeavour STS-134 le 29 avril et Atlantis STS-135 le 28 juin. Ensuite, seuls la Russie (avec Soyouz) et la Chine (avec Shenzhou) auront un accès indépendant à l'espace habité et ce pour plusieurs années.

 
Depuis le même pas de tir n°1 de Baïkonour,
Soyouz TMA-21 décolle le 5 avril 2011.
Les six occupants actuels de l'ISS, le 11 avril.


© David Legangneux - Dernière mise à jour: 12 avril 2011 - Crédits photo: NASA, DR.